Les choix des lycéens et leurs résultats

Deuxième article qui développe mon intervention lors de la conférence proposée par Educpros : « Orientation : comment toucher vos futurs étudiants ? »

Dans quel état les lycéens français sont-ils lorsqu’ils font leur choix APB ? Et quel en est le résultat ?

L’état mental du lycéen

A la fin des années 80, L’application RAVEL est mise en place dans la région parisienne pour gérer les inscriptions dans l’enseignement supérieur, en fait celles vers l’Université. Jusqu’à la mise en place de APB, on observe le même phénomène : la moitié des lycéens se connectent la veille de la clôture du système ! Il semble que les choses n’aient pas beaucoup évoluées.  Une masse importante de lycéens attendent le dernier moment pour arrêter leurs vœux.

Dans son premier article de 1985, Sélection, auto-sélection et représentations sociales des lycéens. (L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 14, 205-228), Jean Guichard indiquait une tendance lourde dans le choix de l’orientation post-bac des lycéens de l’époque : on poursuit ses études dans ce qui correspondent aux matières de sa réussite en tant que lycéen. Ce qui n’est pas idiot en soi, bien évidemment. Mais on est bien loin de l’idée d’une orientation professionnelle !

L’OSP en 2005 publie un article de Serge Lacoste, Sylvie Esparbès-Pistre et Pierre Tap : L’orientation scolaire et professionnelle comme source de stress chez les collégiens et les lycéens. Ils écrivent :

« Il apparaîtrait que plus les performances scolaires sont importantes, plus les possibilités d’orientation sont grandes. Le projet pourrait donc s’en trouver moins affirmé et moins précis.

Ainsi, paradoxalement, le projet professionnel apparaît assez précis chez les élèves plus jeunes ou qui réussissent moins bien à l’école ou suivent des filières de formation peu valorisées. En revanche ceux qui réussissent leurs études ont souvent un projet professionnel flou ou n’ont pas de projet (Boutinet, 1990), comme s’ils avaient le droit ou la possibilité de réfléchir plus longtemps à leur vie future, d’attendre encore un peu pour choisir leur voie. La scolarité fait temporairement office de projet professionnel, en assurant un lieu refuge, une protection vis-à-vis de l’environnement peu engageant en temps de crise, différant ainsi le moment de l’insertion professionnelle.

Le projet se développe à partir des ressources scolaires qui permettent paradoxalement de différer son engagement. « Le privilège devient même l’absence d’obligation d’avoir un projet » (Dubet, 1991, p. 198). »

D’où une forme de stratégie d’évitement si on veut rester dans le général : un élève moyen ne doit pas penser « profession », sous peine d’orientation !

 

Ce qui s’observe jusque-là dans les études sur les motivations des choix des lycéens c’est qu’elles reposent en très grande majorité sur leur rapport aux disciplines scolaires. Ce qui fait qu’en terminale il s’agit bien d’une « poursuite d’études » et non d’un choix de formation professionnelle.

Un renversement de cette tendance ce serait produit depuis. Ainsi l’ONISEP en 2011 présente les résultats d’une enquête menée en partenariat avec la MAIF et la MGEN : Portrait du lycéen face à ses choix d’orientation.  Parmi les résultats on peut relever : « 95% des lycéens ont déjà réfléchi à leur orientation et 58% en ont même une idée assez précise. Lorsqu’ils pensent à leur avenir, les lycéens l’envisagent plutôt sous l’angle métier (57%) que sous celui des études (43%). Spontanément, ils parlent « travail », « métier ». ».

