Enseigner au XXI siècle

Séparatisme ?

Les lecteurs de ce blog savent combien j’ai de l’aversion pour la pensée binaire et pour les extrêmes. Cela peut conduire à des postures somme toute confortables, mais aussi valoir des critiques de bords opposés. En fait, il ne s’agit nullement d’adopter un je ne sais quel « juste milieu » ou de se considérer comme étant d’« extrême-centre », mais plutôt d’inviter à la complexité, celle-ci cependant ne devant pas être un alibi pour ne pas trancher lorsque sont en jeu des  « valeurs », lorsqu’en fin de compte, la logique binaire reprend ses droits.  Il ne s’agit pas par exemple de ménager son rejet du fascisme, du terrorisme ou du stalinisme au nom par exemple du contexte et encore moins de la complexité (qui doit être utilisé pour les analyser pas pour en amoindrir la condamnation).

Je voudrais donc ici, dans le prolongement de billets précédents, évoquer la question de ce que le président de la République a appelé récemment « le séparatisme islamiste ».

Il n’est pas sûr que le terme soit le bon, même s’il est préférable à « communautarisme ». D’autant qu’on ne sait pas bien de la séparation d’avec quoi au juste l’expression serait porteuse : par rapport au « mode de vie » à la française (bien difficile à définir), par rapport aux Lois de la République (mais de nombreux islamistes sont tout à fait respectueux, formellement, de ces lois), par rapport à la nécessaire vie en commun ?  J’aurais tendance à parler plutôt de « repli » ou « renfermement » identitaire à connotation religieuse plus ou moins accentuée. Mais peu importe au fond la sémantique (encore que…), voyons plutôt deux positions qui me paraissent toutes deux inopérantes et comment je pense qu’on peut se situer entre ces deux extrêmes.

D’un côté, la position « dure » qui exagère les situations, qui dramatise jusqu’au « Grand Remplacement » à la Zemmour-Camus qui pousse le plus loin cette position. Il y a ceux qui voient une atteinte à la laïcité dès que des mères voilées souhaitent s’investir dans l’école de leurs enfants et accompagner ceux-ci lors des sorties (par exemple, à la piscine, quand, dans ma ville, les enseignants ont bien du mal à trouver des parents volontaires). Il y a ceux qui, démagogiquement, veulent introduire dans la Constitution un article loufoque qui interdirait de placer des convictions au-dessus des lois de la République (ce serait jugé inconstitutionnel, car ça n’a pas grand sens). Il y a ceux qui voient dans toute manifestation d’un attachement à un pays d’origine (brandir un drapeau algérien lors d’un match de foot, klaxonner dans la ville après une victoire turque), à une culture d’origine, un glissement vers un interculturel sécessionniste. Il y a même ceux qui voient une menace dans l’apprentissage et l’usage d’autres langues (en l’occurrence : « celle » puisqu’il s’agit de la députée Annie Genevard s’opposant à l’enseignement de l’arabe au collège à l’Assemblée, pas suivie il est vrai par tous les membres des  Républicains..).On sait pourtant que la meilleure façon de couper l’herbe sous les pieds des intégristes et de ceux qui veulent avoir le monopole de cette langue est bien de l’enseigner dans l’école publique (voir cet antidote des Cahiers pédagogiques ici)

Ceux-là d’ailleurs sont eux aussi partisans au fond d’un repli identitaire, parfois sous couvert d’universalisme.
Cependant il arrive qu’ils dénoncent légitimement certaines pratiques. Mais souvent avec beaucoup d’excès. Ainsi le ministre JM Blanquer peut déclarer à bon droit que des phénomènes alarmants existent dans certaines villes de France (Roubaix par exemple), mais en oubliant aussi les efforts faits dans ces villes (il cite Garges-lès-Gonesse où je sais tout ce qui est fait pour ouvrir la culture à tous…) et en stigmatisant de manière brutale et réductrices des quartiers qui ont surtout été délaissés et où règne la pauvreté (ce sont dans les villes que réside la plus grande pauvreté, comme le font remarquer des analystes comme Pierre Veltz).

De l’autre côté, certains minimisent les problèmes. On va dire par exemple que 99% des musulmans pratiquent une religion tranquille et non menaçante, alors que des enquêtes d’opinion (IPSOS, pour le beau documentaire d’Arte « nous français musulmans ») montrent qu’au moins un sur cinq adhère à une vision intégriste. Bien sûr, il est essentiel de distinguer la tentation djihadiste et l’Islam conservateur, mais celui-ci est une plaie, dénoncée par exemple chaque dimanche matin sur France Culture par l’excellente émission Questions d’Islam de Ghaleb Bencheick. Dans la ville où je vis et où je suis élu, comment ne pas s’inquiéter quand certains enfants arrivent fatigués à l’école, sans avoir fait leurs devoirs (quoi qu’on pense de ceux-ci !) parce que dans une sorte d’école coranique déguisée en institut culturel, ils doivent apprendre par cœur des versets souvent incompréhensibles ? Comment ne pas se désoler de voir des voyages scolaires annulés, avec un coût financier important (arrhes payées à l’organisme qui gère les voyages) parce que des parents ne veulent pas voir leur enfant partir en groupe, et pour certains par crainte qu’ils ne puissent respecter certaines règles soi-disant religieuses ?  Comment ne pas déplorer la multiplication des magasins hallal, quand je repense à une époque où en dehors de la prohibition du porc, on ne faisait guère attention à cela (jusqu’au jour où lors d’une sortie, j’ai constaté, consterné, de bien gentils élèves ont refusé des biscuits ou bonbons « suspects ») ?

