Enseigner au XXI siècle

Archives par auteur: Jean-Michel Zakhartchouk

Au sujet de Jean-Michel Zakhartchouk

JM Zakhartchouk a une longue expérience d’enseignant, en milieu populaire, de formateur d’enseignants et de rédacteur des Cahiers pédagogiques et se considère comme un acteur engagé des changements nécessaires de notre système éducatif. Lequel a du mal à s’ancrer dans le nouveau siècle, à répondre aux défis du futur, conjuguer en gros justice, égalité et efficacité. Ce blog où il sera beaucoup question de formation des enseignants, qui doit être permanente, de l’acte d’apprendre et d’un métier en transformation, doit être un lieu de débat plus que de polémique, d’expression d’une pensée complexe plutôt que d’étalage de simplisme, de faux bon sens ou de parti pris non étayé sur des faits et non passé au crible de l’esprit critique. Ce qui n’exclut ni vigueur n i passion….________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Les enseignants savent-ils ce qui est bien pour les élèves ?

J’ai lu la motion issue du Congrès de l’ICEM fin août ; il y aurait pas mal de commentaires à faire, une fois surmontés mon aversion pour l’écriture soi-disant inclusive et mon agacement devant un texte décousu et qui va un peu dans tous les sens, et au-delà de formulations extrêmistes que je suis loin de partager. Mais ici je m’arrêterai sur une phrase qui est la suivante, rétablie en français ordinaire, sans le point médian : « Ce sont les enseignants de terrain qui sont à même de savoir et de construire collectivement ce qui est bien pour leurs élèves » (suite…)

Bac et bashing

Un psychodrame national qui a donné du piment au marronnier actuel : le moment du bac. A côté des images sempiternelles de jeunes exultant à la vue de leur inscription sur la liste des reçus, des sujets de philo traités par divers intellectuels ou journalistes, ou des non moins sempiternelles évocations de triches et de fuites, on a eu droit au feuilleton de la rétention de copies. A ma gauche, les proclamations enflammées : « on n’a pas eu d’autre choix pour se faire entendre », « on a fait notre travail, on a juste retenu les notes, car jamais, ô grand jamais nous ne léserons nos chers élèves à qui nous pensons tous les jours et eux aussi victimes de la surdité (on n’ose plus dire « autisme » et c’est heureux) du ministre. Et de protester contre la réforme du bac, qui n’est-ce pas va aggraver les inégalités et introduire des différences, en oubliant combien elles sont régnantes aujourd’hui. A ma droite, le ministre droit dans ses bottes, avec en appui la porte-parole du gouvernement fustigeant les profs « non élus au suffrage populaire » et la presse à droite, voire très à droite ravie de l’aubaine pour taper sur les profs qui ne respectent pas les devoirs du fonctionnaire. (suite…)

Il se vide ou il se remplit ?

La métaphore du verre à moitié plein ou à moitié vide a un défaut : elle ne montre nullement quelle est la dynamique en cours. Le verre est-il dans une phase de remplissage ou se vide-t-il ?  C’est essentiel.
Mais lorsque le verre tend à se remplir, on peut être impatient : quoi, il n’est pas plein ! C’est ce qui se passe dans bien des cas dans notre monde pressé et dans notre France si souvent enclin au pessimisme et ne voulant plus croire au progrès.

Prenons quelques exemples dans le domaine éducatif.

La dernière enquête Talis sur les enseignants dans différents pays de l’OCDE nous montre un paysage contrasté sur les pratiques des enseignants.
D’un côté, les enseignants français font davantage travailler les élèves en groupes (près de 50%, soit 12% de plus que lors de la précédente enquête). Mais on peut dire aussi que c’est bien insuffisant, surtout si on ne sait pas quelle est la fréquence de ce type de groupe.

De l’autre, on repère une fois de plus l’insuffisance de la formation des enseignants français, en particulier à la gestion de classe (ce qui explique en partie un climat d’indiscipline plus fort que dans d’autres pays, fait pointé par la grande presse, mais qu’on peut aussi interpréter comme une représentation des enseignants, qui peuvent être plus intolérants à certains comportements que dans d’autres pays !). Quand on connait les évolutions récentes de la formation, le fait que dans le premier degré, tout semble centré sur les « fondamentaux », on peut penser que là on est plutôt dans le verre qui se vide.

Certains chercheurs fustigent, à juste titre, l’insuffisante prise en compte dans notre (suite…)

Parler de l’Europe à l’école !

Je ne cache pas mon sentiment profond d’être européen. De même que les adversaires de la pédagogie ajoutent un méprisant « iste » à ce mot pour nous dévaloriser, les nationalistes de tout poil font de même avec « européiste ». Tant pis ! J’aime ce continent tant de fois déchiré par les guerres qui vit en paix depuis de longues années, chose devenue si naturelle qu’on oublie ce fait qui aurait semblé incroyable à nos ancêtres. Bien sûr, il y a des Salvini, des Orban, des Kaczinsky et chez nous des Lepen et Dupont-Aignan qui ternissent l’image d’un continent ouvert, avancé socialement quoiqu’on dise et même écologiquement, malgré toutes les insuffisances qu’on pourra épingler à juste titre.

