La question de la restructuration de la carte des CIO est un thème que j’aborde régulièrement sur ce blog. Voir par exemple « Un changement à bas bruit : la fermeture des CIO départementaux ». Je saisi donc l’occasion de la publication sur ce blog de l’article d’Annick Soubaï pour reprendre cette question d’une autre manière.
Je propose donc quelques commentaires au bel article d’Annick Soubaï qu’elle termine par l’expression du philosophe présocratique Héraclite : « Panta Rhei », « Tout coule ».
Un peu d’humour ?
« Tout coule ». Et l’on entend immédiatement dans la conversation au café du coin : « Tout coule… et rien ne bouge » ! Question shakespearienne qui nous amène très vite à la position « àquoiboutiste », on n’a pas de prises sur les événements. Cela ne dépend pas de nous. Laissons-nous porter par le courant. A l’inverse, d’autres vont ramer très fort, pensant pouvoir reprendre le contrôle. Est-on face à un changement ? Est-on dans un changement ? Les situationnistes allemands proposaient une troisième position en écrivant un slogan aux automobilistes le long des autoroutes : « Vous n’êtes pas dans un bouchon ! Vous êtes le bouchon ! » (Voir par exemple « Quand on est dans les bouchons » – Palmashow).
Cadrage et recadrage
La restructuration des CIO relève de quelle sorte de changement ? Je serais bien incapable de le dire.
S’agit-il d’un changement de type I ou d’un changement de type II ? L’école de Palo Alto avec Bateson et Watzlawick ont proposé cette distinction.
« Une distinction est faite entre deux types de changements : le changement 1 et le changement 2. Le changement de type 1 prend place à l’intérieur du cadre. Il s’obtient par l’application du contraire, ses interactions ne modifient pas la structure et il ne donne pas les résultats escomptés. Le changement de type 2, quant à lui, consiste à modifier la norme elle-même. Il provient nécessairement de l’extérieur du cadre. Parce le système, ne peut engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement.
Alors que le changement 1 semble toujours reposer sur le bon sens, le changement 2 paraît bizarre, inattendu, contraire au bon sens. » Extrait de la fiche de lecture par de Foued Ayari : Changements, Paradoxes et Psychothérapie de P. Watzlawick, J. Weakland , R. Fisch. 1974 (1975 pour la traduction en français – Seuil).
Fermer un CIO, quelques CIO, tous les CIO départementaux relèvent d’un changement de type I qui cherche à résoudre un problème de finances. On réduit le nombre de CIO, on redistribue les postes. Bien sûr les CIO restant auront « grossis », mais leur fonctionnement ne changera pas si ce n’est des arrangements avec l’utilisation de l’espace disponibles sans doute. Il y a quelques années, je disais aux collègues qu’il était fou de réclamer un bureau par personne quand on sait que ce bureau sera occupé au grand maximum 6 heures par semaine, le reste du temps étant passé en réunions, à l’accueil et dans les établissements en général.
On recevra, vous recevrez moins de monde au CIO, mais l’essentiel de votre travail se fait en établissement. Çà, je l’ai entendu répéter par les collègues eux-mêmes lors des stages en CIO. Eventuellement on trouvera une solution pour assurer des permanences localement et ponctuellement.
Si on prend le cadre de la MAP (modernisation de l’action publique), comme l’a rappelé Annick Soubaï, alors cette restructuration est inéluctable, elle s’impose et les CIO sont pris dans ce mouvement. La rationalité financière n’est plus au niveau départemental, mais au niveau de l’Etat.
Si on prend quelques repères historiques
A la fin des années 80, c’est la première fois que j’entends parler de désengagement des départements dans le financement des CIO. A l’époque c’est le 92, les Hauts-de-Seine qui l’agitent. C’est aussi le département le plus riche de France avec les revenus de la Défense. Mais c’est aussi un département qui a 14 CIO dont un seul CIO d’état !
Retour en arrière. Avant 70, les COSP (centre d’orientation scolaire et professionnelle), et avant eux les COP (centre d’orientation professionnelle) sont financés par le département jusqu’en 1970. Ces organismes deviennent alors des CIO (centre d’information et d’orientation). Le décret du 7 juillet 1971 précise « Dans le domaine de l’information et de l’orientation, le centre apporte son concours à l’ensemble des actions menées au niveau du district ; il assure l’accueil, la documentation et l’information du public scolaire et non scolaire, procède au aux consultations nécessaires et collabore avec les services chargés du placement des jeunes.
