Certes, il y a bien des questions plus importantes que la coupe du monde de football : le sort des migrants de l’Aquarius, les tweets ignobles de Trump et les non moins ignobles références bibliques de sa garde rapprochée pour justifier cyniquement la séparation des enfants migrants de leurs parents, ou pour en rester au domaine éducatif l’avenir des lycées généraux et professionnels, ou le décalage entre la com ministérielle sur la réduction des inégalités à l’école et une réalité qui ne bouge guère dans le bon sens.
Certes, il est un peu consternant que la « une » du site internet du Monde soit consacré plus à des Colombie-Japon (à l’heure où j’écris) qu’à l’élection inquiétante de la droite dure dans le premier pays ou le regain de nationalisme dans le second.
Certes, le flot d’argent qui se déverse dans le football nous sidère et peut, par moments, nous faire entonner l’hymne que je n’affectionne guère du « C’était mieux avant ! » (du temps des Kopa-Piantoni ou de Platini-Giresse, mais ce temps-là aussi serait vite idéalisé, passons !)
Cependant, comment passer à côté de ce phénomène « coupe du monde » et foot en général, comment en rester à l’attitude méprisante et hautaine qui fut longtemps (elle l’est de moins en moins) l’apanage des intellectuels vis-à-vis des aficionados, de ce ridicule jeu de balle et de l’engouement qu’il suscite. Ce football qui aujourd’hui réconcilie quasiment Finkielkraut et Cohn-Bendit, qui fait aller au stade un Mélenchon pourtant rétif et applaudir des anti-libéraux forcenés devenus admirateurs des millionnaires Neymar ou Ronaldo…
Comment trouver la juste mesure entre d’un côté l’ignorance et le dédain, de l’autre les excès des discours sur les France-Allemagne devenus des tragédies grecques ou hier sur la France réconciliée par un titre de champion du monde -qui n’avait tenu qu’à un fil jusqu’à la finale de la part d’une équipe guère spectaculaire et au jeu souvent étriqué ? On entend aussi le pire avec cette coupe du monde, tel cet essayiste par ailleurs bien surfait critiquant le recours à la vidéo car, n’est-ce pas, l’injustice arbitrale fait partie de la beauté du sport (même si des équipes ont jadis usurpé des victoires, faute d’un arbitrage rigoureux, tels l’Angleterre en 1966 ou l’Argentine en 1966, sans oublier la main de Thierry Herny). Ou la répétition jusqu’à saturation de la phrase d’Albert Camus (qui devient, hélas, une machine à citations promues en vérités définitives) : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… »
Mais restons ici à l’objet de ce blog, le domaine éducatif.
On peut, je crois, dans le domaine scolaire, à la fois combattre la démagogie et s’intéresser de façon productive au phénomène du football.
La démagogie, c’est l’enseignant regardant un match avec ses élèves, pendant un cours (je peux témoigner que ça existe, surtout quand il s’agit de ce mois de juin bien peu « reconquis » et quand il s’agit de classes « spéciales »). C’est l’absence de prise de distance de tous ceux qui glorifient inconditionnellement le sport, école de courage, d’effort et de sens du collectif, en oubliant les tricheries, l’individualisme et l’obsession de fans qui leur fait oublier tous les problèmes du monde. Depuis l’Italie de Mussolini en passant par l’Argentine de Videla, on sait aussi combien le football a été utilisé politiquement dans un mauvais sens. De cela aussi, il faut pouvoir parler aux élèves : des villes qu’on « nettoie » de ses pauvres en Russie aujourd’hui, du désastre écologique que représente la future Coupe au Qatar.
La démagogie, c’est encore accepter qu’en troisième, à l’épreuve de l’histoire des Arts, des élèves fassent un exposé sur un footballeur (j’ai vécu cela dans des jurys de troisième), chose acceptable seulement si l’élève est capable, de montrer que les dribbles de Garrincha ou de Pelé rejoignent quelque part l’art, en étayant ses propos, ce qui ne me semble pas du tout à la portée de beaucoup d’élèves ayant fait ce choix.
On peut en revanche, dans diverses matières, évoquer en effet le phénomène football de manière complexe, en présentant tout ce qu’il a de magique mais aussi sa face sombre. Mais, me dira-t-on, en voulant scolariser la passion du foot, ne succombe-t-on pas à cette manie qu’a l’école de vouloir s’emparer de tous les phénomènes ? En fait, je déteste cette expression de « scolariser » qui voudrait suggérer que lorsque l’école aborde un phénomène, cela doit devenir ennuyeux et pesant. Au contraire, l’école doit savoir relier l’actualité aux autres savoirs, et ce sont des liens avec l’univers familier des élèves qui vont leur permettre de voir autrement certaines réalités quotidiennes ; du moins c’est ce que j’ai essayé maintes fois de faire, avec des succès divers, restons modestes.
Quelques exemples :
– le discours autour du football permet d’entrer dans la rhétorique de l’hyperbole, de l’épopée, à travers articles et commentaires des médias, occasions d’analyses en tous genres
– la construction de « héros » modernes que sont les grands footballeurs, peut être reliée, dans certaines limites à la mythologie, à la glorification des grands personnages, si on sait aussi montrer que c’est parfois au détriment de héros autrement plus utiles à la société (le dire, même si on ne va pas convaincre tout le monde !)
