Le 12 octobre 2010, jour de grève et de manifestation à propos des retraites, se tenait à la Bourse de commerce de paris, une manifestation intitulée : L’apprentissage : des représentation aux réalités. J’y étais invité pour l’animation d’un atelier. L’introduction que je n’ai pas utilisée m’a donné l’idée du billet suivant.
Si l’apprentissage se trouve dans une situation plutôt difficile en France, on peut se demander pourquoi ? Je propose un regard historique qui nous distingue de nos voisins européens.
Comparer à d’autres pays d’Europe, le système de l’apprentissage est moins développé, et sans doute moins accepté par les différents acteurs, chez nous en France.
Pourquoi ?
Je proposerais quelques pistes historiques.
L’ancien régime et la Révolution française
La suppression des corporations
A ma connaissance, nous sommes le seul pays à avoir supprimer le système des corporations. Cela s’est produit il y a plus de deux cents ans :
- l’Edit de Turgot, de février 1776 portant suppression de jurandes et communautés de Commerce, Arts et Métiers.
- la loi rapportée par Le Chapellier le 14 juin 1791, interdisant toute association entre gens de même métier et toute coalition.
Les corporations assuraient la liaison entre formation et insertion. Le modèle corporatiste reposait sur les principes suivants :
- le temps et le processus de la formation est une insertion
- il faut être formé pour être employé
- la formation est une activité interne à « l’entreprise », au travail.
Aussi ce qui disparaît avec les corporations c’est la fonction « formatrice du travail » comme évidence. C’est donc sur un vide idéologique que se développent les formations professionnelles au cours du XIXème siècle, pour la plupart à distance du monde du travail.
Pour quelques détails, voir Bernard Desclaux : Des particularités françaises, in L’orientation, c’est l’affaire de tous – 1. Les enjeux, Coordonné par Dominique Odry, série « Dispositifs » de la collection « Repères pour agir. Second degré », 2006.
La noblesse de la formation professionnelle
L’état français s’est intéressé à la formation professionnelle des élites en créant toute une série de « Grandes écoles », dont les principales étaient pour(liens vers Wikipedia)
l’armée :
La première école d’officiers d’artillerie fut créée par Louis XIV en 1679 à Douai
École des ingénieurs-constructeurs des vaisseaux royaux 1741
L’école militaire à Paris est créée en 1748
en 1794 l’École polytechnique
l’économie :
École royale des ponts et chaussées 1747,
École des mines de Paris , 1783
La scolarité, une question d’état depuis la révolution
A partir de 1789, s’élabore une conception « étatique » de l’éducation : un enseignement national, unique, neutre et gratuit, s‘opposant en cela à l’éducation organisée par les religieux, mais aussi à l’éducation parentale. Et Condorcet élabore également l’idée que l’enseignement technique est une fonction d’état. On dirait aujourd’hui que l’état doit assurer l’employabilité de ses citoyens.
Le XXième siècle
L’apprentissage en France
Trois problèmes dans l’industrialisation en France :
- un manque de personnel qualifié,
- il y a beaucoup d’accident du travail imputés à cette situation,
- et beaucoup d’enfants sont utilisés avec des risques pour leur développement, malgré les loi d’interdiction du travail des enfants…
Dans le vide créé par la suppression des corporations, l’élitisme professionnel, et la conception de l’état éducateur, au cours de la deuxième partie du XIXème siècle, on voit apparaître une nébuleuse de formations professionnelles, après le primaire et pour les enfants du peuple :
- des écoles d’entreprises, comme celle de Godin ;
- des écoles municipales, comme celles de la Ville de Paris
- des écoles de l’enseignement technique relevant du ministère
- des ENP organisées par le primaire.
Mais elles représentent en fait très peu de formés. Ceux-ci sont les élites des classes populaires. Cette formation professionnelle est une promotion sociale aussi. On peut se reporter à Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France, 1800- 1967, Armand Collin, 1968, et à un article en ligne de Guy Brucy .
Après la première guerre mondiale, trois lois (1919,1922, 1938) instituent et organisent l’apprentissage, les cours obligatoires, le financement, et le contrôle de l’entrée en apprentissage. L’avis d’orientation autorisant à signer le contrat est donné par un conseiller d’orientation professionnelle.
A cette époque, l’apprentissage se situe dans le prolongement de l’enseignement primaire, réservé aux couches populaires. Il apparaît comme une promotion sociale pour les meilleurs, les meilleurs des meilleurs étant dirigés vers l’Ecole normale d’instituteurs.
L’étatisation de la formation professionnelle initiale
Au fur et à mesure différents types d’écoles de formation professionnelle se développent et forment à différents diplômes (l’apprentissage étant réservé au CAP, premier niveau de diplôme professionnel, créé en 1911).
Ces formations, ainsi que l’apprentissage recrutent les élèves du système primaire qui a créé des formations post « CM2 ». La plupart de ces établissements seront nationalisés à l’issue de la seconde guerre mondiale et rattachées au ministère de l’éducation nationale.
Le directeur de l’Enseignement technique, Hippolyte Luc, en profite pour standardiser les diplômes et renforcer la capacité d’intervention de l’Etat dans le champ de la formation professionnelle. Demeuré à son poste après 1940, il utilise les conditions politiques nouvelles, pour faire aboutir un projet visant à confier à l’Etat, et à lui seul, le monopole de l’organisation des examens et de la délivrance des diplômes professionnels. C’est chose faite avec la loi du 4 octobre 1943. Si on considère que le diplôme délivré sous l’autorité de l’Etat central selon des normes scolaires est la forme institutionnalisée par excellence, une étape décisive a été franchie.
