Troisième billet développant mon intervention au colloque de Caen. Il y sera question de la mise en place de la législation instituant l’apprentissage en France. A cette occasion, une nouvelle profession se constituait : celle de conseiller d’orientation professionnelle, l’ancêtre de la multitude de conseillers d’orientation d’aujourd’hui.
Une loi pour l’apprentissage et ses conséquences
En 1919, la Loi Astier, met en place notamment l’apprentissage et surtout cherche à unifier la formation professionnelle et à en prendre son contrôle.
Mais très vite se pose la question de l’adéquation entre la personne et la formation, et deux lois, en 1928 puis en 1938 vont rendre l’avis d’orientation obligatoire pour la signature d’un contrat d’apprentissage.
Cette idée d’adéquation entre les caractéristiques de la personne et celles du métier correspond à l’idéologie ambiante de l’harmonie que l’on retrouve chez les Jésuites avec leur principe : « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place », ou encore la formule d’ Henry. Ford : The right man in the right place. On est en plein dans le mythe de Platon et de sa cité juste. Ou encore du monde merveilleux de Bernardin de Saint-Pierre : « Le melon a été divisé en tranches par la nature, afin d’être mangé en famille; la citrouille, étant plus grosse, peut être mangée avec les voisins. ». Sauf que le melon français est en effet ainsi fait, mais pas le melon espagnol … Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà (quelques infos sur cette expression ici).
Du côté scientifique, il y a une correspondance, la théorie des aptitudes et le testing. Ceci permettra à l’orientation professionnelle de se concrétise. Le testing suppose la possibilité matérielle de mesurer les deux versants, les capacités, aptitudes, caractéristiques, d’une personne, et de l’autre les caractéristiques du métier ou d’une formation, et on suppose que l’on peut faire correspondre ces deux ensembles. Plus la correspondance est harmonieuse et plus la prescription sera « juste ». Ainsi se fonde l’autorité du prescripteur (l’orienteur professionnel), celle-ci étant fondée sur un savoir scientifique, en ce début de siècle encore porté par la foi dans le progrès et le positivisme comtien.
Cette pratique du testing sera défendue par Henri Piéron le père fondateur de l’INOP, créé en 1928. Cet institut formera la majorité des conseillers d’OP en les formatant sur cette pratique.
Mais à l’époque, d’autres savoirs sur l’autre sont possibles et cherchent à justifier l’avis d’orientation et ainsi à en prendre son contrôle. L’instituteur détient un savoir légitime sur l’élève et le médecin considère également détenir un savoir physiologique tout aussi pertinent. Il y aura donc une longue hésitation quant à savoir qui de ces trois personnages, l’instituteur, le médecin, ou le conseiller d’OP, fera la synthèse et signera l’avis d’orientation ? Finalement ce sera le conseiller d’OP qui l’emportera, Julien Fontègne étant l’artisan de cette bataille.
Un circuit administratif sera ainsi institutionnalisé. L’instituteur transmettra ses informations au conseiller ainsi que le médecin. Le Conseiller pourra faire passer ses tests aux enfants des écoles, fera la synthèse de toutes ces informations, rédigera l’avis d’orientation et le signera.
Remarques supplémentaires à mon intervention
La question de l’OP, de l’ « adéquation », porte tout autant sur l’entrée dans l’emploi que sur celle de la formation. Le testing est utilisé à ces deux moments. Mais les pratiques vont porter des noms différents. Le contrôle de l’entrée dans l’emploi sera du placement ou du recrutement. Et pour la formation, on parlera d’orientation professionnelle. L’Etat s’impliquera donc très tôt comme on l’a vu dans l’OP, mais nettement plus tard pour le placement considéré, comme on dirait aujourd’hui comme un service à la personne (L’ANPE est créé en 1967 voir ici). Le recrutement reste de la responsabilité des entreprises.
Mais il n’est pas inintéressant de rappeler que jusque dans les années 80, la formation de conseiller d’orientation permettait non seulement d’être fonctionnaire dans l’éducation nationale, mais aussi de postuler dans les entreprises pour les fonctions de recrutement.
