On trouve dans le rapport du DIO (voir post précédent) une attention particulière portée aux personnels de l’éducation nationale. Que leurs dit-on et que ne leur dit-on pas ?
Ce deuxième post à propos du rapport du DIO portera donc sur le discours tenus aux CIO et au personnel d’orientation de l’EN. Le suivant sera consacré aux discours à propos des enseignants.
La réponse du DIO aux craintes de disparition
Dans un contexte de réduction des personnels (de 4700 il y a 3-4 ans à moins de 3500 aujourd’hui), d’incitations à des modifications profondes du métier (implication de plus en plus forte des enseignants dans l’aide à l’orientation), et du retrait de nombreux Conseils généraux dans le financement des CIO dit départementaux (provoquant déplacement, suppression, fusion de CIO), il est normal qu’une inquiétude forte se développe dans le personnel. Sans compter la crise générale de la société française et des services publics.
Donc dans ce contexte que dit le DIO ?
« Les CIO et les conseillers d’orientation psychologues ne sont nullement appelés à disparaître, mais à s’ouvrir davantage sur les mondes professionnels, à participer activement à l’essor des parcours de découverte des métiers et des formations dans les établissements, à collaborer avec l’ensemble des autres organismes qui localement délivrent un service d’information et d’orientation sur les formations et les métiers. Il leur est demandé de participer dans toute la mesure de leurs moyens au fonctionnement des structures coopératives : Cités des métiers, Maisons de l’emploi et de la formation, Espaces métiers et d’autres structures créées par les régions ou d’autres collectivités territoriales. La mutualisation de la documentation et des savoir-faire est d’autant plus nécessaire à l’heure où certains départements ne souhaitent plus apporter leur concours au fonctionnement des CIO. » (p. 17)
Cela doit réconforter les collègues qu’ils « ne sont nullement appelés à disparaître ». Sauf que c’est justement sur les ouvertures, collaborations, participations qu’indique le DIO comme avenir de cette profession, qu’il y a justement résistance de la part des personnels d’orientation. Pourquoi ? Il me semble important de comprendre les sources de celle-ci.
Comprendre les raisons de la résistance
Une partie de la résistance peut s’expliquer par l’opposition à un changement de métier qui est rarement accepté d’emblée quand il y a un changement profond. Situation somme toute classique. Mais une autre explication doit-être apportée.
Jusqu’à présent le métier de conseiller d’orientation-psychologues était lié étroitement au fonctionnement des procédures d’orientation, et aux problèmes qu’elles provoquent tant chez les élèves que chez les parents, sans exclure les enseignants et chefs d’établissement. Une très grande part de l’activité des COP, pour ne pas dire la quasi-totalité est générée par les procédures d’orientation et d’affectation :
- informer les élèves et les parents collectivement,
- accompagner la recherche individuelle d’information, conseiller, échanger avec l’équipe éducative, le professeur principal, le chef d’établissement et d’autres personnels (médecin scolaire, assistante sociale…).
Donc un argument de taille est la question du temps : sur quel temps participer à ces nouvelles activités ? Le maintien des procédures d’orientation fait que la démarche éducative en matière d’orientation se trouve contrée par la dure réalité des procédures, nous l’avons déjà indiqué plusieurs fois dans divers posts. Mais de plus leur maintien empêche tout transfert d’activité aux yeux des acteurs qui restent toujours sollicités sur cette question.
