La question de l’école sera sans doute un thème de la campagne présidentielle, et l’autonomie de l’établissement y sera centrale. Autonomie de moyens, autonomie de recrutement, autonomie pédagogique s’affrontent, mais elles sont parcourues par une autre interrogation qui concerne la conception organisationnelle de l’établissement.
Au fond l’autonomie de l’établissement a-t-elle besoin d’un chef ou d’un leadership ?
Hasard ?
Parmi les 30 propositions formulées lors de la convention sur l’éducation que l’UMP vient de tenir, il y en a deux qui ont, entre autres, retenues mon attention et celles de nombreux commentateurs :
1. Le proviseur, le directeur d’école, , le chef d’établissement doit être un manager, un chef d’entreprise qui, en tant que tel va pouvoir recruter ses professeurs, son personnel
2. Autonomie des établissements scolaires
Quelques jours avant j’écoutais la conférence sur le site de l’ESEN de Romuald NORMAND, maître de conférences, UMR Éducation & Politiques, Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) : Le chef d’établissement pédagogue ? Apports de la recherche internationale dans laquelle il développe et décrit la notion de leadership telle quelle fonctionne dans les pays anglo-saxon.
Et ça a fait tilt ! Nous avons en France une conception très verticale de l’organisation. Et l’UMP semble particulièrement y adhérer, sans être sans doute la seule.
Deux conceptions opposées
Notre conception de l’organisation qui s’applique à l’établissement scolaire est basée sur une distinction fondamentale : il y a un chef qui sait, qui contrôle, qui a la maîtrise, et le reste de l’organisation est constitué de ceux qui exécutent. Notre représentation est en quelque sorte « formelle », c’est un modèle idéal dans lequel le savoir et le statut justifie le pouvoir sur les autres. On est dans une relation de tout ou rien. Tout est d’un côté et rien de l’autre. Si l’un a du pouvoir, alors il a le pouvoir, et les autres ne l’ont pas. Et lorsque l’on sort de cet idéal, et que bien sûr ça ne fonctionne pas tout-à-fait aussi bien, la difficulté peut être rejetée sur l’autre. Pour le chef, les autres sont des incapables, qui ne comprennent rien, qui refusent tout… Mais pour ceux-ci, le chef est bien sur un incapable, ou un démagogue, ou un « petit chef » (car il y en a bien sûr des grands), etc.
Au fond ce schéma décrit ce qui devrait être, la norme de l’organisation, mais pas comment celle-ci fonctionne réellement.
La conception que Romuald Normand décrit est bien différente. Comme il le dit, on est dans le pragmatique : « comment s’y prendre pour ».
Il propose la définition suivante du leadership : « un processus d’influence sociale dans lequel une personne ou un groupe exerce une influence intentionnelle sur une autre personne ou sur un autre groupe afin de structurer une ou des activités et les relations sociales au sein d’une organisation ».
On est bien dans une conception reposant sur le processus dans une optique de changement et non pas dans une conception formelle reposant sur l’autorité.
Rapportons quelques principes du leadership tels qu’il les formule dans son diaporama (récupérable sur le site de l’ESEN).
Le Leadership
C’est |
Ce n’est pas |
• Une dynamique collective de travail • Un ensemble d’attitudes et de relations sociales • Un partage des connaissances et des compétences • Une transformation effective des attitudes, motivations, comportements |
• L’administration • Le management • Le pilotage
|
On voit bien la distance qu’il peut y avoir avec notre conception du fonctionnement de l’organisation basée sur le principe d’autorité et non pas sur celui de participation, de collaboration.
Deux particularités du leadership
Pour enfoncer le clou, ajoutons deux autres précisions que Romuald NORMAND énonce dans sa conférence.
Tout d’abord, l’enseignant peut être aussi un leader… Car il y a dans les pays anglo-saxons un principe de leadership distribué. Et il présente trois fonctions de l’enseignant leader :
• Tuteur/formateur
• Gestion et animation des collectifs de travail
• Organisation et management de l’établissement
La première fonction de formateur au sens large existe en France, mais avec des conditions particulières. Si le tuteur est le plus souvent tuteur d’un collègue du même établissement, il est très rare que la fonction de formateur soit exercée dans son propre établissement. Les formateurs « officiels » sont soit déchargés d’heures de service ou payé à la vacation par l’organisme rectoral organisant la formation continue des personnels de l’EN. Depuis quelques temps on peut observer des pratiques de formation de pairs dans les établissements autour des TIC. Mais pas de co-formation publique locale sur le thème des disciplines ou de la pédagogie. Et si cela se fait, c’est sur la base d’une collaboration entre des personnes, et non pas comme un processus organisé, reconnu et soutenu par la hiérarchie.
Pour ce qui est de la deuxième fonction, gestion et animation des collectifs de travail, on pourrait nous rétorquer que c’est bien là le rôle du professeur principal. En effet, mais sur le papier, dans les BO. Car il faudrait qu’il existe de réels « collectifs de travail » : l’équipe pédagogique, l’équipe éducative, le conseil de classe… ?
Quant à la troisième fonction, organisation et management de l’établissement, il y a crime de lèse-majesté. Il faudrait encore que la notion de délégation dépasse la relation du chef d’établissement et de son adjoint, qui déjà pose problème.
Concurrence ou succès de tous ?
Il ne faut pas oublier la troisième proposition de l’UMP : la suppression de la carte scolaire. Elle créerait les conditions parfaite d’une concurrence entre établissements.
Romuald NORMAND dans la conclusion de sa conférence signale les derniers développements de la notion de leadership dans les pays anglo-saxons qu’il rassemble sous l’expression le leadership systémique et qui va à l’encontre justement du principe de concurrence comme organisateur, moteur du changement interne des établissements.
Nous vous laissons méditer sur cette formule de Romuald NORMAND :
«si vous, comme chef d’établissement, souhaitez que votre établissement s’inscrive dans une dynamique de changement, qu’il transforme sa politique et ses pratiques pédagogiques de manière efficace, alors vous devrez être concerné non seulement par le succès de votre établissement mais aussi par le succès des établissements voisins»
Bernard Desclaux