Je propose un autre éclairage au conseil de classe suite à mon précédent article sur ce blog (A quoi sert le conseil de classe ? ) en reprenant quelques éléments que j’avais présentés dans l’article « La procédure d’orientation scolaire : une évidence bien française » publié dans la revue TransFormations n° 3 mars 2010, pp. 77-96.
On peut supposer que les enseignants se sont réunis traditionnellement dans les établissements scolaires pour gérer les « affaires scolaires » et ce de manière « spontanée ». Mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que l’Etat cherche à en réglementer leur usage et nous verrons quelques évolutions depuis.
La gestion du passage en classe supérieure
La liaison notation-décision de passage est sans doute l’élément le plus ancien dans la constitution du conseil de classe dans le secondaire. Elle apparaît dans une circulaire de 1890 présentée ainsi par André Caroff :
» Une circulaire en date du 27 mai 1890 relative aux examens de passage avait fixé une procédure qui, moyennant quelques retouches, est demeurée valable pendant 70 ans. Selon cette procédure, chaque professeur devait dresser en fin d’année la liste des élèves de la classe par ordre de mérite en attribuant à chacun d’eux une note pour sa matière d’enseignement. Toute note supérieure à la moyenne dispensait de l’examen. Après examen, les élèves étaient classés en trois catégories « par le chef d’établissement, sur l’avis collectif et concerté de tous les professeurs de la classe réunis » :
-I – élèves admis à entrer dans la classe supérieure
-2 – élèves ajournés à une nouvelle épreuve au moment de la rentrée d’octobre
-3 – élèves ajournés définitivement c’est-à-dire reconnus incapables de suivre avec fruit la classe supérieure
On voit que la décision finale est déjà collégiale pour les élèves dont le cas pose problème. (Caroff, A. (1987). L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Evolution des origines à nos jours. Paris : EAP, p. 151)
Sur la « collégialité » de la décision, on doit introduire une nuance en insistant sur la formulation utilisée par la circulaire : « Après examen, les élèves étaient classés en trois catégories « par le chef d’établissement, sur l’avis collectif et concerté de tous les professeurs de la classe réunis. ». On retrouve identifié deux acteurs, le chef d’établissement qui classe, et l’ensemble des professeurs qui donnent un avis « collectif et concerté ». Qu’est-ce que prendre une décision en prenant avis d’un collectif ?
L’ambiguïté n’a toujours pas été levée. Qu’est-ce qu’un « collectif » en sachant que le vote est interdit en conseil de classe ? Et qu’est-ce qu’un avis d’un collectif ?
Il est curieux, et sans doute pas anodin, que dans la même circulaire on trouve une description très précise des modalités et des critères de prise de décision (l’utilisation des notes et des seuils) et en même temps cette ambiguïté concernant le fonctionnement du pouvoir entre les acteurs quant à la production de cette décision. Apparence de formalité, de clarté, de simplification, d’automaticité, et en même temps reconnaissance d’une autre source possible pour prendre la décision, celle d’un « avis collectif ». Laissons les acteurs de terrain se débrouiller.
Pour assurer la solidité de la note on a introduit le principe des compositions, des épreuves trimestrielles. Celles-ci furent supprimées en 1969 par le ministre de l’époque, Edgar Faure. A partir de cette date, chaque enseignant, seul, produit alors ses évaluations et ses notes. Ainsi chaque enseignant détient un pouvoir sur un territoire pédagogique qui lui est considéré comme personnel.
Ajoutons que les fameux seuils désignés dans cette première circulaire ont disparus et qu’il n’existe plus aucun critère explicitement formulés pour justifier et motiver une proposition et une décision d’orientation. On trouve une formulation particulièrement vague dans le Code de l’éducation : Article D331-34 En savoir plus sur cet article… Modifié par Décret n°2010-100 du 27 janvier 2010 – art. 4.
« Les motivations [des décisions]comportent des éléments objectifs ayant fondé les décisions, en termes de connaissances, de capacités et d’intérêts. Elles sont adressées aux parents de l’élève ou à l’élève majeur qui font savoir au chef d’établissement s’ils acceptent les décisions ou s’ils en font appel, dans un délai de trois jours ouvrables à compter de la réception de la notification de ces décisions ainsi motivées. »
Sauf qu’il n’est nulle part question des critères de « connaissances, capacités et intérêt » pertinents et nécessaires pour s’engager dans une formation. A chacun son exigence !
La sentence institutionnelle
A. Caroff poursuit : « On voit aussi que la responsabilité de l’établissement fréquenté par l’élève cesse au moment où celui-ci le quitte. Il est remis à sa famille, à charge pour elle de lui trouver une nouvelle voie. »
Ainsi la sentence du conseil de classe à l’origine est du même ordre que celle de l’Eglise concernant hérétique : c’est une sentence de mort institutionnelle. Si le passage ou le redoublement ne sont pas acceptés, l’enfant est alors remis à sa famille.
Cette puissance du conseil de classe a été remise en cause de différentes manières.
Tout d’abord indirectement : avec la réforme de 59, et la mise en système qui en résulte, la notion d’affectation apparaît, et petit-à-petit, elle devient un pouvoir d’état exercée par l’inspection académique aux alentours des années 70. D’une certaine manière les familles n’ont plus cette préoccupation de « chercher la place », et en même temps les établissements n’ont plus la possibilité (ou du moins de manière réduite) de choisir leurs élèves.
