L’orientation dans la Refondation

Il y a quelques jours un journaliste du site « Tonavenir.net » m’a demandé mon point de vue sur la situation de l’orientation scolaire en France et sa place dans la réforme du collège et plus largement de la refondation. Ceci fut publié dans l’article « Orientation scolaire : la grande oubliée de la réforme du collège ? ». Je reprends ici cet article avec quelques ajouts.

Lors des discussions engagées pour définir les contours de la Refondation sous le ministère de Vincent Peillon, le thème de l’orientation fut travaillé. J’en ai rendu compte dans plusieurs articles, dont ceux indiqués en fin de texte.

Les trois champs de l’orientation

La notion d’orientation scolaire est en fait très complexe car de fait elle recouvre au moins trois problèmes.

Et tout d’abord ce qu’on appelle les procédures d’orientation et d’affectation. Autrement dit comment la circulation de l’élève dans le système est organisée. Sur ce point, la position des syndicats, n’était pas très claire. Il y avait une grande hésitation sur la suppression ou non des procédures d’orientation. A l’origine la première rédaction de la loi prévoyait de donner la main aux parents en matière d’orientation à la fin de la troisième. Mais finalement cela se transforma en une « expérimentation ». J’ai donné mon point de vue sur celle-ci dans plusieurs posts. Les deux derniers rapports de l’Inspection générale montrent qu’il n’y a pas eu de modifications radicales des flux d’orientation[1]. On peut donc s’interroger sur ce qu’en tirera le ministère.

Le deuxième thème concernant l’orientation est celle de son éducation. Peut-on, doit-on éduquer à l’orientation ? La loi prévoit un développement de la compétence à s’orienter, ce qui s’inscrit dans une conception éducative de l’orientation qui a commencé tardivement à être mis en œuvre en France au milieu des années 90. C’est la première fois que cet objectif est inscrit dans la loi. Les élèves ont à construire leur orientation dans le système scolaire, mais aussi et peut-être surtout dans leur vie professionnelle future. Le Parcours Individuel d’Information, d’Orientation et de Découverte du Monde Economique et Professionnel, inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 prend donc la suite du Parcours de Découverte des Métiers et des Formations qui lui-même succède à l’éducation à l’orientation. Mais parmi toutes les difficultés qui freinent cette conception (et c’est peu dire), j’en relève deux : l’éducation suppose un espace sans trop de contraintes.  Le maintien des procédures ne permet pas cela. « Pouvoir sur soi » et « pouvoir sur l’autre » sont incompatibles. L’autre frein c’est notre tradition « pédagogique » : la spécialisation de l’enseignant sur sa discipline et la conception individualiste, en solitaire de son travail. Cela bloque la mise en œuvre de toute pédagogie visant l’acquisition de compétences.

Enfin troisième thème, l’orientation dépend également de l’organisation du système lui-même. Comme le dit Claude Lelièvre « La « refondation » ne concerne pas (directement) l’ensemble du système éducatif, mais est inscrite essentiellement dans le périmètre de l’Ecole obligatoire. Ce n’est pas une  « réforme » de plus. C’est une re-fondation de l’Ecole républicaine et laïque. »[2] La construction en continu des programmes sur ce nouvel ensemble, primaire-collège, l’objectif de l’acquisition par tous d’un socle commun ainsi que la structuration en cycles faisant un pont entre la fin du primaire et le début du secondaire, vont dans ce sens[3]. L’idée de l’école moyenne pour tous, et unifiée avance donc. Une réussite de ce modèle se trouve en Finlande comme l’a montré les enquêtes PISA depuis une quinzaine d’année !

Mais reste un problème de taille. A la sortie du collège que trouve-t-on ? Une offre de formation qui sépare la population scolaire en des destins contrastés. Et la question vient immédiatement : qui décide de la répartition entre les deux blocs, et sur quelle base ? Dans la tradition française, c’est la tâche du collège et celle de ses personnels, d’où le maintien des procédures d’orientation. Et pour justifier de cette répartition, il faut de vraies différences attribuables aux élèves. D’où le débat sur l’évaluation et les notes si essentielles pour « objectiver » les différences. Mais cette fonction de répartition-différenciation des élèves du collège a également un effet sur son fonctionnement et organisation lui-même. S’il se doit de différencier les élèves, alors il ne peut avoir pour objectif de faire acquérir à tous le socle commun. Un vrai collège unique suppose en fait un lycée unique, en tout cas, ce rôle de répartition ne peut être maintenu à la fin du collège[4]. La conception d’UN lycée qui serait éventuellement répartiteur est très compliquée, et à mettre en œuvre sans doute encore plus ! Cela supposerait sans doute une remise en cause de notre conception adéquationniste de la formation professionnelle[5].

 

Bas bruits et politique des petits pas

Mais concernant l’orientation il faut prendre en compte d’autres événements qui se sont passés durant cette période. Une toute petite modification a été portée à notre procédure d’orientation : la quasi suppression du redoublement. Curieusement cette modification n’a provoqué aucune opposition. On peut penser que la DGH permet de moins en moins ce « luxe » dans les établissements. De fait cela veut dire que la procédure aux différents paliers du collège (sauf en troisième) n’a plus réellement raison d’être. Tout le monde avance, et les parcours sont théoriquement décidés par les parents.

