Onzième article développant ma conférence à Caen, NOUVEAUX PARCOURS POUR S’ORIENTER, Développer la capacité à s’orienter du collège au lycée, et tout au long de la vie.
L’existence des procédures d’orientation est contraire à l’éducation à l’orientation
C’est le deuxième thème que j’avais prévu d’aborder.
L’éducation à l’orientation ne peut se faire dans un contexte de contrainte. Or le processus des procédures d’orientation fonctionne comme un entonnoir, il va d’un moment où tout est possible à un moment de choix et donc de réduction des possibles. L’éducation à l’orientation au contraire suppose d’enrichir les possibles.
Notre système est élitiste, il a besoin d’une évaluation sommative qui permet la distinction et la hiérarchisation des performances des élèves. Nos procédures d’orientation permettent la répartition des élèves dans des chemins de formation différents.
Tout ceci n’est pas sans effets sur la forme pédagogique. La réflexion sur les résultats des petits français lors de la deuxième enquête PISA a montré cela. L’évaluation continue des élèves créés chez eux une peur de mal répondre. Ils ne répondent le plus souvent que s’ils croient savoir car l’évaluation est une situation à risque. Deux autres conséquences sont également à relever. La pression de l’évaluation sommative fait que la pédagogie ce centre sur la recherche de la bonne réponse et non sur le processus créatif. Et d’autre part cette évaluation étant nécessairement individuelle puisque ses conséquences le sont, réduit tout travail collectif et collaboratif.
Autre conséquence cette fois-ci sur le fonctionnement du collège. Nos procédures assurent la bifurcation à l’issue du collège entre deux grandes voies de formation, la voie professionnelle et la voie générale et technologique. La responsabilité est attribuée au collège et en particulier aux procédures appliquées en classe de troisième, dernière classe du collège. Mais cette responsabilité a de fait des effets sur l’ensemble collège et sur sa structuration qui fonctionne comme une colonne de distillation comme le dit François Dubet (voir mon article sur mon blog : Conséquences du collège unique )
Ces procédures ont enfin un effet sur le fonctionnement du conseil de classe. Les procédures réclament au conseil de classe et à ses acteurs de combiner trois principes. Le principe de justice exige de suivre les règles, la réglementation. La justesse est ensuite un principe ambigu qui suppose à la fois de prendre des décisions équivalentes, mais aussi pertinentes pour chacun. Enfin le principe de justification nécessite de motiver la décision. Cette centration des conseils de classe sur la mise en œuvre des procédures d’orientation fait que l’autre fonction des conseils est totalement occultée. Exit la coordination pédagogique !
A tout ceci il faut rajouter un sentiment d’impuissance professorale très bien représenté par le dessin de Fabrice Erre, enseignant et dessinateur de BD.
Bernard Desclaux
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (I)
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/04/06/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-i/
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (II)
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/04/17/apprendre-a-sorienter-dhier-a-aujourdhui-ii/
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (III), ou l’apprentissage et la naissance d’une profession
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IV), ou la déconstruction de l’autorité sur autrui
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (V), ou le déclin de l’organisation du pouvoir d’orienter
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VI), ou la perte de l’argumentation
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VII), ou les débuts de l’éducation à l’orientation
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (VIII), vers l’institutionnalisation de l’EAO
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IX), et l’Europe s’en mêle
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (X), ou la remise en cause des rôles professionnels
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XI), ou la contrariété des procédures
Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (XII), ou le débat sur l’évaluation et pour finir
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/wp-admin/post.php?post=1774&action=edit&classic-editor
Bernard exprime avec beaucoup de justesse le paradoxe dans lequel est placée institutionnellement l’orientation, prise qu’elle est entre processus et procédure.On pourrait se demander de façon candide pourquoi on continue à parler d’éducation à l’orientation sous quelque forme que ce soit: éducation des choix ( formulation plus claire jusqu’au dernier éternuement d’une pédagogie qui ne réussissait pas à dire son nom PIODMEP…). On ne peut visiblement se satisfaire des simples procédures qui ont un aspect anti démocratique, voire autoritaire. La décision est du côté de l’Institution. En France, il faut partager le pouvoir…ou son illusion et donner la parole aux familles et aux enfants pour faire prévaloir cette fameuse égalité des chances,principe que Bernard rappelle: la justice.Sur le plan des principes, il est heureux que les procédures se marient avec l’éducation à l’orientation qui les éclaire. Nous savons tous, cependant, nous , gens de l’orientation, que cette éducation, que je préfère, des choix ne s’est jamais mise vraiment en place. Dans un système aussi inégalitaire que le système français, on ne peut pas se payer le luxe de penser la pédagogie du choix, ni celle de la réflexivité, qui pourtant est le seul vecteur de la démocratie. On le sait depuis les Lumières et Candide ne me démentira pas.
Je souhaiterai ajouter une idée au commentaire que m’a suggéré le billet de Bernard sur le paradoxe entre l’idée de soumettre l’orientation à des procédures et celle d’éduquer au choix. Il me semble que la question qui sous-tend ce paradoxe est celle de savoir qu’est-ce qui légitime la place que les individus vont occuper dans l’ordre des places scolaires dans un premier temps, puis sociales dans un second temps.On comprend que l’Etat représenté par le chef d’établissement qui tient la décision légale, donc légitime ne souhaite pas porter toute la responsabilité de la décision. Il souhaite associer l’élève et sa famille au processus de décision en l’éduquant à faire un choix éclairé, au moins en théorie. Dans l’ensemble, au niveau du premier véritable palier d’orientation, la classe de 3ème, les procédures marchent bien pour plus des 2 tiers de la population scolaire qui passent en Seconde générale. La question de la bonne orientation est posée pour le tiers qui se dirige vers l’enseignement professionnel. Ce tiers là a-t-il vraiment choisi d’y aller, et dans quelles conditions ? C’est pour ce tiers que se pose la question de la justesse de la décision et celle de sa justice. Dans un monde légal, seules les procédures peuvent garantir en droit, le principe d’égal traitement.Finalement, la responsabilité du chef d’établissement est très grande dans ce processus.
Il y a , évidemment , contradiction entre les procédures existantes et la volonté apparente d’éducation aux choix : A partir du moment où certains élèves comprennent qu’ils n’auront pas un choix totalement ouvert (qui n’exclue pas la 2°GT), beaucoup d’entre eux et leurs parents , se ferment à toutes formes d’information ou de Conseil sur les autres solutions . Quand accepterons nous de considérer comme fondamentale et déterminante dans l’adaptation scolaire et , ensuite , dans l’investissement citoyen , le désir d’avenir des jeunes et la motivation à travers laquelle il s’exprime ? Après,ils auront à faire leur preuve et à assumer les conséquences éventuellement inadaptées de leur attitudes dans la formation qu’ils auront choisi : C’est ainsi que l’on apprend la responsabilité . Le pire est de ne même pas pouvoir essayer ….A terme, c’est plus nocif que de se tromper.
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