– peu d’œuvres font allusion au football. J’avais vu autrefois des pianistes de jazz improviser devant un écran de télévision en rythmant tel ou tel match. Mais je connais peu de supports pour travailler sur le sujet. Sauf des films comme Le ballon d’or accessible à des élèves jeunes, ou dans un autre style le surprenant Looking for Eric de Ken Loach . Voir l’inventaire intéressant sur le foot et la littérature faite dans un site.
– bien sûr, étudier la façon dont est traitée la coupe du monde peut être, surtout en ce mois de juin difficile si on veut travailler efficacement « jusqu’au bout », une mine pour l’éducation aux médias, y compris quant à la vérification des sources, la partialité de commentaires, la distinction entre ceux-ci et les faits. Internet permet aussi de remonter dans le temps. On peut retrouver des unes de journaux des années 50 et voir le faible intérêt de certains pour cet événement, qui ne bénéficiait pas non plus de la télévision. Une leçon d’Histoire également : les injonctions mussoliniennes déjà évoquées, la signification de la victoire allemande de 1954 qui contribue à remettre le pays dans le concert des nations, la construction du mythe brésilien toujours actif (mais dont l’humiliation il y a quatre ans symbolise la grave crise que le pays traverse). Je viens de lire la recension d’un ouvrage qui semble bien intéressant sur un autre versant plus sympathique du football : ici
– le succès naissant du football féminin peut aussi être abordé comme signe d’une évolution irréversible et inconcevable il y a encore une cinquantaine d’années dans notre pays. Dans certaines contrées il est vrai, la présence de femmes dans le stade est déjà une difficile conquête, qui peut être réprimée comme en Iran.
-pourquoi ne pas faire écrire sur le rapport de chacun au football, ou faire rédiger des textes avec des contraintes (un style épique, une manière totalement objective avec interdiction d’utiliser des termes mélioratifs ou péjoratifs, une imitation de contes, un match vu par un extra-terrestre –j’ai oublié dans quel récit de science-fiction on trouve cela)… Il faut en tout cas que le sujet football ne soit pas un prétexte comme le serait l’insertion de phrases à thème footballistique dans un exercice de grammaire (ou de mathématiques) ce qui n’a pas d’intérêt particulier
-enfin, en langues vivantes, les occasions ne manquent pas de visiter des sites de journaux sud-américains, anglais ou allemands et de travailler un lexique qui, en partie, s’échange d’une langue à l’autre
Au-delà, je m’interroge sur la puissance de ce sport qui passionne ainsi les foules dans un vrai brassage social, aux lendemains d’un voyage TGV où le conducteur annonce les buts de l’équipe de France au micro et de journées de France Culture sur le thème. Récupérons autant que faire se peut cette passion pour amener les élèves vers d’autres horizons et regardons ce qui pourrait être transféré de ce genre de passion : le goût du jeu, du suspense (transformer le savoir en énigme à résoudre, dit Meirieu), l’effort qui a du sens, le mélange d’émotion et de capacité d’analyse, des ingrédients qu’il faut faire ressortir. Sans oublier, j’y reviens et ne veux surtout pas laisser de côté cet aspect des choses, l’envahissement de l’argent, les tricheries, la violence, la corruption, et l’excès médiatique qui cloue des millions de personnes devant un écran.
Faire avec, dans les deux sens de l’expression, un peu résignés, mais offensifs…
Bonjour,
Je pense que le football est beaucoup plus qu’un sport. C’est un moyen de se faire des amis et de rester en bonne santé. D’ailleurs, je ne manque jamais un match de Ligue 1 à la télé.
Votre réflexion rejoint totalement mon vécu malheureusement stoppé dans son élan.
Responsable d’une association sportive, je me suis attaché à développer les compétences sportives de mes licenciés, mais au travers de nos relations privilégiées avec le collège de proximité, j’ai essayé de m’appuyer sur la complexité du football, dont sa mondialisation pour ouvrir l’esprit et développer un esprit critique à des jeunes souvent en difficulté car enfermés dans un modèle social. Le changement de point de vue est essentiel pour leur faire voir que le monde a tant à leur offrir, s’ils s’en donnent la peine d’être curieux et à l’écoute. Le football permet à la fois une responsabilisation et une ouverture aux autres.
Bonjour
J ai etudié un texte publié par le centre d ‘etude de l’emploi qui fait reference sur le systéme du football dont on parle trés de cette réalité. Il fait révé de milliers de jeune avec des salaires exorbitants sans parler de sa réalité de la courte durée de carriére de certains et de l’inegalité cachée entre les niveaux des clubs. Je vous laisse un document que vous pourriez s’en doute retrouver. Les 4 pages du Cee juin 2015 numero 122. Le Marché du travail des foitballeurs professionnels :Un miroir aux allouettes. Richards Duhautois.
Bonjour, votre réflexion m’a fortement intéressé …. je me rappelle l’époque des verts de Saint Etienne en 1976, j’étais en première, et je me rappelle d’un enseignant en école élémentaire à Saint Etienne, qui disait comment il avait réussi de continuer à faire classe dans l’ambiance foot de la ville. Le périmètre à partir des distances du terrain de foot, le milieu de terrain …. La coupe d’Europe était devenue le support pour la géographie : les pays, les capitales, les kms …. , les rédactions, le corps, les muscles ….. Je n’avais que 16 ans mais j’avais trouvé cela exceptionnel, il est vrai que mon Père a travaillé avec Célestin Freinet dans les années 1950 du côté de Nice …..