L’orientation des élèves : un marqueur politique majeur

La suppression des procédures d’orientation est enfin un thème public. La FCPE, par son président Jean-Jacques Hazan vient d’en formuler la demande, et le Cafépédagogique en rend compte dans son expresso du 13 septembre
Jean Marie Quairel (ancien directeur de CIO) que je citais dans mon dernier post « Les 40 ans des Nouvelles procédures d’orientation »  m’a proposé de publier le texte qui suit.

Le contexte des projets politiques

La période que nous vivons, démontre l’importance des enjeux autour de la question de l’orientation. Alors que la gauche (PS, FDG, EELV) préconise un système où les choix d’orientation soient reculés le plus tard possible , la droite ( UMP, FN) envisage des orientations dés la fin de la 5° (13 ans) et un développement massif de l’apprentissage : deux choix de société très différents et deux conceptions opposées de la formation des citoyens .

Le constat des verrous scolaires

Aujourd’hui, des verrous existent en fin de 6°, 4°, 3° et Seconde qui expliquent en partie le blocage de l’ascenseur social, les orientations par l’échec, la désaffection pour la voie professionnelle et la croissance exponentielles des décrochages. Les solutions passent-elles par encore plus d’orientation précoce ou par une meilleure préparation de tous les élèves à des choix plus tardifs ?

Les décisions d’orientation : une question démocratique cruciale

Observons que ce débat véhicule un non dit assourdissant et une belle hypocrisie. Aujourd’hui, les jeunes et les familles ne sont pas « égaux de fait » devant les décisions d’orientation. A tous les niveaux où elles existent, certains peuvent réellement s’orienter selon leur choix, tandis que d’autres sont orientés, contre leur grés. Ce sont évidemment les notes qui font la différence, dont on sait qu’elles sont majoritairement fortement corrélées à l’appartenance sociale et culturelle et dont on connaît le caractère aléatoire. Les décisions d’orientation maintiennent donc le système éducatif en l’état et, au-delà, toute l’organisation sociale et économique.

Une solution radicale pour une école réellement émancipatrice

En attendant des transformations indispensables du système éducatif, portant en particulier sur la formation et le service des enseignants, le contenu des programmes, les modes de transmissions et d’évaluation des connaissances et compétences, il est urgent d’appliquer une mesure qui garantisse l’égalité de fait de tous les élèves et familles, vis-à-vis des choix d’orientation.

La décision d’orientation doit être prise, in fine, par l’élève et/ou sa famille.

En amont, toutes les conditions d’une information objective et d’un conseil individualisé, sont mises en œuvre.

En aval, les dispositifs d’accueils, d’accompagnement et de soutiens des élèves qui en ont besoins, sont systématisés.

Cette mesure concerne autant le redoublement que les choix d’études après la 4° et surtout la 3° et la seconde.
Elle permet de supprimer l’arbitraire actuel, où les chefs d’établissements, premiers arbitres des désaccords entre demande de la famille et propositions des enseignants, n’appliquent pas tous les mêmes règles. Certains donnent systématiquement raison à la famille, d’autres aux enseignants.
Elle entraîne, de fait, la suppression des commissions d’appels qui ne font pas honneur à la République, quand des parents viennent se justifier voire s’humilier en exposant des situations douloureuses de l’ordre de l’intime , devant des inconnus, pour obtenir un passage en seconde.

Les bénéfices attendus sont évidents :

  • Les enseignants peuvent se consacrer à leur mission principale et ne sont plus « juges et parties »
  • Les parents et les élèves, responsabilisés, sont beaucoup plus réceptifs et moins défensifs
  • Le travail des Conseillers d’orientation Psychologues est mieux compris
  • Toutes les voies de formations sont à égalité de valeurs
  • Le droit à l’erreur est reconnu
  • La confiance entre partenaires éducatifs peut s’installer
  • La gestion des flux, ne peut qu’être améliorer, en évitant les choix forcés, les décrochages précoces et le recours aux formations privées
  • La pression exercée aujourd’hui par certains enseignants sera relativisée et atténuée de fait, car on n’utilise pas les mêmes arguments dans un dialogue où l’on sait que l’interlocuteur dispose, in fine, du pouvoir de décision.

Le statu quo est incompatible avec un projet éducatif réellement démocratique et égalitaire

On peut comprendre le silence des parties de droites sur cette question, voire leur volonté de renforcer une sélection précoces : ils sont cohérents avec leurs projets de société.

De fait, la balle est dans le camp des partis et des syndicats progressistes, ou qui se prétendent tels. Le moment est venu de marquer leur différence et leur volonté de promouvoir un autre système éducatif, en se positionnant clairement sur une question qui conditionne tout le reste.

Les objectifs d’élévation du niveau général des élèves, de développement de la confiance entre les acteurs ( parents, enseignants, élèves), de leur responsabilisation, de leur autonomie, de leur attention aux autres et à leur environnement… Ces objectifs ne pourront être atteints si les décisions d’orientation continuent d’échapper à une grosse minorité d’élèves et de familles (1/3 environ). Tout comme ne pourront se concrétiser un autre regard, plus positif, sur les formations professionnelles et au-delà de l’école, un autre fonctionnement social.