Les nouvelles fonctions et l’ouverture au professionnel
Reprenons ici les « Propositions concernant l’orientation à l’Ecole » formulées par le DIO (pp.2- 27) :
« Le décret du 23 août 2011 précise les fonctions dévolues aux conseillers d’orientation psychologues et leur formation. Les CIO ont pleinement vocation à participer à la mise sur pied du service public de l’orientation. Chacun des organismes co-labellisés dans le cadre des sites géographiques « Orientation Pour Tous » continue à exercer ses missions propres et celles des CIO et de leurs conseillers sont désormais claires. Néanmoins, dans le cadre du premier accueil et de l’orientation de base, les CIO, comme tous les autres organismes labellisés sont invités à accueillir tout public. C’est d’ailleurs déjà le cas de tous les CIO, surtout ceux qui sont implantés hors d’un établissement scolaire. Par ailleurs, il est vivement recommandé aux conseillers d’orientation psychologues de consacrer une partie suffisante de leur temps de travail à la connaissance des milieux professionnels du territoire dans lequel ils exercent leur mission, de favoriser la monté en puissance des parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF) dans les collèges et les lycées, de participer au développement des bureaux d’insertion professionnelle au sein des universités. La loi du 24 novembre 2009 (article 5) leur recommande d’ailleurs vivement d’actualiser leurs connaissances sur les professions et les entreprises. Pourquoi ne pas imaginer que dans le futur, une part plus importante de leur temps de formation dès leur recrutement serait consacrée à des expériences en entreprise plus longues qu’aujourd’hui ? Un certain nombre d’organisations professionnelles (UIMM par exemple) seraient prêtes à concourir à des initiatives en ce sens.
Il est également permis d’espérer qu’à terme viendront se joindre aux équipes des CIO des conseillers ayant préalablement exercé leurs fonctions dans des entreprises ou administrations ou encore dans des organismes de formation continue. Cela ne remettra nullement en cause le professionnalisme des conseillers d’orientation psychologues, mais permettra une meilleure osmose entre le monde de la formation et celui des métiers. »
Comment penser qu’un changement réel peut se faire par un ajout d’activités sans réelles modifications des règles de fonctionnement qui sont maintenues et qui génèrent toujours les mêmes demandes d’intervention des professionnels de l’orientation ?
Le DIO doit bien avoir un doute puisque un peu plus loin dans son rapport, p. 32, il indique : « Dans les mois qui viennent, il serait souhaitable que le ministère de l’éducation nationale prenne l’initiative de réaliser une enquête sur la mise en œuvre des PDMF dans les collèges et les lycées. »
Les injonctions sont-elles auto-réalisatrices ? Suffit-il de demander une chose pour qu’elle se réalise ?
Quant à l’appel à une meilleure connaissance des entreprises
Bien sûr on peut toujours chercher à améliorer le savoir des professionnels. Mais sur quoi repose cette insistance sur la connaissance des professions, l’évolution des métiers, l’entreprise ?
D’une part il y a l’idée que cette connaissance est possible. Or quelle est actuellement la profondeur temporelle des études prévisionnelles dans ce domaine ? Quel temps s’écoule entre une sortie de troisième, et l’insertion professionnelle de l’élève ? Les études actuelles sur l’insertion professionnelle des jeunes montrent qu’une stabilité est atteinte aux alentours de 30 ans ! Mais bien sûr ce délai est sans aucun doute dû aux erreurs d’orientation de ces jeunes.
Deuxième présupposé, l’orientation est une affaire rationnelle. Il suffirait d’avoir de bonnes informations pour bien choisir. Mais l’orientation est toujours une affaire de transaction entre des opportunités, des contraintes, des informations, des désirs, des rêves, des hasards. Qui fait ce qu’il a voulu ?
Enfin on a là le retour éternel de l’orientation adéquationniste basée sur deux croyances au moins. A un niveau « micro » : il y a la relation étroite, nécessaire entre une formation professionnelle et un emploi dans ce secteur. Dans de nombreuses activités, cette relation est très faible. Et à un niveau « macro », il serait possible, nécessaire, avantageux de gérer une orientation et une formation programmatique : création de formation uniquement si un emploi est prévisible et entrée dans cette formation uniquement à la condition des compétences nécessaires et du projet professionnel adéquat. Mais cela fait bien longtemps que ces croyances ne correspondent plus à la réalité. Y a-t-il eu à un moment correspondance ? Peut-être au temps et dans des sociétés gérées par la programmation et le plan économique.
Il est illusoire de croire que ce type de discours puisse à lui tout seul remonter le moral des troupes de l’orientation : pas de modification réelle du contexte de travail et méconnaissance des conceptions actuelles de l’orientation.
Bernard Desclaux