Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, chargée de la réussite éducative, traite, par délégation du ministre de l’éducation nationale, des questions relatives à la préparation et à la mise en œuvre des mesures propres à favoriser la réussite scolaire de tous les élèves. Dans ce cadre, et à propos de la lutte contre le décrochage scolaire, elle a annoncé des expérimentations pour revisiter les processus d’orientation scolaire afin de favoriser une orientation choisie. Cette annonce vient d’être confirmée au cour de la réunion interministeriellle concernant la politique de la jeunesse, avec une précision supplémentaire : la décision finale relèvera de la famille. Plusieurs articles en font l’écho :
• Cafépédagogique : Politique jeunesse : Le gouvernement va tester la libre orientation en fin de 3ème ;
• Le Monde : Des parents vont pouvoir choisir l’orientation de leurs enfants après le collège ;
• Blog vousnousils : La possibilité de laisser les parents décider de l’orientation en fin de 3ème expérimentée dès 2013 .
Donc réjouissons-nous, mais pas complètement.
La nature de l’expérience
« L’orientation en fin de 3ème. Le gouvernement veut expérimenter la possibilité de laisser aux parents le choix de la décision d’orientation en fin de 3ème. « L’objectif est de promouvoir une orientation choisie et non subie en fin de 3ème et de mieux reconnaître la place des parents dans les processus d’orientation ». Le choix de la voie d’orientation « donnera lieu à un dialogue renforcé avec l’équipe pédagogique afin d’accompagner au mieux l’élève et sa famille dans son choix… Ce dialogue se poursuivra jusqu’à l’entretien avec le chef d’établissement lorsque la proposition du conseil de classe diffère du choix de la famille. Mais le choix final reviendra à la famille ». Cette possibilité sera expérimentée dès la rentrée 2013 « dans différents territoires ». Aujourd’hui, « en cas de désaccord, un entretien est proposé à la famille par le chef d’établissement. Le chef d’établissement peut assortir sa décision de faire droit à la demande d’orientation de l’élève de la condition que celui-ci s’engage à suivre un dispositif de remise à niveau.. Si le désaccord persiste, le chef d’établissement doit motiver sa décision et la famille dispose de trois jours pour faire connaître son choix de recourir à une commission d’appel. La décision de celle-ci est définitive ». Les taux de désaccord tournent autour de 2% des élèves de troisième, si l’on en croit les chiffres officiels du ministère. Cela concerne surtout des garçons. L’écart entre les demandes des familles et les décisions tend à se réduire au vu de ces chiffres. Mais d’autres études ont montré un profond ressentiment d’élèves des filières professionnelles pour leur orientation en fin de 3ème. On sait d’ailleurs que c’est là que se créent la majorité des situations de décrochage. Le gouvernement se rallie donc à une demande de la FCPE de laisser le dernier mot aux familles. » (Cafépédagogique)
Quelques académies vont donc expérimenter cette libération de l’orientation qui ne consiste pas à supprimer les procédures d’orientation au collège comme je le préconise (Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation) , mais qui donne simplement à la famille la décision finale, après toutes les étapes de ces procédures qui ne sont pas modifiées.
Bien sûr, on peut se réjouir de cette responsabilité donnée aux familles, en remarquant que tout le monde ne s’en réjouit pas.
Les arguments contre cette expérimentation
Deux types d’arguments s’opposant à cette expérimentation vont sans doute être agités.
Le premier tourne autour de la famille et du rapport enfant-parents. Il n’est pas certain que les désirs des parents correspondent à ceux de leurs enfants. On peut remplacer « désirs », par « représentation des capacités réelles », aussi d’ailleurs dans cet argument. En effet, et admettons cet argument. Sauf que dans la procédure actuelle la demande d’orientation est bien du ressort de la responsabilité parentale, et que ce désaccord était et est toujours possible. Il fait partie de la vie familiale et de sa dynamique. Ajoutons que cet argument supposerait que le décideur de la décision d’orientation (le conseil de classe, le chef d’établissement, la commission d’appel) sache, lui, ce qui est vraiment bon pour l’avenir de l’élève. Qui connait mieux que l’autre l’élève, l’enfant ?