Pour plus de détails, sur la naissance de cette profession, on pourra se rapporter à mon article « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673, in n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Et surtout à celui de Michel Huteau et Jacques Lautrey : Les origines et la naissance du mouvement d’orientation professionnelle, reproduit dans ce même n° Hors-série, pp. 637-672 (datant de 1979).
Bernard Desclaux
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (I)
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/04/06/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-i/
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (II)
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/04/17/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-ii/
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (III), ou l’apprentissage et la naissance d’une profession
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IV), ou la déconstruction de l’autorité sur autrui
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (V), ou le déclin de l’organisation du pouvoir d’orienter
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VI), ou la perte de l’argumentation
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VII), ou les débuts de l’éducation à l’orientation
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VIII), vers l’institutionnalisation de l’EAO
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IX), et l’Europe s’en mêle
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (X), ou la remise en cause des rôles professionnels
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XI), ou la contrariété des procédures
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XII), ou le débat sur l’évaluation et pour finir
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/wp-admin/post.php?post=1774&action=edit&classic-editor
A la lecture de ce billet qui nous ramène à l’histoire de la profession et à l’histoire tout court, on perçoit bien le passage d’ une fonction d’orientation spécialisée (hier) à une fonction diluée (aujourd’hui). L’orientation est devenue l’affaire de tous.Elle peut être « contrôlée » par toute sorte d’acteurs. Pour se reporter à Michel Foucauld,lorsqu’il parle de la fonction auteur…,tout le monde peut être l’auteur de l’orientation. Il n’existe plus un auteur attitré.Peut-on parler tantôt de perte d’expertise, et à d’autres moments d’hyper-expertise? Les situations sont multiples.Ensuite,ton texte Bernard, m’évoque la question de la mesure des aptitudes, qu’attestait l’avis d’orientation. Ces aptitudes se sont transformées en compétences. C’est une notion plus labile. Elles naissent, se développent et peuvent mourir. Dans une sorte de renversement de paradigme, les compétences sont devenues aujourd’hui les attributs éphémères d’un sujet qui tend à disparaître dans la nécessité de trouver cette place, que l’on pourrait espérer bonne. Il faudra donc de nombreux dispositifs et de nombreux acteurs pour valider ces compétences mouvantes, attachées à des personnes elles-mêmes en mouvement. On comprend pourquoi depuis plusieurs années, nous sommes si désorientés.
Aujourd’hui, faute d’avoir véritablement travaillé la question du « conseil »,en tant que cœur d’un métier, on se retrouve à la veille de sa disparition : Exit les COP et vive les PEN ( Psychologues de l’EN)! Dés la fin des années 70, les limites de la conception adéquationiste et dirigiste de l’orientation scolaire et professionnelle ont été atteintes, sous la pression de la baisse de l’offre d’emplois, de l’élévation du niveau d’aspiration dans les études et des objectifs officiels (80% au bac). Le maintien de procédures d’orientation procédant de la même logique, a perpétué une ambiguïté et une illusion autour d’une hypothétique » éducation à l’orientation » qui n’a jamais fonctionné. Au lieu de faire du moment de « conseil »,pour un sujet accompagné par un conseiller, un travail de prise de conscience multi factorielles et de pouvoir sur soi même, on a fait croire que la seule « information sur les études et les métiers » suffisait pour construire un projet. C’est à ce niveau de « travail du conseil » que l’expertise de psychologue des COP, aurait du se concentrer, au lieu de se perdre dans l’aide à l’adaptation et aujourd’hui, dans la prévention du décrochage ou le testing des publics à besoin spécifique. Aujourd’hui, ce sont les coachs privés qui répondent à la demande du public( « donner moi les armes pour pouvoir diriger ma vie » ). Le nouveau SPRO ( Service Public Régional d’Orientation)se met en place, sans l’expertise des Directeurs de CIO et des COP et sans les lieux ressource de proximité que sont les CIO : Un vrai gâchis de compétences et beaucoup de désillusions à venir, puisque qu’il semble bien que ce soit une reprise des paradigmes de recherche de l’illusoire « adéquation formation/emploi », qui guide les premiers pas du service public régional: Pour le retour d’une « orientation scolaire et professionnelle », où la logique de l’offre sera prioritaire……et fera fuir les publics ciblés.