En allant à Shenzhen, cette mégalopole chinoise connue pour être l’usine du monde, nous nous étions fixés comme objectif de rencontrer les « makers », ces bricoleurs qui, mêlant logiciels et composants électroniques, constituent une nouvelle vague d’innovation technologique, celle de « l’internet des objets ».
On estime que près de 50 milliards de ces objets seront connectés d’ici 2020 (du bracelet capable de mesurer votre sommeil et votre jogging aux Google Glass, en passant par les voitures sans conducteur). La plupart seront fabriqués, si ce n’est conçus, à Shenzhen, qui porte le double héritage de la culture de la contrefaçon créative chinoise (dite shanzhai) et des makers qui y trouvent, à des prix imbattables, composants et rapidité d’exécution.
La Maker Faire, cette foire à la bidouille que l’on retrouve un peu partout dans le monde, voit à Shenzhen son édition la plus grande et la plus internationale. Plusieurs inventeurs que nous y avons croisés ont démontré comment ils sont en train de révolutionner l’éducation.
Si le code est le nouveau latin du XXIe siècle, la capacité de faire des objets à la manière des makers est toute aussi importante. Pourquoi ? Tout simplement car nos enfants sont nés dans une « ère numérique ». Le monde réel les ennuie, mais nous savons également qu’il leur est toujours nécessaire pour se socialiser, échanger et se bouger (sic.). Le monde du logiciel a lui seul n’est pas capable de redorer le blason de la réalité pour ces enfants qui utilisent tablettes et applications plus facilement que nous autres parents ou enseignants. Et c’est à Shenzhen que nous avons rencontré trois exemples très différents de ce lien entre makers et éducation.
ArcRobotics, une startup basée à Hong Kong, propose ainsi des robots sur le marché américain, notamment à destination des écoles. Deux d’entre eux servent de support aux enseignants : ils sont démontables, on peut alors expliquer comment les mathématiques ou la physique les font marcher et l’un des objectifs, une fois les entrailles découvertes, est de créer un circuit sur lequel les robots savent se diriger. Le fondateur d’ArcRobotics explique que le contact avec l’objet est facile, instinctif pour un enfant, qui le prend comme un jouet avec lequel interagir. Des lignes de codes sur un écran sont beaucoup plus compliquées et sollicitent moins directement l’imagination.
Les projets du japonais Masakazu Takasu sont encore plus étonnants. Prenant acte que la réalité n’amuse plus les enfants, il a créé deux dispositifs interactifs. Le premier est un sapin de Noël interactif, constitué de plusieurs centaines de LEDs. Avec une application pour smartphone, les enfants peuvent choisir des motifs qui vont s’imprimer en s’illuminant sur le sapin. L’un des mécanismes de jeu demande aux enfants de choisir correctement le motif à afficher par le biais de quizz : une bonne réponse modifie la réalité du sapin et le sourire qui s’affiche sur le visage des enfants montre bien que l’expérience marche. Le second projet de Masakazu est un aquarium digital dans lequel les enfants vont pouvoir s’amuser avec leurs amis. Un rétroprojecteur diffuse sur un mur un aquarium géant. Les enfants peuvent déjà interagir avec les poissons : quand ils les touchent, ceux-ci réagissent, fuient, gigotent. Mais les enfants peuvent également prendre une photo de leurs amis avec leurs téléphones et accoler cette photo à un poisson, les transformant en avatars aquatiques de leurs amis ! À nouveau, les interactions et l’éveil suscités par l’expérience sont manifestes.
Enfin, le singapourien William Hoi a montré comment il tentait de maintenir cette excitation une fois l’expérience passée. Après avoir passé 15 ans à enseigner à Singapour comme instituteur en découverte des sciences, il a créé une application qui tient à la fois de MacGyver et du club des Cinq. Son jeu permet aux enfants d’utiliser des savoirs du monde des sciences et de l’ingénierie (largement simplifiés) pour résoudre des énigmes et, grâce à un cycle d’événements, de revoir les enfants pour assurer le suivi des interactions qu’ils ont pu avoir avec l’application et son univers.
L’importance d’une éducation à la culture makers va au-delà de l’amour du bricolage. De plus en plus, l’innovation doit être locale, adaptée, en réponse à des contextes et des besoins spécifiques. C’est en donnant tôt la capacité à faire — et non pas uniquement à concevoir ou à appliquer — que des solutions peuvent apparaître.
>> Image : photo de MakerFaireShenzen (©)