Deuxième partie de mon intervention dans l’atelier « L’orientation scolaire ? Où en est-elle aujourd’hui ? » au congrès de l’ANDEV le 6 décembre. Voir sa présentation sur mon dernier post, le prezi utilisé, et la première partie.
Dans cette partie, je présente rapidement l’apparition des procédures d’orientation et leur principe, et les problèmes qu’elles posent.
Trois modes d’organisation du monde scolaire
Dans un premier état (XIXième, moitié du XXième siècle) notre monde scolaire, en France, est constitué de deux ordres. Napoléon a créé le Lycée (le secondaire). Petit à petit, pour assurer son vivier, le lycée a créé les « petites classes du lycée ». L’ordre primaire mis en place par la loi Guizot, puis celles de Jules Ferry, correspond aux écoles communales. Et celles-ci ont créé de leur côté des poursuites d’études. Ces deux ordres sont quasiment impénétrables, et les élèves ne peuvent pas passer de l’ordre primaire au secondaire, notamment à cause du latin. La nébuleuse des formations professionnelles, à temps plein ou par apprentissage reçoit les élèves de l’ordre du primaire sortis à différents niveaux de celui-ci. Ceux du secondaire se destinent pour le bac.
Puis l’école primaire unique se mis en place (le ministère arrêta de compter les petites classes des lycées en 1966). Mais les deux structures post-primaires vont perdurer, le CEG d’un côté, prolongement du primaire, et les lycées. L’accès à celui-ci s’ouvre de plus en plus dans les années 50 (meilleurs notes en primaire, et examen d’entrée). Au retour de la guerre, les établissements d’enseignement professionnels ont été, pour la plupart, intégrés à l’éducation nationale. Petit à petit, ce sont ceux qui ne peuvent aboutir au brevet du collège (le BEPC) qui rejoignent cette voie.
Enfin une troisième organisation se met en place en 65 avec le collège « Fouchet » qui réunit les différentes voies dans un même établissement (mais séparées), puis le collège unique de Haby en 76, qui institue la sixième unique. Le lycée s’est alors replié sur les trois dernières années de préparation du bac. Dans cette organisation, ce sont les mauvais élèves qui sont dirigés vers la voie professionnelle, ceux qui ne peuvent envisager d’atteindre le bac.
Ainsi la formation professionnelle qui était promotionnelle jusque dans les années 60, devient une voie de relégation.
Histoire des procédures d’orientation
De l’épreuve au jugement professoral
La première circulaire connue portant sur la circulation des élèves dans le système (avancez, redoublez, sortez) est en date de 1890. A peu de chose près, elle va fonctionner jusqu’en 1973. Les élèves passent des épreuves, trimestrielles, au vu de la moyenne, 12 et plus, ils passent, entre 12 et 10, ils sont invités à un examen en septembre, et moins de 10, ils sont remis à leur famille qui va chercher un autre établissement. Il y a bien un conseil de classe institué en même temps, mais au fond il décide ce que les notes lui dictent.
En 69, révolution, Edgar Faure, supprime les compositions trimestrielles, et chaque enseignant élabore sa propre évaluation, et se débrouille dans l’élaboration de sa norme.
Au temps de la négociation apparente
En 59, pour la première fois, les parents sont invités à faire une demande d’orientation à la fin de l’année. Pour ce faire, on l’a vu, les conseillers d’OP sont devenus des conseillers d’OSP, et la fonction du professeur principal pour chaque classe et créée. Celle-ci sera boycottée durant plusieurs années au nom de l’égalité des enseignants.
Et en 1973, quelques années avant l’instauration du collège unique, et en plein mouvement de démographisation (Antoine Prost), de nouvelles procédures d’orientation sont instituées. A peu de chose près nous fonctionnons toujours actuellement sous leur régime. Un « dialogue » est institué entre famille et établissement. Au deuxième trimestre puis au troisième trimestre, les familles émettent une demande d’orientation, et reçoivent à chaque fois une réponse. Un recours est possible pour les familles pour s’opposer aux décisions d’orientation. Jusque-là le secondaire était une institution totale. Ceci est remis en cause par la possibilité de l’appel, puis en 1982 par l’imposition de formuler pour tout élève une proposition d’orientation scolaire, supprimant ainsi les décisions « vie actives » (rappelons que l’apprentissage étant un contrat de travail ne peut pas être une voie d’orientation).
L’autre révolution, c’est la procédure d’affectation. Elle se trouve désormais sous la responsabilité de l’inspection académique. Et après la foire aux dossiers, l’informatique a pris le relais pour hiérarchiser les demandes des familles en utilisant les notes des élèves modifiées par divers coefficients. Aujourd’hui c’est la procédure AFFELNET sur le web qui assure cette opération.
