Un lecteur de ce blog, étudiant en master 2, vient de me poser cette question : « Aujourd’hui réellement qui a le dernier mot en terme de décision d’orientation ? ». Une question apparemment simple.
Lors de la parution de L’orientation, c’est l’affaire de tous, Tome 2 — Les pratiques, j’étais intervenu dans le débat organisé par l’ESEN, Les enjeux de l’orientation sur le thème « La procédures d’orientation est-elle l’occasion d’un partenariat ? » (Voir sur la page de mon site). Je reprends donc ce questionnement en évoquant quelques pistes de réflexions plutôt que de réponses.
Suivre les séquences de la procédure
Et tout d’abord suivons les étapes de la procédure d’orientation.
Au deuxième trimestre, les parents formulent la demande et le conseil de classe répond.
Au troisième trimestre, les parents formulent la demande et le conseil répond par accord ou désaccord avec ce qui est demandé (il ne peut proposer autre chose).
En cas de désaccord (si les parents n’acceptent pas la proposition du conseil de classe), le chef d’établissement propose aux parents de les recevoir, il les entend, et prend une décision qui peut être différente de la proposition du conseil de classe. Cette étape de l’entretien avec le chef d’établissement est obligatoire. Les décisions non conformes aux demandes doivent faire l’objet de motivations signées par le chef d’établissement, comportant des éléments objectifs ayant fondé la décision, en termes de connaissances, de capacités et d’intérêts.
S’il y a toujours désaccord, les parents acceptent, et sinon font appel. Quelle est la composition de la commission d’appel ? La majorité des personnes sont des professionnels de l’institution.
Les recours sont les recours normaux de toute décision administrative.
La contestation peut se poursuivre en tribunal administratif et parfois jusqu’en Conseil d’état (voir sur la page Formation de personnels d’encadrement le document « Quelques exemples de contentieux » ; mon préféré est celui du TA de Bordeaux du 24/10/91)
Mais après les procédures d’orientation, il y a la phase d’affectation, autrement dit, obtenir une place dans un établissement. Cette phase est aujourd’hui gérée par une application informatique qui s’appelle AFFELNET. J’en ai parlé dans l’article « Orientation, tout sur le dos du logiciel ».
Remarque importante. Pour cette phase d’affectation, il n’y a aucun recours prévu et organisé au sein de l’éducation nationale, alors que cette affectation est bien une décision administrative prononcée par le DASEN (ex IA) ! Et je n’ai jamais entendu parler d’un recours administratif (Tribunal administratif) contre une décision d’affectation.
La relation de conseil
Il y a des acteurs institutionnels qui interviennent auprès des parents, le professeur principal (PP), le conseiller d’orientation-psychologue (COP), l’ensemble des enseignants, le conseiller principal d’éducation (CPE), parfois le professeur-documentaliste, l’assistante sociale, et bien sur le chef d’établissement. Cela fait beaucoup de monde potentiellement autour des parents et de l’élève. Tous sont porteurs d’un intérêt personnel plus ou moins précis dans la nature de la décision. Tous représentent une part de l’Institution, de l’autorité institutionnelle. La relation d’aide, de conseil est bien difficile dans un tel contexte, pour n’importe lequel de ces acteurs qui se trouvent tous dans des réseaux, dans des groupes.
Donc relations de conseil ou relations de persuasion, chacun ayant le sentiment d’avoir raison, et pour certains ayant une place dans le fonctionnement de la procédure ?
L’information
Depuis la mise en place de la procédure d’orientation (1959), l’orientation est définie comme un « choix » de l’élève et de sa famille. La notion de choix appelle nécessairement celle d’information. Mais il y a trois objets d’information à bien distinguer.
