Les relations professionnelles dans l’établissement

Au moment de la réflexion sur le « métier » d’enseignant, à l’occasion de la refondation, je reprends la matière d’un petit texte écrit il y a 3 ans. A l’époque, MM Durepaire (Inspection générale de l’éducation nationale) et Renoult (Inspection générale des bibliothèques) venaient de publier un rapport intitulé :
L’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université : un enjeu pour la réussite des études supérieures.

La question des relations entre les personnes et les professionnels au sein d’un établissement sont peu étudiées, sont peu prises en considération. Nous reprenons ici la matière d’un stage réalisé dans le bassin d’Argenteuil en mars 2003 avec Monique Dupuis-Richel (voir le détail).


Le modèle de Erving Goffman

Il est sans doute possible d’utiliser la théorie de Erving Goffman sur la représentation théâtrale comme modèle de l’action sociale pour comprendre la difficulté des nouvelles relations pédagogiques qui sont préconisées par le ministère… : les TPE, les travaux croisés, les PPCP, les problèmes liés aux heures de vie de la classe, à la recherche documentaire et son apprentissage… (à propos de Goffman).

La particularité du professeur documentaliste, c’est d’être, comme l’enseignant dans sa classe, seul sur la scène de la représentation. La différence, c’est que le professeur documentaliste est dans un espace non seulement publique, mais également ouvert au public. Il ne peut au fond pas en contrôler l’entrée.


L’enseignant par contre est normalement « maître dans sa classe ». Pratiquement personne ne peut y rentrer sans son autorisation.

Cette solitude est rompue dans les nouvelles formes pédagogiques telles que les TPE. Le poste de l’enseignant est dédoublé. Deux personnes doivent collaborer ensemble face à/ dans, la classe. Ce couple peut alors être interprété comme une équipe de représentation au sens de Goffman, et bien sûr avec tous ses risques. Ainsi il y a la nécessité de l’existence de la coulisse et ses trois fonctions de préparation, de contrôle et de détente. Elle doit être assurée et défendue par les membres de l’équipe.


Au risque de la confiance

Mais il y a une autre sorte de risque : du fait qu’ils sont membres d’une même équipe, les personnes se trouvent placées dans une étroite relation d’interdépendance mutuelle qui nécessite la confiance inter-individuelle.

En effet, premièrement, tout membre de l’équipe, lors du déroulement d’une représentation d’équipe, a le pouvoir de « vendre la mèche » et de casser le spectacle par une conduite inappropriée. Chaque équipier est obligé de compter sur la bonne conduite de ses partenaires qui, à leur tour, sont obligés de lui faire confiance. Il en résulte nécessairement un lien de dépendance réciproque qui unit les équipiers les uns aux autres.

A partir de là on peut tirer pas mal de situations possibles, risquées, difficiles, et qui expliquent les réticences des acteurs.

Le cas de la solitude de l’acteur


La particularité de la solitude. Le professeur documentaliste est une « équipe » à lui tout seul (la plupart du temps en Collège, moins en Lycée). Cela, à la fois, réduit les risques du ratage par d’autres, mais augmente la responsabilité personnelle de l’acteur. Personne ne peut le rattraper lors de la présentation.


Un autre thème doit également être pointé, c’est la solitude professionnelle au sein d’une organisation. Il y a quelques acteurs dans un établissement qui ont une propriété très particulière (habituellement), celle d’exister à l’unité seulement. Il en est ainsi le plus souvent pour le professeur documentaliste, le CPE, les « para » (infirmière, médecin, assistante sociale), le COP.

On peut introduire également le thème de la pyramide plate pour décrire l’organisation de l’établissement scolaire : une organisation plate, avec très peu d’intermédiaire, d’organisateurs, c’est ce que pointait Robert Ballion (1994, Le Lycée, une cité à construire, Paris, Hachette-Éducation). Il y a un chef et surtout beaucoup d’acteurs. Pratiquement aucun intermédiaire. Ce qui fait que les fonctions réelles d’organisations sont largement « réparties » entre les acteurs, et prises en charge au cours de l’action même. On est face à une organisation de professionnels qui ont à décider au fur et à mesure de l’action, des moyens à employer tout en étant dans une organisation bureaucratique (statut, emploi du temps, fonctions, classes…) ce qui peut créer quelques conflits entre ces deux points de vue : appliquer une règle et s’adapter aux événements.

Donc deux aspects.

  • Le thème de la solitude, de l’isolement à relier avec celui du semblant de travail. Sa fonction est toujours à « prouver » par soi-même. On ne peut pas compter sur d’autres pour la défendre.
  • L’action est directement « organisante », au sens où il n’y a pas, ou très peu de temps collectifs organisés, prévus… pour assurer cette fonction d’organisation, de prévision, de construction de projet.


Une autre conception peut être utilisée, c’est celle de Monica Gather-Thuller (Innover au cœur de l’établissement scolaire, ESF, 2000), et en particulier l’organisation « en boîte d’œufs » : chacun dans sa case et protection maximum sur les contacts. C’est le cas en particulier pour la situation habituelle des enseignants. On peut lister les protections organisées pour assurer l’absence de contacts. Mais bien sûr dans une organisation cette perfection ne peut être assurée pour tout le monde. Certains doivent, au contraire, assurer un minimum de « liant », et je pense entre autre aux deux postes particuliers propres aux établissements, le CPE et le professeur documentaliste, et aux intervenants extérieurs comme le conseiller d’orientation-psychologue par exemple.

Bernard Desclaux

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This entry was posted on jeudi, août 16th, 2012 at 11:49 and is filed under Système scolaire. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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