Le 16 novembre 2011, le Parisien publiait un dossier sur l’orientation intitulé : « L’orientation, toujours l’angoissant casse-tête ». L’orientation, ainsi présentée est un problème pour l’élève, éventuellement pour ses parents, d’abord parce qu’il est difficile de s‘informer, et accessoirement de se décider. Ce dossier est clôturé par une formule d’un ex-élève d’Aubervilliers : « Mon destin m’a échappé ».
Mais silence sur nos procédures d’orientation qui génèrent cette situation.
« Les élèves se perdent dans un maquis d’information »
C’est la déclaration de Jean-Robert Pitte, DIO, rapportée dans ce dossier. Il est chargé d’une réforme de ce secteur tendant à coordonner les différents organismes d’orientation, afin d’assurer un service public d’orientation tout-au-long de la vie (SPOTLV). Vous trouverez plusieurs posts sur ce blog avec le tag : DIO ou SPOTLV.
Au fur et à mesure de la complexification de la formation initiale et continue et des difficultés d’insertion professionnelle des adultes et des jeunes, la France organise ou laisse s’organiser divers réseaux d’information, de conseil et de traitement des populations concernées. Cette réponse par catégories, segments, silos, se trouve dépassée aujourd’hui. Vive la continuité du processus et l’information, l’orientation, la formation, l’insertion toute la vie.
Si ce projet d’un SPOTLV est à défendre, cela suppose de mieux réfléchir à ce à quoi il s’attaque, et à ce qu’il laisse subsister. Si ce changement peut être opérant, c’est à la condition qu’il ne se passe pas par simple ajout en laissant l’ancien subsister. Il doit transformer l’existant. Il ne peut s’agir que d’un changement de type II (modification du système lui-même et non pas ajout d’un élément).
Des organisations en silos
Face à un problème social la France a tendance à réagir de la même manière : on créé des mesures « ad hoc » (qui en fait deviendront pérennes), et un organisme spécialisé qui identifie les « ayants droit ». On pourrait attribuer à des organismes déjà existant la nouvelle fonction. Non il faut spécialiser. Un exemple : la création des Missions locales. La fonction aurait pu être attribuée aux CIO et/ou aux ALE (Pôle emploi aujourd’hui), mais pas possible : les bénéficiaires ne sont plus scolarisés et pas encore employés/employables ! C’est une nouvelle catégorie qu’il faut distinguer des autres.
Il suffirait de simplifier l’information
En simplifiant l’information, la tâche d’orientation de la personne en serait simplifiée. Comme si informateurs et conseillers prenaient un malin plaisir à complexifier, à rendre opaque, difficile d’accès l’information. Ceci sans doute à fin de rendre leur propre métier d’autant plus utile.
Mais ce n’est pas l’information qui est complexe, c’est la réalité. Une information simple supposerait un monde parfaitement organisé, parfaitement normé, stable, prévisible… ce n’est pas le cas, et d’une certaine manière heureusement. Un monde simple, transparent est un monde totalement contrôlé et mort.
L’information est un processus social long et complexe
Un premier exemple
L’ONISEP doit produire une immense base de données sur l’offre de formation initiale des établissements scolaires en France. Cette base est alimentée par une enquête qui se veut la plus exhaustive possible, menée par les DRONISEP dans chaque académie auprès des chefs d’établissement, impliquant comme autres informateurs, les directeurs de CIO et des services du rectorat. C’est un processus de récolte et de vérification de l’information.
Cette base est utilisée pour éditer les documents distribués aux élèves pour formuler le choix d’orientation et d’affectation. C’est difficile et complexe, mais utile et faisable, semble-t-il…
Oui, sauf que au moment où ce document est remis à l’élève, le recteur n’a pas encore arrêté la carte académique des formations… Les deux processus, celui de l’orientation et celui de la carte des formations ne sont pas coordonnés temporellement.
Un deuxième exemple
L’information sur les formations universitaires est-elle plus simple ? Qui produit et contrôle l’information, le SCUIO ou chaque département universitaire ? Qui décide de la forme et du contenu, du degré de précision ? Y a-t-il une norme de formalisation de l’information ?
Au temps de l’information papier, moment où je travaillais dans une université de la région parisienne, je peux affirmer que non, rien de tout cela. Le SCUIO, même rattaché à la Présidence de l’Université n’avait aucun pouvoir réel sur les départements pour réclamer et surtout obtenir l’information en temps et en heure et à la forme réclamée.
Et au temps de l’internet ? La lutte se poursuit et la course au portail des portails est ouverte.
L’orientation, un processus personnel ou un traitement des personnes ?
Améliorer l’information et le conseil, et l’accès à ceux-ci, comme l’espère Jean-Robert Pitte en développant le SPOLTV, suppose une interprétation de l’orientation comme tâche individuelle et personnelle. C’est sans doute l’horizon qu’il faut se fixer. Mais ne faire que cela, cache la réalité de la conception française de l’orientation en tout cas dans le monde scolaire secondaire. Et nous l’avons déjà dit cette conception est structurante pour chacun (Voir un post précédent « Les procédures d’orientation : préparation à l’orientation tout au long de la vie ?« ).