Au BOEN du n°18 du 5 mai 2016 on trouve une circulaire : Liste des établissements retenus pour l’extension de l’expérimentation du choix donné à la famille dans le cadre de la procédure d’orientation à l’issue de la classe de troisième[6]. On reste donc dans l’expérimentation, mais on l’élargit. Si on rajoute ce petit pas à celui de la suppression du redoublement, il me semble que cela devrait conduire tout doucement vers la fin des procédures, à moins d’un retour de l’autoritarisme…

 

D’autres changements à bas bruit se sont produits. Du côté du personnel, il y a la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale qui rassemble les psychologues scolaires et les conseillers d’orientation-psychologues.  Pour le moment on dit que les territoires professionnels sont inchangés, primaire pour les uns, secondaire pour les autres. Mais avec le bloc école-collège qui se construit, la frontière sera sans doute levée. La ministre actuelle prône ou en tout cas se dit très favorable à un accompagnement des élèves par les psychologues. Mais faut-il encore que le nombre de professionnels le permette. Ce n’est sans doute pas le cas aujourd’hui pour les conseillers qui ont perdu plus de mille postes en quelques années. Ils étaient 4700 à la fin des années 2000. Ils sont moins de 3500 aujourd’hui ! Donc accompagnement difficile en collège d’autant plus qu’ils interviennent également en lycée et dans le supérieur. Et doivent également participer au SPRO (service public régional d’orientation). Ajoutons que le nombre des nouveaux recrutés ne couvrent pas le nombre des départs en retraites. Et les CIO se remplissent d’auxiliaires. Rajoutons que les Conseils généraux poursuivant leur retrait du financement du fonctionnement des CIO « départementaux » la carte des CIO se trouve modifiée petit à petit par les rectorats. Le maillage dit de « proximité » se troue de plus en plus…

Lors des journées de la Refondation qui viennent de se dérouler à Paris, la ministre Najat Vallaud Belkacem a déclaré dans son discours du 3 mai :  » Nous continuerons d’agir pour notre école, avec de nouvelles étapes : rendre plus fluide la transition vers l’enseignement supérieur, poursuivre la valorisation des parcours dans l’enseignement professionnel. De beaux chantiers sont encore devant nous ! »

Elle a également expliqué ce dernier objectif de la manière suivante d’après le Café pédagogique[7]. « Elle rappelle que les élèves de 2de pro pourront à la Toussaint 2016 choisir une réorientation « y compris pour retourner dans l’enseignement général ». Pour la ministre, « si on veut revaloriser l’enseignement professionnel, il ne faut jamais donner l’impression que c’est une filière subie. Ce doit être une filière choisie ». Cela supposera également une adaptation de l’offre, très décalée aujourd’hui par rapport aux vœux des élèves. Ce qui semble difficile. »

Ambiguïté de la formulation. S’agit-il de gérer autrement la circulation entre les deux types de lycées  (lycée professionnel et lycée général et technologique) ? Ou est-ce que cela touche à la procédure d’orientation et à la procédure d’affectation ?

 

Refondation ou reconversion ?

Difficile de formuler un point de vue quant aux solutions à envisager. Je ne pense pas que des « solutions » soient possibles. Des solutions résolvent un problème à l’intérieur d’un système sans modifier le système lui-même. Ici, je pense que j’ai suggéré que l’orientation (avec ses multiples sens) fait partie d’un système « cohérent ». Les modifications d’une partie sont en fait peu efficaces et sont le plus souvent réintégrées dans le fonctionnement général du système.

Notre système est pour l’essentiel hiérarchisant et non pas éducatif. Nos procédures d’orientation, notre système d’évaluation basé sur la notation, la structuration du système scolaire, mais aussi le statut des enseignants, leur rôle pédagogique centré sur le cours et la/les disciplines, la pédagogie de l’erreur et non de la réussite, etc… tout ceci se tiens solidairement.

Qu’est-ce que l’orientation ? La circulation des élèves dans le système scolaire ? Si l’orientation est « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation »[8], alors elle doit être considérée comme un « service aux personnes ». Or  la plupart de nos organismes d’orientation mettent en œuvre ou son adossés à des politiques d’orientation des personnes et non pas d’aide aux personnes.

La question essentielle n’est pas comment améliorer notre système, mais bien à quoi doit-il servir ?

Bernard Desclaux

 

 

Références d’articles antérieurs

Les contributions, sur la bonne voie de l’orientation. La position de différents acteurs à propos des procédures et de l’organisation du système.

De l’eao au pdmf, vers la refondation

Contribution pour la refondation de l’orientation

A propos de l’orientation dans le projet de loi

Bernard Desclaux : une condition oubliée pour le socle commun

 

[1] Voir mon article dans les Cahiers pédagogiques : Rapport de l’Inspection générale. Orientation : jeux de mains… http://www.cahiers-pedagogiques.com/Orientation-jeux-de-mains

[2] La refondation de l’Ecole: du  »plafond » au  »plancher »

[3] Voir mon article Les nouveaux cycles et l’orientation

[4] Voir mon article Conséquences du collège unique

[5] Voir l’article Les études servent-elles à intégrer le monde du travail ?
[6] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=101375

[7] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/05/04052016Article635979421511055424.aspx

[8] La définition européenne de l’orientation proposée au cours de la Conférence PETRA, Rome, novembre 1994.

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This entry was posted on mercredi, mai 18th, 2016 at 11:15 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

2 Responses to “L’orientation dans la Refondation”

  1. Nouvelles d’une réforme annoncée | apprendre et s'orienter Says:

    […] Bernard Desclaux : orientation, refondation ou reconversion ? […]

  2. sophie Says:

    bonjour et merci pour ces articles mais….. ils ne sont pas datés!!

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