Le deuxième argument porte sur les résultats du choix « parental ». Bien sûr le choix sera un passage en seconde GT malgré l’avis du conseil de classe. L’inverse est rarement évoqué dans les mêmes termes. La justification du maintien des procédures porte souvent sur l’idée qu’elles permettraient de combattre le manque d’ambition des élèves et des familles, et donc de pousser les élèves à passer en seconde contre l’avis de leur propre famille. Argument souvent entendu, mais rarement observé. Mais dans la présente discussion, il s’agit de l’inverse. L’élève qui passera « malgré tout » en seconde n’y réussira pas, et ces classes en seront dégradées, les camarades en pâtiront. Alors rappelons que pour ce qui est des passages en seconde GT par la commission d’appel, le suivi montre, c’est la moitié qui « réussit » et passera en première.
Mais fondamentalement cette expérimentation est une étape supplémentaire dans la désinstitutionalisation. L’institution totale, capable de vie et de mort institutionnelle n’est plus (Des procédures d’orientation, jusqu’à quand ?). L’école-service n’est pas loin.
Quels risques peut-on envisager ?
Si je considère au contraire que cette expérimentation est une avancée importante vers un système éducatif moderne, je pense qu’elle présente quelques risques, non pour les individus (il y a toujours des risques pour les personnes quelque soient les systèmes), mais pour les conclusions qu’on en tirera.
Il ne suffit pas de donner la responsabilité aux parents, en cas de désaccord pour que l’orientation ne soit pas « subie ».
Notre système des procédures repose, qu’on le veuille ou non, sur un désaccord originel entre l’évaluation scolaire et l’appréciation familiale, entre le « pronostique pédagogique» et les « attentes familiales ». Les différentes étapes des procédures serviraient à rapprocher les positions, en donnant à l’institution le dernier mot. Même si les enseignants vivent souvent très mal la décision de la commission d’appel, celle-ci est constituée pour une très large majorité de personnels de l’éducation nationale, et le président est le directeur académique des services de l’éducation nationale (DA-SEN), l’ex Inspecteur d’académie représenté, par un chef d’établissement. Ces différentes étapes organisent le jeu d’influences réciproques établissement-famille. Etablissement et famille sont deux ensembles constitués de nombreux acteurs, pas nécessairement en accord entre- eux.
Comment espérer qu’une décision d’une famille, différente de la décision de l’établissement ne soit pas vécue comme un désaccord conflictuel après toutes les étapes de la procédure ?
Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait qu’une relation de conseil auprès de la famille, et inversement auprès de l’établissement puisse être instaurée. Bien difficile d’imaginer cela. Mais admettons qu’elle soit possible. Cela supposerait une relation de confiance mutuelle, de telle sorte que le constat d’un désaccord ne soit pas interpréter sur le mode conflictuel.
Serait-il possible qu’en troisième les enseignants, le chef d’établissement aient la capacité de construire une relation de confiance avec les familles et les élèves ? La relation établissement famille est déjà constituée en troisième par tout ce qui s’est passé entre les acteurs depuis l’entrée en sixième. Il y a déjà eu les deux moments de fonctionnement des procédures d’orientation, en sixième et en quatrième. Cela a construit le mode relationnel établissement/famille-élèves.
Une grande réserve
Je n’ai donc pas le sentiment que ces expériences puissent nous permettre d’observer une relation apaisée autour de l’orientation dans nos collèges. On pourrait même penser que le redoublement de la quatrième progressera, pour le bien des élèves, et leur éviter de passer malgré tout en seconde. Et même si elle ne se constatera pas, les chefs d’établissement y veilleront sans doute, se passage malgré tout sera sans doute vécu sur le mode du « à quoi bon », de toute façon on ne nous écoute pas.
