Première partie de mon intervention à Angers. Vous pouvez voir le prezi que j’ai utilsé a cette occasion.
Pour comprendre les difficultés de cette thématique, au moins en partie, il me semble nécessaire de remonter dans l’histoire de l’orientation, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème.
L’orientation professionnelle
Traditionnellement cette histoire commence par la naissance de l’orientation professionnelle peu avant la première guerre mondiale. Dans tous les pays occidentaux trois problématiques apparaissent avec la rationalisation de la société industrielle qui se constitue (Jérôme Martin) :
- La formation professionnelle des jeunes
- Le placement
- Les outils et la théorie de l’orientation professionnelle.
Au tournant de la Révolution française, les corporations sont supprimées. Elles assuraient une formation professionnelle, ce qui va manquer tout au cours du XIXème siècle. Entre 1919 et 1938, diverses loi établissent l’apprentissage, et l’orientation professionnelle française s’élabore en particulier autour de cette question. Les services d’OP s’institutionnalisent par l’obligation d’avoir un avis d’orientation pour signer un contrat, avis établis par un conseiller d’OP. Un office l’OP sera obligatoire dans chaque département, et l’INOP, qui deviendra l’INETOP forme les futurs conseillers d’OP. Ce secteur, qui dépend tout d’abord du ministère du travail va basculer dans le giron de l’éducation nationale
Aux Etats Unis la question de l’OP est plutôt une question concernant les adultes. Elle se structure autour de la question de l’insertion des immigrés et de la constitution de l’armée américaine pour son intervention en Europe au cours de la première guerre mondiale.
Du côté de la justification et de l’outillage, les scientifiques développent la notion d’aptitude et construisent des tests. Nous sommes dans un monde merveilleux, stables, où les aptitudes de chacun sont stables, mesurables, et elles correspondent à des capacités nécessaires pour exercer un métier. C’est la grande période de l’adéquationnisme.
Bien sûr, à l’époque cette conception est progressiste car elle s’oppose aux privilèges de la naissance qui organisent la structuration de la société.
Dans cette période, les conseillers d’OP travaillent essentiellement auprès des élèves du primaire et du primaire supérieur. L’entrée dans une formation professionnelle, que ce soit par l’apprentissage ou dans un établissement de formation (entreprises et villes ont développés des établissements d’enseignement technique) est difficile et rare. La formation professionnelle pour la population scolaire primaire est une promotion sociale. Rappelons que 90% de la population scolaire se trouve dans l’ordre primaire, les enfants de « notables » sont dans le secondaire, au lycée, qui les accueille dans les petites classes de lycée où ils sont initiés au latin (nécessaire pour rentrer en sixième). Rappel, en 1950, seul 5% d’une génération ont le bac.
L’orientation scolaire
La préoccupation de contrôler la circulation des élèves est en fait plus ancienne que l’orientation professionnelle en France. André Caroff indique que la plus ancienne circulaire réglant le passage en classe supérieure date de 1880. Celle-ci sera reconduite jusqu’à la fin des années 60 début 70. Elle institut d‘une certain manière le conseil de classe, et pose les conditions concernant les décisions de passage en classe supérieure, de tentative de « repêchage », et de redoublement. Cette décision repose sur la moyenne des notes. Et très vite après, sont instituées les compositions trimestrielles qui produiront les notes nécessaires à ce dispositif. Donc aucun jugement ou appréciation, rien que l’effet des notes selon la réussite à des épreuves hors de la quotidienneté de la classe.
A la fin des années 60, cette procédure va être modifiée et évoluer jusqu’à nos jours. Je fais la liste ici des évolutions majeures.
En 1959 lors de la réforme Berthoin, pour la première fois, on demande en fin d’année aux parents ce qu’ils désirent comme orientation pour leur enfant. Jusque-là l’institution est « totale ». Les conseillers d’orientation scolaire et professionnelle interviennent désormais dans le secondaire. Une nouvelle fonction apparait, celle de professeur principal, très mal accueillie par les enseignants.
En 1969, les compositions trimestrielles sont supprimées, ainsi que les notes. Les notes reviennent très vite, mais pas les compositions trimestrielles. Désormais, chaque enseignant, dans sa classe produit de l’évaluation comme il l’entend.
De nouvelles procédures d’orientation apparaissent en 1973 peu avant l’institution du collège unique. La procédure se voulait « pédagogique » et donc en deux temps (deuxième et troisième trimestre) de manière à pouvoir faire évoluer les vœux d’orientation, et la toute-puissance était mise à mal par l’introduction d’une procédure d’appel.
Avec le collège unique, ces procédures ne s’appliquent plus qu’à la fin d’un cycle au collège. Les enseignants traduisent cela par le passage automatique contre leur avis.