Que s’est-il passé ? Peut-on attribuer cela à un nouveau mode d’accompagnement des lycéens ? On le verra dans un article suivant. Est-ce l’effet de la crise de 2008 qui déclencherait ce pragmatisme, cet utilitarisme de l’orientation ? C’est une piste en particulier quand on voit ce qui n’a pas changé depuis que des enquêtes se font sur ce sujet : « Les parents apparaissent comme leur principal appui (67%). Les informations disponibles dans les lycées ou sur internet arrivent en deuxième position (32%). Les enseignants (28%), les conseillers d’orientation psychologues (20%) jouent un véritable rôle dans l’accompagnement des élèves. ».  Le rôle des parents est toujours primordial, et l’on peut penser que l’enquête mesure en fait la préoccupation parentale qui elle a été modifiée par la crise.

 

Les effets du choix

Cet aspect de l’orientation est beaucoup plus étudié. Je vous renvoie à quelques ressources proposées à la fin de cet article.

Mais la première observation que l’on peut faire : c’est qu’il n’y a d’échec qu’en université ! La très grande majorité des études faites portent sur ce secteur de notre dispositif d’enseignement supérieur. Curieux déjà en soi.

Donc en Université, redoublements, échecs en première ou deuxième années, sont souvent imputés à une « mauvaise orientation ». Les choix d’orientation sont aberrants, les bons élèves vont dans les filières courtes pour éviter l’Université, et les « mauvais » s’y trouvent inscrits fautes d’avoir été acceptés ailleurs ! On observe ainsi un effet de croisement des flux des lycéens.

Mais depuis peu un autre discours se formule.

Par exemple, la thèse de Sophie Orange, dont elle a fait un livre publié récemment s’intéresse à un secteur peu étudié : L’autre enseignement supérieur. Les BTS et la gestion des aspirations scolaires, PUF, coll. « Education et société », 2013, 208 p ; Cr de Ruggero Iori.  Et R. Bodin et S. Orange viennent de prendre le contre-pied du discours habituel avec  L’Université n’est pas en crise. Les transformations de l’enseignement supérieur : enjeux et idées reçues, Bellecombe-en-bauges, Editions du Croquant, septembre 2013, p. 151-163. Un extrait se trouve à l’adresse suivante.

« L’accès à l’enseignement supérieur des bacheliers technologiques et professionnels fait ainsi l’objet d’une assignation dans certaines formations privilégiées et d’un maintien à distance des formations universitaires. Cette gestion des flux trouve en premier lieu sa justification dans l’anticipation de l’inadaptation scolaire de ces étudiants aux attendus de l’Université. »

« Car derrière un problème d’apparence strictement scolaire – l’échec en première année, l’épinglage des filières technologiques et professionnelles –, ce sont bien des catégories sociales qui sont visées. L’arrivée de ces nouveaux publics remet en effet en question les normes dominantes d’usage et de pratique de l’Université. »

On tourne ici autour de l’explication de la difficulté par le décalage social, culturel, comportemental entre des populations scolaires et des espaces d’enseignement.

 

Je chercherai d’autres pistes d’explication (qui ne se substituent pas à celles-ci) et que je proposerai dans le prochain article.

Je pense qu’il faut comprendre par le fonctionnement antérieur comment notre système scolaire produit cette situation.

 

Bernard Desclaux

 

Quelques ressources

Marc Romainville, Christophe Michaut : Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur. Collection : Perspectives en éducation et formation, Editeur : De Boeck, 2012.

Grégory Danel : Université : pourquoi tant d’échecs ? pour Le journal L’Etudiant.

Philippe Jacqué : Décrochage universitaire : la France moins médiocre qu’attendu, pour le journal Le Monde.

L’entretien de  l’ancien directeur du Céreq, auteur d’un essai sur ce sujet. Contexte et préconisations d’Yves Lichtenberger, interrogé par notre ex-directeur scientifique, Jean-Lin Chaix, durant un entretien vidéo. En particulier Relations entre sélection et orientation.

Françoise Solliec : Attention danger : les causes d’échec dans l’enseignement supérieur sur le Café pédagogique.

 

Article précédent

Evolution sur 30 ans des pratiques d’accompagnement vers le post-bac

 

 

 

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This entry was posted on samedi, octobre 19th, 2013 at 18:18 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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