Après 68, la notion d’appel apparaît : la décision d’orientation devient une proposition, et une possibilité de contestation est organisée, soit sous la forme de l’examen soit sous la forme de la commission. Aujourd’hui il n’existe plus que la commission d’appel, toujours assez mal vécue par les enseignants comme une remise en cause de leur jugement. Remarquons que les commissions d’appel donnent « raison » aux parents pour la moitié des cas présentés, mais que cette remise en cause représente moins de 0,5% de l’ensemble des décisions d’orientation aux quatre paliers d’orientation (sur deux cents décisions, une sera remise en cause). La remise en cause est donc toute symbolique et très marginale par rapport à la machinerie des procédures d’orientation.
Reste la formulation des décisions d’orientation. C’est le ministère Savary qui va combattre explicitement cette puissance de mort institutionnelle en introduisant trois modifications aux procédures d’orientation :
– interdiction de la formule « vie active » (que l’on voyait fleurir en particulier dans les lycées) ;
– obligation aux paliers d’orientation de formuler une proposition d’orientation scolaire ;
– droit au redoublement.
Mais est-on sûr de leurs applications ? N’avez-vous pas quelques exemples ? Ainsi, on ne donne pas de proposition d’orientation à un élève qui veut aller en apprentissage. Ou encore que fait-on de l’élève qui redouble déjà ? Maître Piau a une conception très claire en la matière « Un élève de seconde générale ou technologique peut-il refuser une réorientation en voie professionnelle ? »
La coordination impossible
Et si le conseil était aussi une instance de régulation du travail enseignant ? André Caroff rappelle que cette fonction a bien été formulée :
« La réunion collégiale des professeurs est une réunion » ad hoc « , spécialement organisée pour prendre les décisions de fin d’année. Une autre circulaire du 19 juillet 1898 formulait, par ailleurs, le souhait suivant : » Il est également désirable qu’à certaines époques de l’année, tous les professeurs d’une même classe se réunissent pour s’entretenir de l’état de la classe, du travail et des progrès des élèves « . »
On voit que cette fonction a été formulée dix ans après la première circulaire citée. Mais est-ce que cette fonction organisationnelle de l’équipe enseignante, comme on dirait aujourd’hui a été exercée ? En tout cas il semble qu’elle a bien du mal à être même simplement formulée.
Lors de la réforme Haby de 1976, on introduit une distinction entre conseil des professeurs et conseils de classe. Le premier est formé par les enseignants seuls avec le chef d’établissement, et le second s’adjoint les étrangers : les représentants des parents et les délégués des élèves.
Dans le décret n° 76-1305 du 28 décembre 1976 relatif à l’organisation administrative et financière des collèges et des lycées (JO du 4 janvier 1977) nous relevons ces deux formulations :
« Le conseil des professeurs prépare le bilan scolaire de chaque élève et établit les propositions qui en découlent, notamment les propositions d’orientation. » (article 23)
« Il (le conseil de classe) examine les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe et les résultats des travaux du conseil des professeurs. » (article 24).
Sur le site Service-Public.fr http://vosdroits.service-public.fr/F1394.xhtml on trouve ceci :
« Rôle du conseil de classe
Le conseil de classe, présidé par le chef d’établissement ou par son représentant, se réunit au moins trois fois par an et chaque fois que le chef d’établissement le juge utile.
Il examine les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe, notamment les modalités d’organisation du travail personnel des élèves. »
Au fond il s’agit de s’interroger sur la nature de l’équipe pédagogique ou de l’équipe éducative (nous ne rentrerons pas ici dans la nuance). Cette équipe peut-elle exister dans le secondaire, et sur quelle base ?
Le temps de travail de l’enseignant français (c’est-à-dire le temps de travail contraint) en étant comptabilisé seulement sur les heures de cours rend très difficile la coordination pédagogique. Elle est vécue comme étant d’ordre privé. Si cette coordination ne peut être prévue, organisée durant le temps de travail enseignant, elle pourrait l’être au cours de réunions reconnues comme faisant partie du temps de travail. Ce ne peut pas être bien sûr au cours des conseils d’enseignement qui regroupent les enseignants d’une même discipline. Ce ne peut être également le rôle du Conseil pédagogique qui concerne l’ensemble de l’établissement. Reste … le conseil de classe.
Oui, en effet le conseil de classe pourrait être cette instance permettant la coordination du travail enseignant. Mais dans ce même espace-temps-groupe comment est-t-il possible, à la fois,
- d’évaluer individuellement les élèves, c’est-à-dire les différencier,
- et d’organiser le travail pédagogique qui est censé faire réussir tous les élèves.
Philippe Perrenoud le rappelait :
l’évaluation de l’élève nécessite de l’expliquer par le travail… de l’élève, et surtout pas par celui des enseignants
(L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques De Boeck Université, 1998).
Bernard Desclaux
[…] La décision du conseil de classe (je vais vite sur cette notion de décision) repose non plus sur des épreuves permettant de calculer une moyenne, mais sur un jugement collectif des enseignants qui se basent sur leurs évaluations individuelles (disparition des épreuves trimestrielles, apparues dans les années 1890, en 1969). Voir mon article «Aux origines du conseil de classe ». […]
[…] Vous trouverez un développement de l’histoire de nos procédures dans mon article « Aux origines du conseil de classe » sur ce […]
[…] pose pas cette question, il lui suffit de rejeter l’élève (circulaire de 1880, voir mon article Aux origines du conseil de classe . Il semble donc que cet enseignement et son organisation soit resté du côté de l’ordre […]
[…] origines, c’est 1880. On retrouvera le détail du règlement dans mon article « Aux origines du conseil de classe » sur ce blog. L’élève qui n’est pas admis dans la classe supérieur sur la base de ses […]