Nos procédures d’orientation laissent supposer que le choix de l’élève est premier et essentiel. Mais les réels décideurs de son orientation étant les personnels de l’éducation, enseignants de l’élève et chef d’établissement (et non pas les COP), ce sont les critères scolaires (réussite, difficulté dans les matières) qui fonctionnent et non pas la motivation de l’élève. D’où l’intégration très vite par l’élève de ces critères pour arrêter leur « propres choix », et même au-delà de l’emprise de ces procédures, les élèves de terminales formulent leurs vœux à partir de la perception des nécessités scolaires et disciplinaires.
Si développer un service public d’information et de conseil en orientation est nécessaire pour aider les membres de la société dans la tâche sans doute de plus en plus permanente et répétitive de se réorienter, ce n’est pas suffisant pour que son utilisation soit efficace. Il faut encore que les compétences et les capacités à s’orienter soient acquises. Et le fonctionnement de nos procédures d’orientation dans le monde scolaire est plutôt contre-productif par rapport à cet objectif.
Bernard Desclaux
Bonsoir Bernard. Je partage largement votre diagnostic. En France, quand on observe des problèmes, on crée une nouvelle structure, un guichet unique par exemple, sans supprimer de structure existante, d’où des coûts de coordination supplémentaires. Idem, on fait un portail des portails. Une exception toutefois : la fusion des Assedic et des agences de l’emploi. Le résultat ?
Toute réforme pose un problème de calendrier : on commence par quoi ? Pour l’enseignement supérieur par exemple. On commence par une simplication de l’offre de formation (plus de 10.000 formations proposées sur Admission post-bac) ? par une restructuration des établissements (création des Instituts d’enseignement supérieur par exemple) ? par la création de nouveaux métiers ? par des formations d’adaptation et d’approfondissement des compétences pour les personnels en place ? Je ne sais pas. Toujours est-il que si on attaque sur tous les fronts, on échouera sur tous les fronts avec des réformettes inutiles.
Pour ce qui est des perspectives ouvertes par Jean-Robert Pitte, il a oublié une chose essentielle : fournir des informations-clés aux bacheliers
http://blog.educpros.fr/pierredubois/2011/11/22/communiquer-les-taux-de-reussite/
Contractuelle au Service d’Information et d’Orientation de l’université de Bourgogne, j’ai constaté moi aussi cet empilement des dispositifs et la non-prise en compte des outils existants : j’ai créé (après avoir constaté le manque à ce niveau) une base de données recensant tous les diplômes universitaires français : elle permet un accès direct à la fiche descriptive du diplôme (et on se rend bien compte de l’hétérogénéité des informations figurant dans ces fiches !!). Elle est de plus en plus utilisée et connue, non seulement des professionnels de l’orientation mais aussi des étudiants mais les grandes instances type ONISEP ou Ministère préfèrent créer un autre outil à côté (cf. le projet de logiciel ROF de l’AMUE) plutôt que d’accorder des moyens pour m’aider dans ma tâche titanesque. Chacun défend son pré carré au détriment du public pour lequel nous sommes censés travailler et pendant ce temps-là, rien n’avance concrètement !
Merci à Jeanne-Marie Bordelot de cette information.
Pour apprécier ces dires, allez sur le site :
http://diplodata.u-bourgogne.fr/
Enorme travail, et montre bien l’absence de formalisation des informations.
Toujours cette question du millefeuille…dont on ne sait pas sortir. Impossible d’y échapper ? Je suis convaincu du contraire.
Pourquoi ne pas mutualiser les compétences, à l’image de ce qui se pratique dans les Cités des métiers, qui décloisonnent en regroupant dans un même site des professionnels de différentes institutions, pour permettre à chacun de trouver des réponses et des ressources à de multiples interrogations, que l’on soit adulte ou jeune, chômeur, étudiant ou salarié.
La logique de chapelle est improductive et sclérosante. On ne peut pas toujours travailler en vase clos. Regardez ce qui se passe du côté des CIO et de Pôle emploi. Ils vont mal, très mal. Ces professionnels gagneraient à ne pas s’isoler et élargir la palette de leur réponse technique en travaillant au côté d’autres professionnels de l’AIO. Idem pour les Missions locales. Travailler uniquement auprès des jeunes de 16 à 25 ans n’est pas très stimulant pour élargir son champ de compétences. De plus, quand vous avez travaillé trop longtemps à Pôle emploi ou dans une Mission locales, ce n’est pas facile d’en sortir.
Pour moi, il est effectivement urgent de casser les silos. Sortir de la logique boutiquière, des guichets connotés, voilà ce qu’il faudrait faire…
PS : Le maquis des structures est bien plus néfaste que celui de l’information.