L’unification du système scolaire
La réforme Berthoin 1959, la création des CES en 1963 (Fouchet), le collège unique de 1975, de Haby, ont homogénéisé l’organisation de l’enseignement scolaire post CM2. Et les orientations vers les CET sont calés après la cinquième et la troisième.
Ce faisant, avec notre système d’orientation, les formations professionnelles scolaires sont devenues des orientations pour les élèves qui ne réussissaient pas selon les critères académiques, et dans le contexte de l’allongement de la scolarisation des jeunes, l’apprentissage est devenu dans les années 70 une voix pour les exclus de la longue scolarisation. Sauf cas très particulier de choix de l’apprentissage, en particulier pour les métiers de l’artisanat pour lesquels il n’y a pas ou peu de formation professionnelle organisée par l’EN, les jeunes entrant en apprentissage sont des exclus de la formation initiale, et sont de « mauvais élèves ».
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Une concurrence régulée ?
La loi 87-572 du 23 juillet 1987 représente la plus importante réforme de l’apprentissage. Elle vise à faire de l’apprentissage une filière de formation professionnelle au même titre que l’enseignement technologique de niveau secondaire et supérieur. Cette loi permet en effet, grâce à des contrats d’apprentissage successifs, d’accéder à tous les niveaux de qualification professionnelle : du niveau V sanctionné par un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP), au diplôme d’ingénieur (niveau I-II), en passant par tous les autres diplômes.
Elle supprime également la nécessité de l’avis d’orientation, créé en 1938.
Avec cette loi organisant une filière de formation, l’alternance n’est plus réservée aux mineurs. Le contrat d’apprentissage peut être signé par un nouveau public de « jeunes adultes », mais aussi pour des formation de haut niveaux, déconnectant le lien apprentissage-basse qualification.
Depuis, une autre déconnexion s’est faite entre apprentissage et formation initiale par la création des contrats appelés aujourd’hui contrats de professionnalisations, ouverts également aux adultes (au delà des 26 ans de l’apprentissage), et permettant des qualifications ou des reconversions durant la vie active.
Enfin, il faudra suivre les répercussions sur l’apprentissage, et pas seulement sur l’apprentissage d’ailleurs, de deux autres fortes modifications des conceptions françaises :
- une remise en cause du monopole de l’état dans la délivrance des diplômes par la loi de modernisation sociale n°2002-73 du 17 janvier 2002 instituant les QCP
- une rupture du lien formation-certification par la création de la VAE par la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
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j’ai vu sur ce site qu’on pouvait partir en Europe durant sa période d’apprentissage :
http://www.touteleurope.eu/fr/actions/social/education-formation/presentation/passeport-mobilite-des-apprentis.html
En savez-vous plus à ce sujet ?
Je n’en sais pas plus que vous. Mais il me semble que vous devez explorer le passeport sur ce site, on y indique qui peut postuler. Il s’agit de périodes courtes (2 semaines) en cours de formation.
Il me semble que c’est une très bonne idée.
Bonjour,
Je viens de lire votre billet et je reste sur ma faim!Pourquoi en effet l’apprentissage n’est-il pas assez développé en France? Vous ne répondez pas à votre propre interrogation.
J’estime personnellement que le recrutement des enseignants par cosanguinité y est pour beaucoup!Un métier ne peut être transmis que par des professeurs ayant un expérience professionnelle significative de ce métier, et non simplement un diplôme, qui n’est qu’une présomption de compétences.L’exemple des compagnons du devoir est à mettre en avant, de même que celles des formateurs allemands en entreprise.
Bonjour, j’ai vu sur votre blog que vous avez ce livre de Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France, 1800- 1967, Armand Collin,1968.
Accepteriez vous de me le vendre.
Je vous remercie de vore réponse, et si oui, de votre offre la plus correcte.
J’ai 63 ans.
Je suis Francis CABY 22 rue de Bapaume
62450 Le Transloy. Tel 03 21 51 60 88
Salutations.
Bonjour, est-ce quelqu’un peut me dire à quoi correspond le sigle QCP indiqué plus haut dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 ?
Merci
Il s’agir ces « CQP » et non des QCP…
Pour une définition, voir par exemple la page :
LE CERTIFICAT DE QUALIFICATION PROFESSIONNELLE (CQP)
http://www.ccip93.fr/upload/lettrerh/052007%20cqp.pdf
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[…] de la formation professionnelle en France, suite à la suppression des corporations (voir mon post sur l’apprentissage). On pourra lire le chapitre « Un diplôme pour les apprentis ? » du livre de Guy Brucy […]
[…] Ajoutons enfin que, sur le plan des procédures d’orientation, l’apprentissage n’a jamais été une voie d’orientation, autrement dit, les conseils de classe n’ont jamais pu imposer l’apprentissage comme voie d’orientation. A la fin de la scolarité obligatoire (16 ans ou sortie de 3ème), un jeune, avec l’accord de sa famille peut signer un contrat d’apprentissage, mais les conseils de classe ne peuvent l’imposer. Et comme ancien directeurs de CIO, je peux dire heureusement ! Voir notamment mon post intitulé Apprentissage : le contexte historique français. […]
[…] déjà rappelé quelques éléments du contexte particulier français de l’apprentissage dans un article précédent. Nous nous sommes interrogé sur l’appartenance de l’apprentissage au système […]