Et je pense que ces enseignants ont malheureusement raison. L’attribution de la responsabilité de la décision aux familles tout en maintenant les procédures d’orientation sur l’ensemble du collège ne mettra pas les acteurs, et en particulier les jeunes, dans une atmosphère de coopération permettant un développement accompagné et sécurisé des motivations. Ainsi la fonction répartition des élèves entre les voies de formation reste attribuée au collège. Grave erreur.
Bernard Desclaux
On peut comprendre les réserves de Bernard , car il faudrait effectivement que la mesure s’applique aussi en fin de 6°, 4° et seconde . Mais enfin , elle me semble de nature à faire grandir l’ensemble des acteurs , pour peu que chacun accepte de sortir du rapport de force et de pouvoir actuel , qui me semble totalement infantilisant . Ce n’est pas possible d’accepter que les parents soient perçus comme des « boulets » et les enseignants des « ennemis » et que ces oppositions se cristallisent au moment des orientations. Le » a quoi bon, on ne nous écoute pas » n’est pas acceptable : Le pouvoir d’un enseignant est dans son enseignement , dans sa transmission , pas dans un interdit d’études , posé à priori . Son avis et ses conseils sont d’autant plus « écoutés » et « entendus » , s’il accepte qu’ils ne soient pas « écoutés » comme un ordre . Je ne développerais pas plus mon argumentaire en faveur de cette mesure, car je l’ai déjà fait largement sur ce blog . Quelques réflexions tout de même : Quand , dans ce pays , acceptera t’on de faire confiance aux « désirs d’avenir » de la jeunesse et plus généralement aux aspirations de confrontation à la culture de milliers de jeunes issus de « la diversité » et qui en sont empêchés aujourd’hui , pour toutes les bonnes raisons du monde et souvent « pour leur bien » ? Comment se fait il que l’accès en CPGE des enfants des milieux populaires stagne à 12% depuis 15 ans , alors qu’ils représentent plus de 50% d’une classe d’age ? On est très loin des 30% de boursiers dans les grandes écoles…On va accepter ça encore longtemps ? Si la gauche n’expérimente pas un petit changement « systémique » qui le fera ? Laissons se faire ce changement , en l’accompagnant de toute l’attention bienveillante possible ( les COP peuvent largement y aider) …car il sera évidemment très facile de la faire échouer et ils seront hélas nombreux à le vouloir .
La voie choisie pour faire évoluer l’orientation subie, dans le cadre des procédures est périlleuse,porteuse d’effets pervers largement anticipés par Bernard. Oui, mais…
Des débats sur la « Refondation de l’école » démarrés en Juillet, jusqu’au projet de loi,beaucoup de « murs de Berlin » ont étés franchis. A marche forcée et silencieuse, certes…Qui ne dit mot ne consent pas ou peu.Cependant l’histoire des évolutions du système éducatif montre que l’expérimentation a souvent été la meilleure voie d’entrée.Saluons le courage de G.Pau-Langevin. La fenêtre d’opportunité a été ouverte lors du séminaire ministériel du 4 Décembre 2012 sur « Le décrochage scolaire ». Il y a eu unanimité sur le désastre de l’orientation actuelle en voie professionnelle.
Oui, il faudra garantir l’accueil de l’élève qui aura choisi la seconde GT contre l’avis de l’établissement d’origine, mais pas davantage que ceux ou celles qui sont affectés en seconde GT par décision de la commission d’appel. Oui, la mise en oeuvre et les conclusions seront à observer avec beaucoup de prudence.
Mais l’enlisement dans l’inégalité de traitement des groupes sociaux a atteint un point ultime. Il faut agir vite avec tous les risques de dérives possibles,des discours attendus concernant l’irresponsbilité des choix dans le cas d’échecs.
Ce qui compte c’est un pas franchi d’une grande ampleur, le reste sera affaire de travail de cabinet ministériel.Oser, c’est en soi, un acte fondateur…
Il est vrai sans doute que l’objectif de cette expérimentation est juste. Et j’y adhère bien sûr Jean Marie.
Il est vrai également, Marie-Anne, que l’expérimentation est un bon levier en général pour faire passer à une nouvelle organisation, dans notre chère éducation nationale.
