Toujours dans le cadre de mon intervention à Angers, je poursuis le parcours historique de la thématique de la conception éducative de l’orientation. J’aborde ici la période de l’éducation à l’orientation lancée au cours du ministère Bayrou.
La circulaire
Après une hésitation sur la dénomination (éducation aux choix), c’est finalement le terme d’éducation à l’orientation qui sera retenue dans la circulaire du 31 Juillet 1996 (BO n°31 Sept.1996). Elle présente une activité éducative à organiser pour tous les élèves de la cinquième à la troisième. Une circulaire ultérieure la généralise pour les élèves du lycée. Mais la circulaire pour le lycée professionnel ne sera pas publiée, effet du changement gouvernemental.
Trois objectifs pédagogiques sont présentés :
- Connaissance de l’environnement économique et social, représentation des métiers
- Connaissance des systèmes de formation
- Construction d’une représentation positive de soi
Vous trouverez sur le prezi un document présentant cette circulaire, mis au point par Jean-Paul Serre, que nous utilisions dans l’équipe de formateurs EAO de l’académie de Versailles, et à cette adresse le document sur la méthodologie utilisée dans nos stages d’établissement durant les trois premières années dans l’académie de Versailles et d’autres documents.
Ces trois objectifs ne surprenaient pas des professionnels de l’orientation.
Les modalités d’action
Elles étaient plus surprenantes pour les établissements scolaires. Il s’agissait de rendre cohérent trois niveaux d’actions :
- Les conseils individualisés des professeurs principaux et des conseillers d’orientation-psychologues ;
- Les actions sur temps spécifique pour la connaissance des métiers et des formations et la connaissance de soi ;
- Les actions intégrées aux disciplines.
La notion d’infusion de Kenneth Hoyt réapparaissait au côté des deux autres types d’action, aussi tous les acteurs se trouvaient impliqués mais sans programme précis. Et tout se jouait au niveau de l’établissement et en particulier de son chef qui devait impulser cet objet de l’éducation à l’orientation, et mobiliser son équipe tant sur l’action que sur la construction du plan d’action. C’est notamment pour cette raison que nous avions mis en œuvre un dispositif important de formation d’établissement dans l’académie de Versailles, et non pas de diffusion de méthodes comme ce fut le cas dans de nombreuses académies.
Quel(s) objectif(s) ?
La circulaire indique qu’il s’agit d’associer à l’orientation une nouvelle démarche éducative visant à développer chez les élèves des compétences pour effectuer des choix d’orientation de manière autonome et responsable au moment où ils auront à les faire.
Cette circulaire ne fut pas rédigée par M. Jacques Sénécat, Inspecteur général de l’éducation nationale chargé de l’orientation, mais par M. Paul Ricaud-Dussarget, Inspecteur général de l’éducation nationale du groupe établissement et vie scolaire. Et celui-ci la présentait ainsi (Propos publié dans le B.O. n° 38, du 24 octobre 1996, p. 2583) :
» Il faut dire en premier lieu que la conception de l’orientation a beaucoup évolué. D’une manière sommaire, on peut estimer qu’en quelques années nous sommes passés d’une vision déterministe à une approche éducative. On pensait pouvoir définir naguère, avec des outils qu’on croyait fiables, le « profil » de l’élève et faire un pronostic de son avenir scolaire et social. Cette vision correspondait d’ailleurs à une période relativement stable de l’histoire économique et sociale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’avenir est incertain et peu prévisible. Il s’agit alors de donner à l’élève les moyens de faire, tout au long de sa vie, des choix réalistes et adaptés. «
On voit bien ainsi l’ambiguïté congénitale de l’éducation à l’orientation :
- faciliter l’orientation scolaire des élèves
- préparer les jeunes à leur tâche d’orientation future.
Lorsqu’il y a deux objectifs ambigus, il est rare que les deux se maintiennent longtemps ensemble dans la pratique. Et ici bien sûr c’est l’orientation scolaire qui fut choisie par les acteurs.
Une innovation institutionnelle non pilotée
Je n’ai pas abordé ce point lors de mon intervention.
J’ai développé cette idée dans un article publié dans la revue Perspectives documentaires n° 60 – L’éducation à l’orientation, 2003 : L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation . J’en ai déjà présenté quelques éléments sur ce blog (Pour une conception ternaire de l’orientation)
L’éducation à l’orientation, tout comme les parcours pédagogiques différenciés (autre réforme lancée dans le même temps), sont des innovations ministérielles. Ces réformes viennent bousculer, remettre en cause des normes de fonctionnement, mais ce ne sont pas des acteurs locaux qui sont porteurs de ces transgressions, c’est le ministère qui lui-même les réclament. On est un peu dans le paradoxe du type « soyez spontané » déclaré par le chef à son subalterne. Et dans ce cas il faut examiner quel est l’intérêt des acteurs dans ces transgressions ? Pour ce qui est de l’éducation à l’orientation, le seul intérêt que nous entendions évoquer lors des stages, était un intérêt purement personnel : avoir une autre relation avec les élèves. Ce n’est surement pas suffisant pour diffuser une innovation.
En m’appuyant sur le modèle de Françoise Cros et celui de Michel Callon et Bruno Latour, j’ai cherché à montrer que l’accompagnement institutionnel a été absent dans le processus d’innovation. En particulier les porteurs, les diffuseurs de l’innovation n’avaient aucun pouvoir sur le territoire d’application de celle-ci : l’établissement scolaire.
Je pense qu’il en est de même aujourd’hui pour le parcours de découverte des métiers et des formations.
Bernard Desclaux