Je viens de lire le réquisitoire terrible dressé par Didier Daenincx que j’encourage à lire sur la manière dont certaines mairies encouragent des pratiques douteuses et pour le coup « communautaristes » dans le 93. L’auteur est peu suspect d’être de droite et il s’indigne de la complaisance pour des raisons électoralistes d’élus pour des comportements très anti-républicains. Je ne sais pas s’il y aura une réponse, des justifications, mais en attendant, le constat est terrible (mais l’auteur déclare par ailleurs qu’il est possible de faire autrement et cite des villes où cela ne se passe pas ainsi, avec le même type de population.) Notons que le vrai danger dans les élections municipales n’est pas tellement la présentation de listes dites communautaires affichées comme telles que la présence de certains éléments douteux sur des listes respectables…

On a sur les positions qui, par exemple, banalisent le voile (simple coutume, simple tenue vestimentaire), ou excusent ou justifient certaines attitudes (crier « Allah Akbar » à une manifestation à vocation républicaine, ne pas condamner fermement les menaces de mort contre une jeune fille quoiqu’elle ait pu dire ou écrire, etc.), les extrêmes comme les fameux Indigénistes. Mais là encore, on peut aussi reconnaitre des mérites à ceux qui pointent ce qu’ils appellent l’islamophobie, une notion très contestable mais qui renvoie à des réalités, elles, incontestables !

Comment se situer donc entre dramatisation et complaisance, entre diabolisation et angélisme ?  Sans doute en distinguant d’abord ce qui relève de la loi, du droit et ce qui relève des valeurs.  Rien n’interdit dans la loi qu’un homme refuse de serrer la main à une femme, rien n’interdit d’installer un commerce vendant certains produits, de prôner un conservatisme outrancier dans le domaine des mœurs. Au passage, le bon vieil islam d’autrefois n’encourageait pas vraiment les filles à s’émanciper et condamnait tout autant l’homosexualité, mais il partageait cet obscurantisme, il est vrai, avec beaucoup de familles chrétiennes.  Ce qui est par contre désolant, c’est la régression qui a pu se produire et on sait tout le mal fait par les prédicateurs en tous genres qui aujourd’hui colportent des absurdités (qui fait par exemple que certaines familles refusent la réalité d’handicaps « soignables » puisqu’il s’agit de « mauvais sorts » qu’on va traiter de manière plus ou moins magique).

Ne confondons pas le combat idéologique au nom de la science, des valeurs de liberté, d’émancipation, de tolérance (au sens fort du mot, celui du XVIII ° siècle) avec ce qui relève de la Loi ou des règles établies dans un certain cadre. Il n’est pas admissible qu’un animateur de centre des loisirs fasse pression sur des jeunes pour qu’ils pratiquent le ramadan de façon stricte, comme il n’est pas question de renoncer à des cours sur la Shoah parce qu’ils sont contestés par certains.
Mais l’essentiel reste d’offrir des alternatives, de rendre « aimable » la République et une de ses composantes, notre école. Si l’attitude répressive est parfois nécessaire, elle est peu efficace par rapport à la persuasion, à la coopération qui peut entrainer à oublier les replis dans des activités motivantes.
Je prendrai un exemple suggéré par l’interview de Abdelkader Railane dans l’émission citée plus haut. Il raconte qu’élève, avec d’autres, il s’était mis en tête de revendiquer hautement de ne pas vouloir écrire le mot « église » dans une dictée. L’attitude complaisante de l’enseignant a été d’accepter qu’il mette un blanc à la place. Or, on pouvait à la fois dire qu’écrire un mot n’a jamais été adhérer à ce qu’il représentait, mais surtout tout simplement déclarer que si le mot n’est pas écrit, il sera compté faux comme c’est le cas pour tout mot, oublié, en ne répondant donc pas à la provocation, en restant sur le plan du professionnalisme.

A nous bien sûr surtout de mettre en avant cet Islam des Lumières qui produit aussi de plus en plus de personnalités brillantes dans tous les domaines.  A nous de donner la parole davantage à ces essayistes qui montrent bien la complexité d’une religion  à l’histoire mouvementée.  A nous de favoriser les ponts culturels ; je crois avoir déjà dit ici que ma grande fierté d’enseignant est d’avoir terminé ma dernière année avec des élèves en ayant passé pas mal de temps (en sixième) dans l’étude de textes bibliques, d’avoir montré un extrait de L’Evangile selon saint-Mathieu de Pasolini et surtout d’avoir emmené une classe très probablement d’élèves aux trois quarts musulmans visiter avec bonheur le Musée d’art judaïque à Paris.

Le repli, le collectif coupé de la nécessaire individualisation, l’enfermement dans une histoire rêvée et dans des coutumes qui restreignent la liberté, l’obscurantisme qui refuse les avancées de la science, voilà des ennemis à combattre, mais avec les bonnes armes : l’ouverture, des alternatives plaisantes, séduisantes, mais aussi de la stratégie, de l’habileté, même s’il faut parfois aussi user des ressources de la Loi en faisant respecter celle-ci.
Complexité, oui, bien sûr !

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