L’arrivée de Gauche au pouvoir en 81 va poursuivre ce travail de rééquilibrage des pouvoirs en introduisant un droit au redoublement, et la suppression de la décision « vie active ».
En 1992 on introduit l’entretien obligatoire avec le chef d’établissement si désaccord au troisième trimestre et avant la procédure d’appel, le chef d’établissement pouvant formuler une autre décision que la proposition du conseil de classe.
Et la réforme du lycée introduit des assouplissements : passage en première malgré une décision contraire, mais avec des modules de rattrapages organisés par l’établissement, ainsi que des possibilités de réorientations. Voir mon article L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ? .
Premières manifestation de l’idée d’éducation
Henri Piéron, directeur de l’INOP s’est battu toute sa vie pour institutionnaliser l’orientation. La science des tests et la docimologie doivent s’imposer y compris dans le monde de l’éducation nationale, et la théorie des aptitudes est défendue par les progressistes.
Mais au cours de la guerre, un conseiller d’orientation très actif, Pierre Naville se lance dans l’écriture d’un livre. Pierre Rolle résume dans cet article ce qui en résulte :
« De par sa réflexion et son expérience Pierre Naville s’engage avec « La théorie de l’orientation professionnelle » publiée en 1945 dans une lecture critique de la notion d’aptitude défendue par Henri Piéron.
En effet selon Pierre Naville l’aptitude professionnelle est « le résultat d’interactions entre le milieu socio-économique (régime de production) et les organismes individuels ». Néanmoins Henri Piéron soutiendra toujours l’existence d’ « aptitudes réelles » alors que Pierre Naville, ancré dans une perspective behavioriste et marxiste, privilégiera celle d’adaptabilité. Ces idées ne sont pas bien accueilles au sein de l’Inetop. Les relations entre Henri Piéron et Pierre Naville se détériorent jusqu’ en 1946. Pierre Naville est déchargé de ses cours en psychologie à l’INOP et mis à l’écart de la rédaction du « Traité de psychologie appliqué » publié en 1949. »
Dix ans après, alors que Henri Piéron réussit à généraliser une pratique de l’évaluation « armée » à l’entrée du secondaire, et qu’il conforte le rôle de l’INETOP dans la formation des conseillers, fonctionnaires de l’éducation nationale désormais, un groupe de conseillers représentés par Antoine Léon développe une toute autre conception. A nouveau la conception naturaliste de l’aptitude est critiquée, mais de plus ceux-ci prônent une psychopédagogie de l’orientation, engageant les conseillers dans une pratiques éducatives et plus seulement évaluative. Antoine Léon publie son livre et il sera exclu de l’INETOP et poursuivra une carrière de sociologue et d’historien de l’éducation.
La conception éducative en orientation sera ainsi enterrée pour quelques temps. Dans le prochain post j’en raconterai le retour, à l’étranger d’abord, puis en France.
Bernard Desclaux
Trois compléments de lecture :
Le livre d’André Caroff, L’organisation de l’orientation des jeunes en France. Evolution des origines à nos jours, a été publié en 1987. Il vient d’être actualisé par Pierre Roche (président du GREO ). On peut le consulter à cette adresse : https://sites.google.com/site/greorientation/home/livre-andre-caroff
Jérôme Martin : France, Allemagne et Grande-Bretagne dans les années 20. L’orientation professionnelle, un instrument de la rationalisation ? in Revue européenne d’histoire sociale, Histoire & sociétés, n° 2, 2002, pp. 93-106.
A la suite des 75 ans de l’INETOP, avec Rémy Guerrier j’ai édité le n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Dans ce numéro, j’ai publié « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673.
[…] « De par sa réflexion et son expérience Pierre Naville s’engage avec « La théorie de l’orientation professionnelle » publiée en 1945 dans une lecture critique de la notion d’aptitude défendue par Henri Piéron. En effet selon Pierre Naville l’aptitude professionnelle est « le résultat d’interactions entre le milieu socio-économique (régime de production) et les organismes individuels ». Néanmoins Henri Piéron soutiendra toujours l’existence d’ « aptitudes réelles » alors que Pierre Naville, ancré dans une perspective behavioriste et marxiste, privilégiera celle d’adaptabilité. Ces idées ne sont pas bien accueilles au sein de l’INOP. Les relations entre Henri Piéron et Pierre Naville se détériorent jusqu’en 1946. Pierre Naville est déchargé de ses cours en psychologie à l’INOP et mis à l’écart de la rédaction du « Traité de psychologie appliqué » publié en 1949. » In La psychologie du comportement de Pierre Naville (1904-1993) par Frédéric Carbonel (et non pas Pierre Rolle comme je l’ai attribué dans un précédent article). […]