Je commente ici le discours tenu par Emmanuel Macron lors de son intervention à Lille le 14 janvier 2017. A partir de la 54ème minute de l’enregistrement publié sur Youtube. La thématique de l’orientation et surtout de l’aide à l’orientation apparait à plusieurs endroits, mais semble-t-il de façon dissociée. Il me semble qu’une réflexion d’ensemble serait la bienvenue.
La scène du travail
Plusieurs phénomènes se combinent.
Il ouvre la question par l’idée de la nécessité de rendre moins risqué le désir d’entreprendre afin de développer l’économie[1]. A ce titre il envisage une simplification du droit du travail et surtout de renvoyer au niveau des entreprises l’espace de négociation de manière à ce que « la réalité des entrepreneurs soit plus simple, plus concrète, au réel du quotidien ». Il faudra sans doute que les grands principes définis par la loi soient suffisamment forts et clairs pour éviter un éclatement total de la protection des employés, car l’énoncé de ce projet l’est surtout du côté de l’entrepreneur, avec l’idée que si l’entreprise réussit, cela bénéficie aux employés, automatiquement ( ?). Malheureusement cela ne va pas de soi me semble-t-il. L’entrepreneur n’est pas forcément un « bon »entrepreneur, et il en est de même d’ailleurs pour l’employé. Des mesures techniques financières sont également indiquées que je ne commenterais pas.
Une deuxième idée importante est celle de la couverture du chômage ouverte à tous, employés et entrepreneurs. Et il ne s’agit pas seulement de finances, mais également de formation. « … je veux que nous ayons une vraie politique de formation continue et de qualification, un vrai service public de la qualification et de la formation tout au long de la vie, c’est cela l’émancipation véritable. » Les évolutions technologiques, la révolution numérique, la transition énergétique modifient les métiers, les qualifications, les emplois. Il s’agit donc « de préparer à tous les âges de la vie nos concitoyens ». Un « service public de la qualification et de la formation » est donc nécessaire.
Mais faut-il préciser qu’ « après cette formation, chacune et chacun devra prendre l’offre d’emploi qui lui est offerte si elle correspond à ses opportunités. C’est cela mes amis, l’émancipation par le travail, l’émancipation qui nous permettra de rentrer dans ce siècle. » Il me semble que l’on a ici de grandes confusions qui risquent de s’installer entre orientation, insertion, placement… L’autorité dans ce domaine comme dans d’autres s’applique le plus souvent sur les plus faibles, pour leur bien, soi-disant.
La scène de l’école
La question de l’orientation n’est envisagée qu’en fin de parcours scolaire, « … l’un des défis qui est le nôtre, c’est lorsque le lycée s’achève et que les enfants doivent prendre la mer, l’entrée dans ce monde nouveau, dans l’enseignement supérieur, nous avons une transformation profonde à conduire : celle de l’orientation. Celle qui consiste à accompagner tous les enfants et en particulier les boursiers, celles et ceux qui viennent des quartiers les plus défavorisés à accéder à l’information, à accéder aux bonnes formations. »
L’orientation serait donc une affaire d’accès à l’information, une affaire de déblocage de motivation des personnes. Sûrement, et c’est bien de le dire, et de pointer les barrières sociales en la matière. Mais s’arrêter là est bien dangereux.
L’orientation c’est aussi la structure des offres de formation, les règles plus ou moins officielles pour gérer les passages du lycée à l’enseignement supérieur, le financement des études, la carte géographique qui permet la mobilité des uns et l’immobilité des autres, etc… Il faudra bien un jour réfléchir sérieusement aux conséquences d’un déclin numérique de l’Université. Aujourd’hui moins de la moitié des places du supérieur sont offertes par l’Université ! Cette évolution s’est faite sans réelle décision politique.
L’autre oubli, mais peut-être sera-t-il traité dans le programme à venir concernant le collège et le lycée, c’est que notre système scolaire est organisé par un principe de sélection dont un des éléments est la procédure d’orientation. J’ai beaucoup écrit sur cette question, il suffit de chercher sur mon blog avec le mot clé « procédures d’orientation ». Le point essentiel est qu’un principe de sélection va à l’encontre d’un objectif de réussite de tous. Si on veut une différenciation de la formation, elle doit se faire dans le cours du deuxième cycle du secondaire par une recomposition des trois voies de formation (générale, technologique, professionnelle) et la mise en œuvre d’une seconde commune. Ceci permettrait alors à l’ensemble école-collège de se consacrer réellement à l’acquisition, par tous, du socle commun. Il est alors nécessaire de supprimer les procédures d’orientation dans l’espace du collège. Ces questions ont été développées dans la série d’articles consacrée aux cadres d’une réforme du lycée, et en particulier dans celui-ci.
Services publics
Il existe deux services publics en France le service public de l’emploi, et le service public régional de l’orientation (Loi de 2009, et accord-cadre en 2015) présenté ainsi par la Gazette des communes.
Ces deux organismes maintiennent la vielle séparation originelle entre le placement et l’orientation, entre l’emploi et la formation initiale, toutes une série de clivages de moins en moins pertinents.
Les évolutions vers ces deux services ont été très lentes et compliquées, mettant en œuvre des intérêts forts divergents (état, région, organisations publiques et privées ou associatives, organisations professionnelles des employés du domaine, etc…). La réflexion et la coordination de ces deux domaines seront à reprendre en fixant clairement un objectif : quel en est l’objectif ? l’aide aux personnes ou leur contrôle ? Du quel côté de la définition européenne de l’orientation doit on pencher ?
Rappelons la définition de l’orientation établie lors de la Conférence PETRA, à Rome, en novembre 1994 : « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation ». Remarquons au passage que cette définition n’a pas grand-chose à voir avec nos procédures d’orientation et ne se préoccupe pas de l’orientation scolaire au sens où, nous Français, nous l’entendons.
Je poursuivrais ce commentaire dans un prochain article.
Bernard Desclaux
[1] Sur ce thème, relire mon article « L’esprit d’entreprise et la défiance éducative », que je concluais ainsi : « Ainsi, s’engager dans une éducation à l’entreprenariat permettrait, peut-être, de faire évoluer à la fois notre système éducatif et l’organisation de nos entreprises. »
La partition du discours d’Emmanuel Macron en 3 parties : le travail, l’école et les services publics que tu proposes me paraît pertinente pour comprendre le sens de la politique entendue comme une formation au service du travail. S’agissant de la question proprement dite de l’orientation qui nous préoccupe, nous nous retrouvons comme d’habitude devant la polysémie du terme. Tu relèves à juste titre la confusion possible entre orientation, insertion et placement en réfléchissant sur la question de l’accès au marché du travail et à celui du droit à la formation tout au long de la vie.Il s’agit de mesurer la liberté de choix dont disposeront les individus et le coût que cette liberté représente pour eux et pour la société. Par ailleurs, la question de la sélection demeure un tabou en France.Or cette question devrait être discutée, à moins qu’on ne veuille pas ouvrir la boîte de Pandore, dont on sait pourtant qu’elle porte au milieu de tous les maux… l’espérance.
Pour ce qui est de l’école, je suis d’accord pour convenir que la liaison secondaire- supérieur est aujourd’hui fondamentale. La question de l’accès à l’ information a toujours été posée et continue de l’être sans envisager une véritable didactique de l’information. La question de l’orientation dans ses différents aspects, notamment le développement d’une capacité à s’orienter …reste placée dans un impensé, plus de 20 ans après les textes sur l’éducation à l’orientation.