Aujourd’hui il est déterminant que, partisans d’une école nouvelle, coopérative et libératrice, politiques et syndicalistes se mobilisent pour rompre définitivement avec un fonctionnement objectivement conservateur et inégalitaire.
Le pouvoir de décider et de conduire sa vie, ne peut pas être accordé à certains citoyens et refusé à d’autres. Ce qui se joue dés le collège pour beaucoup d’entre eux, explique en grande partie la défiance et le mal vivre au travail qui caractérisent notre société. La méritocratie et l’élitisme républicain ont atteint leurs limites. Il faut leur redonner un sens en leur insufflant une nouvelle énergie, contenue dans les aspirations libérées de toute la jeunesse.

Mars 2012         Jean Marie Quairel

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4 Responses to “L’orientation des élèves : un marqueur politique majeur”

  1. chrisducq1 Says:

    Je vois qu’après l’assassinat du collège avec l’instauration du collège unique, on nous prépare celui du lycée ! Génial ! Je suis de gauche mais contre l’obligation de garder (surtout dans les quartiers difficiles) tout le monde, et surtout ceux qui ne supportent pas de rester assis une journée entière, pour apprendre. Je vois arriver en seconde dans mon lycée ZEP de banlieue des élèves parfois cassés, toujours agités, habitués au chaos de classes où régnaient l’agitation et l’incivilité. Moi-même, je me souviens de ma surprise en arrivant au lycée : le calme régnait, sans hurlements ni crises !
    Il faudrait peut-être lire les écrits de l’acteur Jacques Gamblin, qui explique admirablement pourquoi il a haï l’école et en est sorti très vite. C’est à respecter.
    Arrêtez les grandes idées générales et déconnectées des réalités, qui ne sont jamais financées comme il le faudrait pour être efficientes : voyez cette horreur de « collège unique ». Sur le terrain, tous les profs de collège – ou presque – ne savent quoi imaginer pour s’en sauver. Bref, laissons le lycée tranquille. La baisse de niveau est suffisamment inquiétante pour qu’on en rajoute. Désolée Bernard !

  2. Quairel Jean marie Says:

    Si je comprend bien , ça ne vous dérange pas plus que ça de maintenir un système qui peut déclencher la haine ? Je n’ai pas lu le livre de Monsieur Gamblin …J’ai simplement passé 40 ans de ma vie professionnelle ( COP puis DCIO) à écouter des élèves , des parents et des enseignants de tous niveaux et de toutes cultures et j’en ai peu à peu conclu que notre système était pathogène pour plus de la moitié des élèves et qu’il fallait en changer d’urgence ! Ce qui est terrible c’est que les enseignants sont victimes , mais pas innocents …Ils auraient tout à gagné à soutenir une transformation radicale du système , car ils y retrouveraient la confiance et la reconnaissance qu’ils demandent . Les élèves et les parents ne sont pas aussi inconscients que ce que vous semblez le penser; vous fantasmez l’envahissement des lycées par des hordes barbares, alors que ce qui déclenche la colère c’est le sentiment de ne pas être à la bonne place ( le cas de beaucoup d’élèves en LP )…Je suis persuadé que les élèves qui choisiraient le Lycée s’y comporteraient très correctement à condition de s’y sentir accueillis (sachant que les « exclusions » ne sont pas interdites) et que le recrutement des LP s’en trouveraient amélioré …Les jeunes d’aujourd’hui, dans l’ensemble , sont plutôt sains : Quand ils ne sont pas bien quelque part…ils s’en vont . Mais peut on se satisfaire du système actuel , sachant que le recours à l’emploi est plombé pour quelques années ? Quant aux milliers d’emplois non pourvus , demandez vous si vous encourageriez vos enfants à y travailler ? Vous vous dites de « gauche » ? Libre à vous de gardez vos illusions !

  3. chrisducq1 Says:

    Je « fantasme l’envahissement des lycées par des hordes barbares » ? Bêtise ou malhonnêteté de votre part ? Plus de 15 ans passés en banlieue nord, tant au collège (3 ans) qu’au lycée méritent plus de respect. Je sors de cours, j’y retourne demain. Je ne suis pas dans un bureau (avec un élève à la fois) mais sur le terrain avec des classes entières, cher monsieur ! Et dans la réalité, non dans le « fantasme » justement. Je vous attends pour une visite dans mon lycée pour une discussion peut-être plus constructive … Mes collègues apprécient bien aussi l’idée du lycée unique … Ils auraient pas mal de choses à vous dire. Quant à notre appartenance politique, elle ne regarde que nous. Nous n’attendons pas vos certificats de bonne conduite.

  4. Quairel Jean marie Says:

    Je me demande si vous avez lu avec attention ce que j’écris dans mon message initial et dans ma réponse ? Je ne m’explique pas votre résistance aux idées émises sur ce blog , autrement que par une « peur irrationnelle », car vos protestations outragées ne sont pas des arguments …A aucun moment je n’attaque votre travail et toutes mes propositions n’ont pour but que d’assainir le climat dans les établissements et d’installer entre les parents et les enseignants des relations adultes/adultes : Vous êtes responsables de l’enseignement , ils sont responsables de l’éducation qu’ils veulent donner à leur enfant (déclaration des droits de l’homme de 1948) : C’est simple et c’est ce qui a été compris dans la plupart des pays développés …Quant au Lycée unique,(qui ne fait pas partie de mes propositions), je n’ai pas compris si vous et vos collègues y étiez favorables ou opposés ? Par ailleurs , sachez que j’ai travaillé autant avec des groupes ou des classes , qu’en entretiens individuels . Enfin concernant votre appartenance politique , n’en parlez pas , si vous ne voulez pas qu’on y réagisse .

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