Une suite à la lecture de mon article « Un rôle de formateur : analyser les circulaires ».
Pour assurer (tenter de) une lecture la plus large possible de mes articles , je les signale sur Twitter. Certains twitteurs retweetent le message, et en général, je les remercie personnellement. C’est ce qui se fait souvent avec Luc Bentz, sauf que pour une fois, le suis ai demandé également ce qu’il en pensait : plusieurs tweets de sa part ont suivi. Les trouvant intéressants, je lui ai rappelé qu’il était possible d’en faire un commentaire à la suite de mon post. Et il y eut un commentaire… mais beaucoup trop long et fourni pour le laisser se perdre au bout d’un article. Je lui ai donc proposé d’en faire deux articles et de les publier sur mon blog, en son nom.
Luc Bentz est un éducateur syndicaliste dont les goûts éclectiques vont du statut général de la Fonction publique à la grammaire française en passant pas l’observation des réseaux sociaux. Vous pouvez le retrouver sur Twitter https://twitter.com/LucBentz ou sur l’une de ses pages http://about.me/lucbentz.
Le juridique descendant
Je suis d’accord avec le fond du propos exprimé par Bernard Desclaux dans son dernier billet. La logique administrative est «descendante» par nature, mais les lectures du texte «ministériel» sont parfois diverses. Un décret, un arrêté sont par essence des textes juridiquement normatifs — et la norme juridique interdit les développements littéraires et l’expression de ce qui les a inspirées. C’est pourquoi les détails, les précisions — que l’on touche à la res pedagogica et pas seulement aux structures — nécessite ces instructions, circulaires ou notes de service qui, pour les juridictions administratives, ont le même statut de textes « non règlementaires ».
L’institution scolaire nolens volens n’est pas un aimable dispositif autogéré, un ensemble d’abbayes de Thélème. Le ministre — quel qu’il soit — est porteur de la légitimité que lui confère l’appartenance à un gouvernement désigné par les deux acteurs constitutionnels issus du suffrage universel que sont le président de la République, qui le nomme, et l’Assemblée nationale, qui généralement l’ investit (déclaration de politique générale) et, le cas échéant, le renverse par une motion de censure (il n’y a pas en France de «pouvoir judiciaire», mais une autorité judiciaire: la révolution de 1789 craignait le gouvernement des juges et le retour des parlements d’Ancien Régime).
Application et circulation
Les fonctionnaires, garants de par leur statut de la pérennité du service public, sont là pour appliquer la loi et les règlements (décrets, arrêtés) parce que leur mission est d’être des agents publics, autrement dit ceux par lesquels la puissance publique agit. Le Juge administratif a d’ailleurs sur ce point une jurisprudence constante, y compris sur les circulaires ou les ordres illégaux dès lors qu’ils ne mettent pas en péril imminent les personnes ou les biens. Voilà pour le principe. Reste, surtout dans le cas d’espèce, la question de l’application concrète de la chose.
La transmission traditionnelle de la parole ministérielle (faisons un tout de l’ensemble loi-règlement-circulaires et textes analogues) se fait du haut en bas et, au fond, d’individu à individu(s) même si elle paraît avoir un caractère collectif, global, massif. Le ministre s’adresse à chaque autorité subordonnée, celle-ci prolonge sa chaîne hiérarchique jusqu’à ce qu’on arrive à l’échelon final qui est, suivant le cas et la nature du texte le fonctionnaire de terrain, ce qu’on appellerait aujourd’hui son N+1 (chef d’établissement ou directeur d’école — lequel, s’il n’est pas un supérieur hiérarchique est un élément de la chaîne hiérarchique dont les responsabilités, compétences et missions particulières sont fixées par des textes règlementaires gravés dans l’airain avec lequel on forge les décrets en Conseil d’État). La notion de «chefs» figurait en bonne place dans la circulaire Spuller sur l’interdiction du droit syndical aux instituteurs (et par extension aux fonctionnaires). Ce fonctionnement convenait admirablement, d’ailleurs, à l’époque où, dans le lycée napoléonien dont j’ai connu les soubresauts dans les années soixante, on faisait la même version à la même heure, de la même manière que, dans la majorité des écoles primaires, on pouvait avoir — selon le jour (lundi: orthographe d’usage; mardi: grammaire; mercredi ou jeudi: conjugaison) une idée de la page du Bled qui pouvait être ouverte.
Ces temps sont loin, mais la circulaire demeure. La circulaire est d’ailleurs nécessaire car la norme juridique seule ne suffit pas (on sait bien d’ailleurs que, cette immense chantier que fut la loi de refondation de l’École étant voté et publié au Journal officiel, tout ne fait que commencer. La norme c’est l’ossature sans laquelle rien ne tiendrait debout, c’est le cas de le dire; les développements sont la chair et le sang (il faut fluidifier la sécheresse administrative) et, l’inspiration, c’est le système nerveux (les instructions partent du cerveau à partir des données que font parvenir les terminaisons, ce qui est assez moderne au fond). Mais voilà…
La logique « étagère »
La vie des administrations est une constante: chaque étage, chaque étape conduit à préciser, à décliner davantage le texte ministériel en prenant en compte les ajouts successifs. C’est ainsi qu’un texte «ouvert» à partir de dispositions législatives ou règlementaires du Code de l’éducation ouvrant des marges peut se transformer en dispositif contraint. Crainte du laisser-faire ou d’une mauvaise application; souci du terrain ou volonté d’imprimer SA marque et SA lecture (la lecteur est alors le choix de celui qui édicte: celui qui vient après n’en a plus vraiment)… il y a toujours le risque d’une application bureaucratique quand tout le monde rajoute sa couche de normes, par peur ou par souci de /mieux/ faire. Les habitudes ont la vie dure (et pourraient en témoigner directement tous ceux qui, dépositaires ou non d’une autorité hiérarchique, peuvent faire des conférences façon amphi à l’ancienne pour expliquer à un public passif tout l’intérêt pédagogique d’outils numériques interactifs). On notera d’ailleurs que, paradoxalement, les corps intermédiaires restent indispensables à un ministre qui décide mais ne peut à lui seul observer comment les choses se passent sur le terrain. Mais le terrain n’est pas (ou plus seulement) un point d’arrivée. Le langage de la Fonction publique a beau, pour des raisons historique, avoir emprunté au langage militaire (corps, grade…), on est loin — surtout en matière éducative — de l’obéissance aux ordres « sans hésitation ni murmure »… formule qui a d’ailleurs disparu du statut général des militaires.
(À suivre…)
Luc Bentz