Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (V), ou le déclin de l’organisation du pouvoir d’orienter

Cinquième article développant ma conférence à Caen, NOUVEAUX PARCOURS POUR S’ORIENTER, Développer la capacité à s’orienter du collège au lycée, et tout au long de la vie.

Dans cette partie il s’agira du déclin de l’organisation du pouvoir d’orienter. L’avis d’orientation nécessaire à la signature du contrat d’apprentissage est supprimé par la loi Seguin en 1987. Entre temps, l’orientation est entrée dans l’École. Et, du coup, la question du pouvoir d’orienter est entrée elle aussi dans l’École, et ce pouvoir comme je vais le montrer décline au cours de cette histoire.

 

Pouvoir professoral et système

Antoine Prost (cf. Prost A. 2013 : Du changement dans l’école, de 1936 à nos jours, les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil) a bien montré comment, dans les années1950-60, des débats politiques serrés et des interprétations diverses ont pu être mis en exergue sur le rôle que devait avoir l’État éducateur sur les individus en matière d’orientation. L’État attribue le pouvoir d’orienter aux professeurs, le pouvoir de décider pour et au nom des élèves (jusqu’au décret du 14 juin 1990 sur l’orientation et l’affection des élèves), mais a induit de fait une certaine « impuissance professorale » que nous constatons aujourd’hui.

 

Mais faut relier l’organisation du « système » avec le contrôle de la circulation des élèves. En un siècle, trois modes d’organisation se sont succédés (parfois en se chevauchant, le passage à un nouveau mode est lent et conflictuel).

Premier mode de la fin du XIXème au début du XXème : deux ordres séparés, l’ordre primaire et l’ordre secondaire, le primaire ayant développé des classes après le « certificat d’études », et le secondaire, à l’inverse, ayant son « petit lycée ». Aucun passage possible entre ces deux ordres.

Deuxième mode à partir des années 1920 : construction d’un rapprochement entre les classes communales et les « petites classes » des lycées (qui seront définitivement supprimées, dans le public, en 1966). Le système – collège et le système – lycée restent séparés et toute une série de protections sont mises en place (examen d’entrée en 6ème par ex.) pour préserver cette séparation. Quasi impossibilité, à la fin du CEG de rejoindre le lycée (notamment par non articulation entre les programmes d’enseignement).

Enfin troisième mode à partir des années 70 : Une école unique, un collège unique (qui se dit unique), et la question de l’orientation qui se joue à la fin du collège sur la bifurcation entre lycée professionnel et lycée général et technologique.

 

Dans notre système scolaire, les procédures d’orientation sont une très vieille affaire. On a longtemps d’ailleurs parlé de « passage en classe supérieure » (on en parle déjà dans les années 1880), à l’époque de ce que j’appelle « l’institution totale » : la famille remet » l’élève à l’établissement, qui en fait ce qu’il veut. C’est en 1890 que l’État met en place un arrêté et une circulaire (Arrêté du 5 juillet 1890 et Circulaire du 15 juillet 1890) qui font reposer le passage en classe supérieure sur la moyenne des notes obtenues par l’élève : à partir de la moyenne, on passe ; entre 8 et 10, on est invité à passer un examen en septembre ; sinon on redouble, ou… on va voir ailleurs ! On « remet l’élève à la famille » comme on dit pudiquement. On met en place des épreuves trimestrielles, et ce sont ces épreuves-là qui vont compter. Ce système va fonctionner sans problèmes jusqu’aux événements de 68.

 

La lente déconstruction de ce pouvoir

En 1969, Edgar Faure lance la réforme de la notation par des lettres (A-B-C-D-E) tout en laissant en place la circulaire de 1890 sur le passage en classe supérieure. Du coup, chaque enseignant va devoir construire une évaluation « au gré du vent », qui va envahir les cours alors qu’elle était antérieurement concentrée à la fin de chaque trimestre (NDLR : cf. le mot d’André de Peretti : « Quand on a supprimé les compositions trimestrielles, ou a inventé l’évaluation permanente » (au sens de « contrôle » et non de « mise en valeur »).

 

En 1959 (ministère Boulloche), pour la première fois, l’État exige que les établissements scolaires demandent aux parents ce qu’ils veulent pour leur enfant à la fin du 3ème trimestre.