Les modalités de fonctionnement et d’organisations des centres sont fixées par arrêté du ministre de l’Education nationale et du ministre de l’Economie et des Finances. »
Les nouveaux centres qui seront créés (il en faut désormais un par district) seront des CIO d’état, et on envisage une étatisation totale à l’horizon de 1975 ! On peut supposer que la crise économique provoquée par les chocs pétroliers a réduit cet optimisme.
En 1985, lors de la loi Deferre sur la régionalisation, l’état réparti des responsabilités financières vis-à-vis des différentes unités de l’éducation nationale et selon les étages. Les écoles à la commune, les collèges au département, les lycées à la région, et les universités à l’état. Et les CIO ? Nulle trace dans la loi. Oubli ! D’où la situation aujourd’hui. Près de la moitié de ces organismes reposent… sur des textes abrogés.
L’état cherchera à s’en défaire en 2003 par une mesure radicale : repasser les personnels aux régions. Les personnels se sont opposés et surtout les enseignants se sont mobilisés : pas question d’être obligé d’endosser ce rôle !
J’ai toujours en tête l’image du Capitaine Haddock et du sparadrap.
Un changement de type II
Au cours de ces différents moments, le sparadrap a-t-il changé lui-même ?
Le grand changement est en fait extérieur. Au cours des années cinquante, la quasi-totalité de la formation professionnelle s’est trouvée sous le contrôle de l’état, et pour sa plus grande partie sous celle de l’éducation nationale. C’est d’ailleurs une particularité française importante. L’orientation étant alors pour l’essentiel une question liée à la formation initiale.
Nous basculons sans doute en ce moment dans une nouvelle conception avec la préoccupation de la « formation, de l’insertion et de l’orientation tout au long de la vie ».
C’est sans doute avec ce nouvel horizon que les services d’orientation (tous les services) doivent se repenser. Non seulement le temps de l’orientation est de moins en moins un moment ponctuel, mais l’espace de formation est à géométrie variable dépendant d’organismes de moins en moins « contrôlés », voir dématérialisés, et dans lequel l’engagement personnel est de plus en plus central.
S’agit-il donc de restructurer la carte des CIO ou de reconceptualiser l’orientation ?
Bernard Desclaux
Merci infiniment pour le prolongement de mon article que tu proposes. Le déplacement de la problématique que tu organises par ton argumentation permet effectivement de dépasser l’impasse dualiste pourtant prometteuse de la question posée « pragmatiquement » par le formateur accompagnateur du changement: « ce qui change et ce qui ne change pas ». La prise de champ historique, le temps long de l’histoire des services, et la question du « comment » permettent de découvrir ce que l’alternative fermée (ce qui change et ce qui ne change pas) met dans l’impensé. Ce qui change effectivement c’est le rapport de notre société à l’orientation. Restructurer les CIO, ce n’est pas forcément changer le rapport au concept de l’orientation largement référé encore à des pratiques du 20 ème siècle, comme l’a fait remarquer en creux notre collègue Jean-Marie Quairel. S’interroge-t-on assez dans la profession sur les changements paradigmatiques (pardon pour ce mot pédant) de tout ce qui a trait à l’orientation ? Il s’agit peut être de changer des pratiques. A moins que le numérique tout puissant ne s’interpose dans la relation humaine pour proposer des jeux sérieux et autres applications permettant d’aider à la prise de décision en réalisant une parfaite adéquation entre le profil de l’individu et telle métier ou formation.Avec cette promesse, l’utilité des CIO disparaîtra. Bernard,voici de nouveau le sparadrap… ET les vieilles lunes mécanistes brillent. Tout coule… Et les métaphores sont infinies.
Une présentation compliquée que me paraît oublier le point principal : le besoin, la demande d’orientation et comment y répondre…
Si on a « plaisir » à lire cette élaboration complexe et théorique du changement au sein de nos services on peut regretter de n’y voir aucune vision pragmatique et efficiente pour répondre à la situation que nous vivons aujourd’hui au sein de nos CIO.
Du changement on peut aussi dire qu’il ne se commande pas et qu’il n’est jamais le fruit d’un modèle, il est avant tout le produit de ceux qui le font !!
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