Toujours dans le cadre de la résistance de l’éducation nationale face au politique, nous proposons l’exemple de la suppression du CAP. Il ne s’agit pas de la suppression totale de ce diplôme, encore bien vivant, l’ONISEP vient de publier par exemple les 42 fiches de CAP préparés en Picardie , mais de sa suppression comme voie d’orientation après la cinquième.
Pour une histoire plus large de la formation professionnelle en France on pourra se rapporter à l’article de Gilles Moreau « L’enseignement professionnel ou la défaite d’un projet émancipateur »
La création du CAP
Le CAP est considéré comme le plus vieux diplôme professionnel en France. Le CCP (certificat de capacité professionnelle), créé en 1911, puis le CAP (certificat d’aptitude professionnelle) créé en 1919, tentent de résoudre le problème de la formation professionnelle en France, suite à la suppression des corporations (voir mon post sur l’apprentissage). On pourra lire le chapitre « Un diplôme pour les apprentis ? » du livre de Guy Brucy « Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel (1880-1965), L’État, l’École, les Entreprises et la certification des compétences », Belin, 1998.
Ce diplôme, créé à l’origine à l’exclusivité des apprentis, sera préparé dans une forme scolarisée. Au départ il s’agit d’un diplôme local, et dans beaucoup de départements, et selon les organisations locales des « métiers », il est ou non mis en œuvre. Défini localement, sa reconnaissance est donc surtout locale, mais à partir de 1936, il apparaît dans les conventions collectives. La création de CAP se trouve alors validée par Paris, le secrétariat à l’enseignement technique, rattaché au ministère de l’éducation nationale, et les lieux de formations sont pour la plupart les ENP (école nationale professionnelle). Tout est près pour une scolarisation de la formation.
Et sa scolarisation
Deux événements importants de cette histoire se situent au cours de la seconde guerre mondiale : la création des centres d’apprentissages, qui en fait scolarisent la formation professionnelle, et le texte du 4 octobre 1943, qui, peut-on dire, fonde le monopole de l’état en matière de validation de la formation professionnelle. L’entreprise produit, et l’état forme.
Et donc au retour de la guerre, la lente réorganisation de l’enseignement fini par « caler » l’entrée en formation scolaire du CAP à la fin de la cinquième, à peu près en cinquième, car le critère essentiel, c’est l’âge de 14 nécessaire pour rentrer en formation professionnelle. Autrement dit les redoublements en primaires sont de bons prédicteurs… Suit alors des réformes sans doute plus connues.
Des décisions politiques de fermeture des CAP après la cinquième
1959, réforme Berthoin
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Création du BEP : la formation professionnelle est conçue comme devant commencer seulement après la 3ème
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A chaque BEP créé correspondra la suppression des CAP correspondants
1975, réforme Haby
- Le collège unique
- Le maintien de l’orientation fin 5ème
1994, réforme Bayrou
- Le collège en 3 cycle : la 6ème, la 5ème et la 4ème, et la 3ème.
- Fin de l’orientation fin de 5ème
A la création effective des BEP en 1966, aucun CAP ne sera fermé.
L’année suivant la mise en œuvre de la réforme Haby, une circulaire est publiée. Elle commence par « A titre dérogatoire…. l’orientation fin de cinquième est maintenue, et l’orientation vers un CAP est possible avec l’accord de la famille ». J’arrive dans un collège en Seine-Saint-Denis l’année suivante, et les parents ne sont toujours pas informés de cette petite modification, leur donnant le droit de refuser une telle orientation.
Et cette « dérogation » à la loi (tout élève rentré en sixième sortira du collège en troisième), est enfin supprimée par le nouveau découpage du collège dit « Bayrou » en 1994.
A leurs fermeture effective
Les quelques CAP existants encore préparés sous forme scolaire se trouvent enfin placés après la troisième à la suite de la réforme Bayrou. Antoine Prost dans une interview de 1998, résume ce moment de la manière suivante : « Quand on veut réformer l’éducation, on le fait! Avec rapidité, qui plus est. En cinq ans, par exemple, on a supprimé une filière par laquelle passaient 100 000 élèves chaque année : les classes de CAP ont été remplacées par celles du bac professionnel. Les professeurs ont été recyclés, les programmes, modifiés. On a réformé vite et bien. Ce sont les recteurs qui s’y sont attelés, avec plus ou moins de rapidité selon les académies – dans celle d’Aix-Marseille, cela a été terminé en 1988; dans celle d’Orléans, cela s’est achevé l’an dernier. Les vraies réformes de l’Education nationale sont de ce type: elles se mènent sans consignes, sans même de circulaires. »
Il faut en effet rappeler le principe des moyens : en 1985, est créé le bac professionnel. Où trouver les moyens humains, les locaux ? Il suffit peut-être, compte tenu de modifications, de translater les moyens attribués à la préparation du CAP vers celle du bac pro.
Si les recteurs ont finalement mis en œuvre assez rapidement en effet cette réforme, c’est donc sans doute parce qu’il y avait un problème « technique ». Mais reste que la nécessité politique de la suppression des CAP après la cinquième a mis beaucoup de temps pour être perçue !
Alors pourquoi cette longue résistance ?
Sans doute, et c’est une hypothèse un peu rapidement formulée, que le secondaire français lorsqu’il s’est ouvert à l’ensemble de la population scolaire avec la fin de l’examen d’entrée en 6ème en 1956 (voir l’article dans Education & Devenir : Claude Lelièvre et l’examen d’entrée en 6e de JF COPE) avait besoin d’une « porte de sortie ». Comment penser que tous les petits français soient accessibles à la Culture ? Et c’est bien sur la base de l’échec scolaire que l’orientation vers le professionnel fut organiséei. Et les collègues conseillers d’orientation-psychologues reçoivent encore des demandes formulées par les enseignants de collèges bien avant la troisième.
Et à partir de cette hypothèse, on peut se demander quel est le rôle aujourd’hui de la procédure l’orientation en fin de troisième. Voir l’un de mes posts sur ce blog : Conséquences du collège unique.
Au fond la prochaine étape sera peut-être celle du lycée unique ?
Bernard Desclaux
Autre article sur le thème de la résistance de l’éducation nationale :
La suppression des petites classes des lycées
iBernard Desclaux : La procédure d’orientation scolaire : une évidence bien française, in TransFormations, Recherches en éducation des adultes, L’orientation : une problématique renouvelée, n°3 mars 2010, pp. 77-97.
[…] suis-je ? 11 April 2011 « Crise de l’autorité dans l’éducation nationale La suppression des CAP […]
[…] les Entreprises et la certification des compétences », Belin, 1998. Voir également mon post « La suppression des CAP » […]
[…] suis-je ? 24 June 2011 « La suppression des CAP Depuis quand l’apprentissage fait-il partie du système éducatif ? […]
[…] Au passage, il est amusant de relire les considérations sur les enseignants et les conseillers d’orientation. Et comme la confiance en les hommes est faible, mieux vaut assurer les choses par la structuration du système. En 1959, lors de la loi Berthoin, on décide de reporter l’orientation professionnelle après la troisième en créant le Brevet d’enseignement professionnel (BEP). La création d’un BEP devait entrainer la suppression des CAP correspondants ! Voir mon article La suppression des CAP. […]