Mais ici, le point que je critique le plus ,c’est de considérer cette question de l’orientation que du point de vue de l’attribution de la responsabilité finale de la décision d’orientation. Prendre les choes ainsi ne touche pas à la fonction actuelle du collège, celle de “différencier” les élèves pour les orienter. Une “école du socle” ne peut supporter une telle fonction. On ne peut à la fois vouloir faire réussir tous les élèves et en même temps les différencier pour les séparer dans leur trajet ultérieur.
Bernard Desclaux
L’objectif de cette expérimentation est intéressante.
Sur le terrain, je suppose qu’elle est compliquée.
Replacer les parents dans l’orientation de leur enfant est important. Généralement, lors des réunions parents/professeurs se trouvent 5 parents sur 30 enfants, dans certaines régions.
Donc comment dans cette expérimentation pourrait être bénéfique si même les parents ne s’en préoccupent pas.
De plus, et j’avoue que cela est du rêve: mais pourquoi ne pas s’appuyer sur le Brevet des Collèges pour déterminer si oui ou non les bases sont acquises. Ce brevet est validé sur un long contrôle continu. Si l’élève ne l’a pas, il ne passe pas et de là, les orientations de désespoir (vers le CAP ou bac pro) seront diminuées. Toutefois, cela poserait une nouvelle problématique: la place dans les classes.
[…] l’orientation scolaire, et cela même si on donne la main aux parents en fin de troisième (voir mon post précédent), et non une affaire éducative qui permettrait l’acquisition de compétences à s’orienter […]
Commentaires de la part d’Annick Soubaï
Je trouve l’expérimentation de la suppression du palier 3ème très intéressante. Et je suis certaine qu’elle apportera des changements, à terme.
Cependant, il est peut être un peu facile de penser que la question de l’orientation des élèves est uniquement une question de gestion des flux et que l’échec scolaire est seulement une question d’orientation.
Je m’explique, il est vrai que les « gains de productivité » au sein du système éducatif ont finalement été obtenus par des modifications de structures: par exemple abandon de l’examen d’entrée en 6ème, collège unique, abandon du palier 5ème, abandon de la mention « vie active » et nous avons en tête tout l’ensemble des mesures qui permettent de conserver davantage les élèves. On peut dire du reste que ces transformations structurelles ont bien fonctionné. Il y a moins de décrocheurs aujourd’hui qu’il y a 20 ans.
Cependant, le traitement pédagogique des élèves en difficulté scolaire n’évolue pas ou guère et certains résultats montrent que le système éducatif « fait » parfois moins bien qu’il y a qq années.Pensons aux enquêtes internationales.
Pour la question sensible des décrocheurs, on ne parle pas des lycées professionnels qui sont la principale cause de décrochage. Cause n’est sûrement pas le meilleur terme. En tous les cas, c’est là que ça se passe.
Si on laisse choisir les parents, les lycées professionnels vont se vider, c’est sûr,et ne va-t-on pas assister à un glissement des problèmes, en l’occurrence vers la classe de seconde générale?
Pour moi, le problème n’est pas seulement celui de l’orientation subie, mais aussi celui d’une pédagogie inadaptée. L’orientation sert de cache-misère ou d’alibi . Si l’orientation fonctionnait mieux, si les élèves étaient mieux orientés, tout irait mieux dans le meilleur des mondes. Le lycée unique est-il de nature à régler la question centrale d’une pédagogie à inventer?
[…] déjà écrit sur ce sujet dans un post précédent (Expérimentation des procédures d’orientation en troisième). Ce post est suivi de plusieurs commentaires qu’il est utile de relire également. Je vais […]
[…] Expérimentation des procédures d’orientation en troisième […]
[…] Expérimentation des procédures d’orientation en troisième […]
[…] de l’expérimentation j’avais publié un article sur mon blog daté du 23 février 2013 : Expérimentation des procédures d’orientation en troisième. Je m’interrogeais : « Comment espérer qu’une décision d’une famille, différente de la […]