Dans un précédent post je me suis interrogé sur le livre de Jean-Robert Pitte : « Orientation pour tous, Bien se former et s’épanouir dans son métier » (François Bourin éditeur, 2011), et en particulier sur le rapport entre le diagnostic qu’il posait et le remède proposé.
Avant de passer du diagnostic au remède, il serait peut-être utile de s’interroger sur le système de causalités qui produit l’état diagnostiqué.
Et ce système de causalité, c’est très largement notre système scolaire
Si les jeunes français et les adultes sont ainsi que le constate Jean-Robert Pitte, c’est qu’ils sont le produit d’un système éducatif. Lors de la dernière publication de l’enquête PISA, je rappelais sur ce blog la manière dont elle fut reçu en France dans une série de posts ouverte par « PISA : la claque pour la France ? » . Pour la parution du PISA 2003 , je notais « Parmi la liste des biais de l’enquête qui sert de système de défense, il y en a un qui enfin apparaît. On remarque que les élèves français s’abstiennent de répondre quand ils ne comprennent pas la question ou qu’ils ne sont pas sûrs de tenir la réponse. Il y a là une piste de réflexion sur le rôle de la faute et de l’erreur dans la pédagogie française. ». Chez nous, au fond la prise de risque est sanctionnée immédiatement par la mauvaise note qui a des conséquences.
Depuis la fin du XIXème siècle notre système est organisé par la question fondamentale du « passage dans la classe supérieure », cette question s’étant structurée par la suite dans nos procédures d’orientation (voir mon post « Notation et orientation se tiennent la main »).
Ainsi toute « production scolaire », une réponse orale, un devoir, une attitude, sont notées et serviront à évaluer l’élève. A tout moment l’enseignant français se doit de pouvoir porter un jugement sur ses élèves. Comment se mettre à l’abri de cette pression si ce n’est en « objectivant » ce jugement par la notation d’une performance ? Ceci s’est emballé en particulier après la suppression des compositions trimestrielles, puis la mise en œuvre des procédures d’orientation de 1973. J’ y reviendrais sans doute dans un prochain post.
Le temps de l’apprentissage n’est ainsi jamais protégé
Il est toujours soumis à sa transformation en note. La sécurité permettant la maturation n’est pas de mise dans notre système. Comme le dit Philippe Jamet dans son excellent post, l’estime de soi est mise à mal, il n’y a pas de développement de la culture de la responsabilité et encore moins de la valeur de l’erreur . A cela je rajouterais que la créativité et le travail collaboratif sont exclus.
Un exemple : l’apprentissage des mathématiques au Japon. Angela Martini faisait remarquer que l’on observait une distribution très concentrée des résultats des élèves en mathématiques. Parmi les explications, il y en a une qui relève du contexte social dans lequel la comparaison différenciante des enfants n’est pas admise. Mais surtout et c’est cela qu’il est intéressant de pointer : la pédagogie est basée sur la résolution de problèmes en collectif et l’objectif n’est pas de trouver la bonne solution, mais toutes les solutions possibles.
Retour sur le remède
Comment ce service public d’orientation tout au long de la vie pourrait-il résoudre ce problème de manque d’appétence de la majorité des français pour leur orientation qu’il décrit ?
Ce n’est pas à la fin d’un long processus de dépréciation des personnes, de plus en plus long d’ailleurs, que la solution se trouve. Tout le long de la circulation scolaire, l’élève se trouve soumis au jugement professoral, institutionnel, qui décide de son passage ou de son non-passage dans la classe supérieur. Au grand tournant de la troisième, c’est encore la sentence institutionnelle qui tombe et qui oriente. Comment un tel système peut-il produire des êtres responsables d’eux-mêmes ? Tout le monde en sort marqué d’une manière ou d’une autre.
Pour simplifier, notre système produit trois types de profils de membre d’une société :
- Les happy few, qui ont réussi, mais dont une partie fera sans doute une belle crise autour des quarante ans ;
- Les broyés, les exclus de la réussite, constitués en grande partie par les sortant sans diplôme ;
- Et enfin, les « survivants », ceux qui sont passés, quand même au travers des barrages.
Comment ce service à la personne pourrait-il restaurer les effets du stress permanent que produit notre système scolaire ? Olivier Rollot dans un post intitulé « L’obsession évaluative », une maladie française ? , écrit en conclusion : « Dans certains pays scandinaves, les élèves ne sont pas notés avant… la cinquième. Inimaginable pour nous, ce système de confiance totale n’en permet pas moins à la Finlande ou à la Norvège de se placer en tête des classements internationaux. Dans ces pays, ne pas être noté ne signifie en rien que les élèves sont livrés à eux‐mêmes. Tout au contraire, il leur est porté une attention de tous les instants, mais qui ne passe pas par une notation jugée destructrice pour les plus jeunes enfants. »
L’autre remède évoqué : le pdmf
Dès le chapitre I du livre de jean-Robert Pitte, le parcours de découverte des métiers et des professions (pdmf) est décrit comme le dispositif pédagogique permettant de nourrir le projet d’orientation de l’élève. Remarquez que l’on est toujours sur ce fameux sujet institutionnel qu’est l’élève. Comme si un sujet institutionnel pouvait avoir un projet autonome. Mais admettons.
La question essentielle reste celle que j’avais déjà soulevée dès la mise en œuvre de l’éducation à l’orientation : comment ces actions, ces dispositifs peuvent-il avoir un effet éducatif dans un contexte qui repose sur la contrainte et non l’autonomie des individus ? Autrement dit, leur efficacité réclame une modification en profondeur du fonctionnement de tout notre système éducatif, dont un des piliers se trouve être les procédures d’orientation (voir notre post : La résistance des procédures d’orientation, jusqu’à quand ?)
Bernard Desclaux
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