 

En 1973 (ministère Fontanet), on met en place ce qu’on dénomme les « nouvelles procédures d’orientation », grosso modo le système que l’on connaît aujourd’hui, un dialogue établissement – famille entre le 2ème et le 3ème trimestre, et un système d’appel (examen, commission d’appel). Après le temps de l’orientation, le temps de l’affectation advient. On désigne les inspections académiques pour organiser l’affectation et on créé des inspecteurs chargés de l’information et de l’orientation pour s’en occuper. Mais comme on dispose de peu d’outils préparatoires, on invente ce qu’on appelle trivialement « la foire aux dossiers » : « j’te prends, j’te prends pas… », une bagarre entre établissements offreurs de dossiers et établissements receveurs.

 

En 1982 (ministère Savary), beaucoup de modifications sont introduites. On supprime la mention « Vie active » dans les prérogatives des conseils de classe, on introduit le droit au redoublement, la commission d’appel seulement (suppression de l’examen d’appel) et le passage dans une classe unique de 2de générale et technologique (classe décidée par la réforme Beullac juste avant la victoire de la Gauche).

 

En1992 (ministère Lang), quelque temps après le décret du 14 juin 1990 qui a supprimé le pouvoir délibératif, décisionnel du conseil de classe et l’a transféré aux chefs d’établissement ou aux familles, on met en place la rencontre obligatoire entre le chef d’EPLE et les parents lorsque les propositions du conseil et la demande des parents continuent à ne pas s’accorder. Jusque-là, le chef d’établissement formulait la proposition d’orientation « sur avis du conseil de classe ». Problème, en droit administratif, une décision administrative est prise par une personne identifiée et non un collectif. Il fallait donc mettre les choses en l’ordre… Reste qu’à ce jour, on n’a jamais mis en place d’évaluation de cette étape.

 

En 2009 et 2010 (ministère Chatel) assouplissement des procédures au sein du LGT ainsi que celles de passage du LGT vers le LP mais aussi du LP vers le LGT. Là encore on a à ce jour très peu d’informations factuelles sur ce qui se passe réellement, car les pratiques sont très localisées. (voir mon article L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ? )

 

En 2013 (ministère Peillon) l’orientation « à la main des parents » est expérimentée dans quelques établissements de différentes académies, dont celle de Caen (NDLR : décision d’orientation donnée à la famille en fin de 3ème). Dans la conclusion du rapport d’étape de l’inspection générale (IGEN, IGAENR) publié par le MENESR le 11 décembre 2014  on trouve ceci : « la bonne orientation, pour la plupart des équipes éducatives interrogées (NDLR : par les inspecteurs généraux) est celle qui correspond à la décision du conseil de classe ». On est encore bien sur une conception conflictuelle basée sur une autorité professorale qui doit être suivie par ceux qui reçoivent les propositions.

 

Un pouvoir en déclin encore structurant

Même si le pouvoir sur l’orientation des élèves reste du côté des enseignants de l’élève, on peut voir que ce pouvoir totalitaire à l’origine se trouve amoindri au fur et à mesure du temps. Et cette remise en cause est vécue le plus souvent du côté enseignant comme une atteinte à leur autorité.

 

L’orientation, en tant que gestion de la circulation des élèves dans le système s’organise autour des relations de trois acteurs :

 le système d'orientation

 Dans le système français, ce sont les enseignants qui enseignent aux élèves qui l’emportent. Dans d’autres systèmes, ce sont les parents. Autre exemple, dans beaucoup de pays, ce sont les établissements accueillants qui décident d’admettre ou non l’élève.

Notre modèle est loin d’être universel.

Bernard Desclaux

 

Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (I)

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (II)

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (III), ou l’apprentissage et la naissance d’une profession

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IV), ou la déconstruction de l’autorité sur autrui

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (V), ou le déclin de l’organisation du pouvoir d’orienter

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VI), ou la perte de l’argumentation

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IX), et l’Europe s’en mêle

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (X), ou la remise en cause des rôles professionnels

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Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XI), ou la contrariété des procédures

https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/08/24/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-xi-ou-la-contrariete-des-procedures/

Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XII), ou le débat sur l’évaluation et pour finir

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This entry was posted on jeudi, mai 7th, 2015 at 11:17 and is filed under Orientation, Système scolaire. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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