La formation continue est annoncée depuis un moment comme la martingale, l’eldorado de l’enseignement supérieur. Entre le rapport Germinet et les différents appels à projets lancés, ce sujet a clairement été identifié comme une priorité. Sur le papier, tous les indicateurs sont au vert : un marché énorme, des besoins de formation tout au long de la vie qui s’accélèrent, des enseignants-chercheurs d’excellence, une valorisation de plus en plus importante de la certification et une maturité grandissante de la société sur le sujet.
N’est-ce pas déjà trop tard pour l’enseignement supérieur ?
Des milliers d’organismes de formation, startups, grandes écoles de management/CNAM et cabinets de conseil occupent déjà le marché de la formation continue, pour certains depuis des décennies. Si la transformation numérique va accélérer la recomposition du marché, on ne peut pas vraiment dire qu’il s’agit d’une forêt vierge. La part de marché de l’ESR dans la formation continue est de 450 millions d’euros de CA, soit moins de 5% du marché réel de la formation.
La barrière culturelle est également très forte. La mission de l’enseignement supérieur n’est pas de lancer des offres commerciales de formation professionnelle. De très nombreux enseignants-chercheurs se moquent éperdument de la formation continue, et c’est leur droit. Enfin, l’instabilité réglementaire et les blocages d’universités relèguent ce sujet au second plan.
Trouver sa place dans la jungle de la formation n’a donc rien d’aisé. L’enjeu est donc de trouver une stratégie adaptée, dont voici quelques scénarios.
Être calife à la place du calife
Tout le monde est le vizir d’un calife n’est-ce pas ? Dans un marché de plus en plus concurrentiel, évoluer dans la chaîne alimentaire de la formation est un mouvement naturel et compréhensible. Pour détrôner les grands leaders historiques de l’ »executive education”, deux leviers peuvent être activés : soit une politique de prix agressive à contenu équivalent; soit un ciblage de managers intermédiaires ou de dirigeants d’ETI/PME ne pouvant s’offrir les plus grandes écoles. On peut toutefois nuancer : la reproduction sociale des élites étant ce qu’elle est en France, les leaders de l’executive education ont de beaux jours devant eux.
Devenir le Carlos Puigdemont de la formation
Considérant que le marché des grands comptes est complexe, concurrentiel et inattaquable, une stratégie possible peut être de “verrouiller” son ancrage territorial. Cette approche permet de se donner des objectifs réalistes et atteignables, en jouant sur la fibre régionaliste. L’approche pédagogique consiste dès lors à analyser le bassin d’emploi local pour comprendre quelles sont les compétences les plus demandées, afin de créer les dispositifs correspondant à ces deux variables. Elle permet de devenir leader sur une niche. Votre région est viticole ? Vous vous spécialiserez dans la formation aux métiers du vin. Votre territoire est un ancien bassin minier ? Investissez le champ de la requalification de populations ouvrières etc…
La stratégie du tout digital
Le numérique est évidemment un canal de diffusion à ne pas négliger : les parcours digitaux ou blended learning pouvant être distribués sur des plateformes favorisent cette stratégie de démultiplication.
Néanmoins, restons prudents. Produire des Moocs n’est pas synonyme de construire une stratégie de formation digitale. En effet, les plateformes de Moocs, comme toutes les plateformes – c’est leur essence – induisent une dilution de la marque sous-jacente, qui réalise la prestation. Pour faire simple, tout le monde se rappelle de Booking.com mais pas forcément de l’hôtel…
Ce report de la valeur perçue est un risque majeur pour les écoles/universités. Les acteurs qui privilégient le tout digital sans maîtriser la distribution prennent un risque important : elles investissent leurs fonds propres pour produire des contenus noyés dans la masse. Plus grave, ces contenus servent avant tout à alimenter des plateformes de diffusion possédées par des fonds d’investissement américains dont elles ne toucheront que les miettes, une fois ces contenus monétisés auprès d’entreprises. Les exemples de plateformisation sont maintenant nombreux : hôtellerie (Booking, Tripadvisor, Airbnb), mobilité (Drivy, Uber), médias (Facebook, Google) etc… Distribuer via des intermédiaires est un mal nécessaire dans le monde de la formation. Mais il ne dédouane pas d’une vraie réflexion sur les modes de distribution. Une culture du marketing de l’offre et de la data sont nécessaires, pour placer le digital learning au bon endroit et exister sur le marché. Si l’ESR en veut pas se retrouver dans la situation des groupes de presse dans cinq ans, une réflexion de fond est nécessaire.
Aller là ou on ne vous attend pas
Faire table rase du passé, partir d’une feuille blanche, surprendre son monde : pour se différencier, il faut parfois changer les règles du jeu. Puisque la formation est saturée, pourquoi ne pas se lancer dans un autre marché ? Celui du recrutement ? Celui du conseil ? Celui de l’incubation et de l’investissement ? Celui du transfert de technologies ? La formation devient alors un fil rouge qui soutient une stratégie totalement différente. Le Technion en Israël est un exemple d’acteur universitaire qui s’est spécialisé dans la valorisation de la recherche et l’excubation de startups, par l’intermédiaire d’un fonds de venture capital. Plusieurs écoles ont récemment annoncé leur envie d’investir dans l’edtech en créant des incubateurs ou fonds d’investissement.
Mettre un coup de tampon sur le travail des autres
L’enseignement supérieur français est assis sur un actif qui constitue une barrière à l’entrée majeure : les titres et certifications RNCP. Cette bizarrerie nationale est une forme d’avantage compétitif. La valeur perçue d’un acteur universitaire est telle qu’il suffit parfois d’apposer un coup de tampon sur des services fournis par d’autres. Ce découpage de la chaîne de valeur en segments allant de la conception pédagogique, la distribution, l’animation puis à la certification, me fait penser à l’industrie des marques de distributeur dans l’agroalimentaire : une batterie de sous-traitants artisanaux ou semi-industriels produisent des pièces en marque blanche, ensuite commercialisées par un assembleur ou distributeur qui se concentre sur le marketing. Connaissez-vous par exemple le nom du producteur des yaourts distribués sous la marque Carrefour ?
Les écoles/universités ayant cette stratégie se concentrent alors sur l’animation d’un écosystème de partenaires fournissant les briques pédagogiques, dont elles certifient la qualité et la validation légale par un diplôme ou un certificat.