Est-ce que notre école en fait assez pour faire partager ce sentiment d’appartenir à un passé et un avenir commun européen ? Probablement pas assez. (suite…)

La démocratie et l’Education nationale

Différentes affaires où des enseignants sont rappelés à l’ordre ou sanctionnés suite à des critiques des décisions ministérielles, le vote de la loi « pour la confiance » élaboré par un ministre qui avait pourtant déclaré qu’il n’y aurait pas de nouvelle « grande loi » sur l’école,  des annonces très médiatisées sur la réduction d’effectifs et des petits déjeuners gratuits en REP,  tout cela m’incite à écrire ce billet. Il se trouve que parallèlement, j’ai lu un ouvrage très stimulant de Pierre-Henri Tavoillot Comment gouverner un peuple-roi ? traité nouveau d’art politique (Odile Jacob) qui traite notamment des fondements d’un régime démocratique. Un livre clair, mais tout en nuances et à l’écriture fluide et agréable, qui fait réfléchir, même si on n’est pas d’accord sur tout, mais qui me semble bien supérieur à tous ces ouvrages récents, dont certains visiblement bâclés sur la crise actuelle de notre démocratie. Cela me fournit une grille de lecture en matière de politique éducative que je voudrais partager ici.

Pour Tavoillot, la démocratie digne de ce nom, c’est-à-dire « libérale » (elle s’oppose à ses diverses négations : l’anarchisme de la remise en cause permanente sous couvert de démocratie directe -illusoire-, la fausse monnaie de l’illibéralisme et la pseudo-démocratie théocratique) repose sur quatre piliers :

  • L’élection équitable
  • La délibération suffisante
  • La décision ferme
  • La reddition régulière de comptes

Qu’en est-il du fonctionnement actuel de l’Education nationale ? (suite…)

Des choix syntaxiques très idéologiques ?

Est-il indifférent d’évoquer « les » syndicats, « les » enseignants ou « les » Gilets jaunes au lieu de « des » syndicats, « des » enseignants, « des » Gilets Jaunes ? On sait bien que non, et voilà une belle occasion d’enseigner à la fois les subtilités de la grammaire de manière vivante et concrète et de faire de l’éducation aux médias et à l’information.  Le caractère défini ou indéfini du déterminant a toute son importance. A propos des Gilets Jaunes, il est cocasse de voir certains de leurs défenseurs inconditionnels préférer l’indéfini lorsqu’il s’agit de violences intolérables et le défini lorsqu’on a trouvé que sur les ronds-points, il y avait une grande harmonie et une volonté d’associer les préoccupations écologiques et sociales. A l’inverse, les détracteurs peuvent avoir la tentation de faire l’inverse.

Je me souviens d’un texte de Brecht (mais je ne retrouve pas la référence exacte) décortiqué dans un séminaire de Roland Barthes, où il démontait le discours de Hitler, à propos notamment de la référence à « les » Allemands, ou « le peuple allemand ». Un seul être vous manque et tout est dépeuplé pourrait-on dire : un seul élément peut démentir une loi absolue, un seul comportement différent des autres interdit alors l’emploi du « les » qui veut dire « tous les ».

Reste que des outils de la langue existent dans la série des déterminants indéfinis (ou locutions jouant ce rôle) pour apporter des précisions : « la plupart », «la majorité de », « beaucoup de », « quelques », « quelques rares », « certains », etc.  A manier avec précaution.
A vrai dire, le « les » englobant renvoie aussi à une conception qui fait fi des nuances d’appréciation. Le peuple est unanime, n’est-ce-pas ? Qu’on me permette de préférer la belle formule de Pierre Rosanvallon pour qui « le peuple », c’est un ensemble de minorités. (suite…)

Pourquoi il faut lire Steve Pinker

Un titre provocateur, dans une période où le sommeil de la raison semble réveiller les monstres : « le triomphe des Lumières », un livre épais (plus de six cent pages, mais un prix modique : moins de 25 euros) bourré de chiffres, de schémas et de données, telle est la somme produite par ce chercheur americano- canadien, professeur de psychologie à Harvard, dont l’objectif est de nous montrer que non, tout ne va pas vers le pire, bien au contraire, que le déclinisme est une absurdité, qu’on a des raisons d’être (mais « raisonnablement » justement) optimiste.

Avec de grandes qualités argumentatives et en s’appuyant sur des données nombreuses mais multi sources, de façon très accessible, Pinker met en avant tous les progrès qui ont été accomplis par l’humanité et réhabilite donc les Lumières et le libéralisme dans son sens outre-Atlantique, exalte la connaissance, les sciences, la culture, l’ouverture d’esprit, contre les renfermements identitaires et les populismes. (suite…)

Si loin du réel

Lorsqu’il est question d’école, il y a souvent un tel décalage entre la réalité vécue sur le terrain et les déclarations à l’emporte-pièces ou les décisions qui peuvent être prises par l’institution qu’on doit contenir sa colère tout en se posant la question de la bonne foi ou de la mauvaise foi de ceux qui proposent ou décident.

Ainsi, dans le débat sur l’école dite de la confiance au Parlement, on a atteint les rivages du surréalisme (dans le sens appauvri du teme, sans la poésie et sans le charme de ce mouvement littéraire, bien sûr !) avec les amendements sur le drapeau et sur la carte de France. à afficher dans toutes les salles de classe. Il y a d’abord le fait qu’en période d’économie et de bonne gestion demandée de l’argent public, les dépenses engendrées par le vote de ces amendements sont insupportables. Sauf que sans doute cela finira-t-il par une vague affiche, plus ou moins mise dans les salles de classe, selon le zèle des responsables chargés d’appliquer cette loi dérisoire. Comment peut-on d’ailleurs prôner en même temps l’autonomie des établissements ?   On est cependant toujours un peu le centriste de plus extrémiste : Ciotti n’a pas proposé le drapeau européen, on l’a rajouté, le gouvernement était défavorable à la carte de France, mais les députés ont passé outre (les rares présents dans l’hémicycle à ce moment -là). Et grâce à quelques élus de la « gauche macroniste » et semble-t-il à l’intervention de l’Elysée, on a échappé à l’interdiction du voile pour les mères accompagnatrices, ce qui là aurait été beaucoup plus important et aurait eu dans des villes comme la mienne (zones défavorisées) des conséquences catastrophiques (suite…)