Les caractéristiques de cette procédure
Nous l’avons vu, les procédures organisent l’interaction des acteurs et en particulier la confrontation famille-école. Les textes insistent sur le conseil et les informations apportées aux familles, mais comment être dans une position de conseil et en même temps participer à la décision sans être perçu comme un manipulateur, un influenceur, etc… ?
Le conseil de classe émet un avis, sans vote. Selon les lieux, cet avis est préparé en dehors du conseil de classe (en dehors de la présence des représentants des parents d’élève et des délégués élèves), ou un objet de discussion durant. C’est un jugement collectif qui prend appuis sur les notes. Ce collectif est « protégé », car c’est le chef d’établissement qui endosse la responsabilité de la formulation de la proposition.
Enfin ( ?) ce jugement, s’il s’appuie plus ou moins sur les notes obtenues par l’élève, se fait « hors-normes ». Il n’existe nulle part une norme liant tel niveau de note et telle type de décision. Tout se joue dans l’appréciation et l’ajustement collectif de ces appréciations. D’où une très grande variabilité des décisions. Et pourtant, en même temps on peut observer une très grande régularité au plan national. Au moment de la loi Haby, alors que 25% des élèves de cinquième sortaient du collège, les taux d’orientation de 3ème étaient 10% de rdt, 30% de BEP-CAP, 60% de seconde. Et aujourd’hui ? A peu de chose près, nous sommes sur le même formatage du triage !
Les remises en cause actuelles
Avec la notion de cycle (loi Haby), les procédures ne fonctionnent qu’à la fin de chaque cycle. De nombreuses critiques régulièrement viennent remettre en cause de bien fondé des redoublements. Les enquêtes PISA ont attiré l’attention sur ce phénomène. En France un élève de 15 ans sur deux fait un parcours normal. C’est une des explications de notre mauvais score dans ces enquêtes.
Par ailleurs, les procédures qui devaient favoriser le dialogue et la collaboration entre enseignants et parents autour de l’élève, ont tendance à augmenter les antagonismes. L’appel est très mal vécu par les uns et les autres. Son organisation prend un temps considérable et introduit 15 jours de plus dans l’ensemble du processus d’affectation. Alors que l’appel ne modifie pas profondément la structure des décisions. Pour les quatre niveaux, c’est en fait 0,5% par rapport à l’ensemble des décisions prises qui sont modifiées. Donc un effet très marginal.
La réforme du lycée engagée en 2009-2010 a introduit un certain nombre de souplesses possibles, le passage malgré la décision du conseil, les réorientations entre filières, mais tout ceci étant associé à la mise en place de « modules » de rattrapage. Il semble que de fait cet assouplissement s’est très peu appliqué. Ajoutons que la publicité de ces mesures a été très très faible, pour ne pas dire nulle. Silence impressionnant tant sur le site du ministère que sur celui de l’ONISEP.
La nécessité de supprimer les procédures d’orientation
Depuis longtemps, je défends cette position pour au moins deux raisons.
- Depuis la loi de 2005, le socle commun de connaissances et de compétences doit être acquis par tous les élèves. C’est en particulier le rôle de l’école primaire et du collège. Or, on demande également au collège, à la fin de la troisième, d’opérer une répartition des élèves en fonction de leur réussite scolaire. Ces deux objectifs sont contradictoires.
- D’autre part une réelle éducation à l’orientation ne peut se faire dans un lieu où l’orientation est une contrainte.
Vous trouverez un développement de mon argumentation dans plusieurs articles de mon blog, mais en particulier dans Pourquoi supprimer les procédures d’orientation.
Ce principe d’orientation n’est pas universel
De même que le redoublement, les procédures d’orientation ne sont pas partagés par les différents systèmes scolaires dans le monde.
De gauche à droite, on trouve le modèle nordique (Finlande), puis le modèle anglo-saxon, puis le modèle germanique, et enfin le modèle qui nous caractérise actuellement. C’est dans les deux derniers qu’existe une orientation décidée par l’institution. Dans les autres systèmes, ce sont les familles et les établissements d’accueil qui décident, le plus souvent sur la base d’épreuves.
Et ce qui n’est pas universel, n’est pas … éternel
Bernard Desclaux
Références et ressources
La procédure d’orientation scolaire : une évidence bien française, TransFormations n° 3 mars 20010, pp. 77-96
Sur mon blog : à propos de la réforme de l’orientation en lycée
L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ?
Où en est l’orientation en lycée ?