Le premier est l’objet du choix, quelle est la nature des formations proposées et sur quoi débouche-t-elles ? L’ONISEP est créée en 1970. Une phase d’information des élèves et des familles est prévue au premier trimestre. Une réunion d’information des parents est prévue mais pas toujours organisée dans l’établissement. Le CIO et les conseillers d’orientation-psychologues fournissent cette information, mais il faut dire qu’elle est très complexe à l’image de notre système de formation d’ailleurs. Et avec le web cet accès à l’information se trouve découplé. Aujourd’hui c’est plutôt le foisonnement de l’information et des sources qui pose problème plutôt que le manque d’information ceci renforçant sans doute la différenciation sociale de l’accès à l’information réellement utile et compréhensible.
Le deuxième est les conditions du choix, autrement-dit le fonctionnement des procédures, ce qui suppose d’aborder les droits et les devoirs des différents acteurs… Pour avoir fait de très nombreuses formations sur ce thème des procédures, j’ai pu observer combien la connaissance des procédures par ceux qui doivent les mettre en œuvre et les appliquer est très imparfaite. Et en tout cas lors des séances d’information on passe très vite sur ce point.
Le troisième est l’information sur les critères du choix, et notamment les compétences au sens large de l’élève, de l’enfant, de cette personne qui « s’oriente ». Et ces informations sont bien pauvres, c’est de l’auto-connaissance essentiellement produite par les jugements des adultes (familles, camarades, enseignants) et surtout par l’évaluation scolaire et notre système de notation. Voir par exemple les travaux de Merle Pierre, et en particulier, L’élève humilié : l’école un espace de non droit, Paris : PUF, 2005. – 214 p. (Notes critiques par François Dubet dans la revue française de pédagogie ).
Le poids de l’évaluation
Dans l’évaluation de l’élève, deux éléments se combinent : l’évaluation scolaire qui se traduit par les notes qui se veulent « objectives », et une appréciation plus générale des « possibilités » de l’élève et qui peut être vécue elle comme « subjective ».
A propos de la notation en France voir l’article passionnant : Une histoire de la note… et de sa contestation, ainsi que l’article de Bruno Suchaut : La loterie des notes au bac, Un réexamen de l’arbitraire de la notation des élèves.
Une remarque de base : l’affirmation que la notation soit un processus objectif participe de et supporte le pouvoir enseignant sur l’élève et sur les familles. Le chiffrage produit cette illusion, apparence de la mesure, simplicité, raccourci, et facilitation de la comparaison et de la hiérarchisation : « Notation et orientation se tiennent la main », « La notation et la procédure d’orientation ».
Ajoutons que la notation en matière d’orientation, c’est « la double peine ». Elle intervient dans l’évaluation générale qui aboutit à la formulation de l’orientation au cours du conseil de classe, mais elle est également à la base du fonctionnement d’AFFELNET dans la phase d’affectation.
Voir sur mon blog Educpros de nombreux articles sur la notation.
L’orientation à la main des parents
Si la réponse initiale était simple il n’y aurait pas eu l’expérimentation en classe de troisième qui a été dénommée facilement « l’orientation à la main des parents ». J’ai également écrit plusieurs posts sur cette question : « Expérimentation des procédures d’orientation en troisième », « Orientation : le retour de l’expérimentation », « L’orientation à la main des parents, une si bonne idée ? », « Orientation : jeux de mains… », et voir surtout cet article : « Questionner l’histoire de l’orientation et des conseillers en France (VI) effets de l’évolution des procédures d’orientation ».
Je reprends ici une partie de ce dernier article. La conclusion du rapport des Inspecteurs généraux sur cette expérimentation est particulièrement éclairante sur l’état d’esprit actuel au sein des établissements : Ces inspecteurs sont allés interroger les différents acteurs concernés par cette expérimentation, et leur conclusion est édifiante. Ils écrivent : « La « bonne orientation », pour la plupart des équipes éducatives interrogées, est celle qui correspond à la décision du conseil de classe. Ainsi, les « cas litigieux » ayant donné lieu à des entretiens avec le principal et le conseiller d’orientation psychologue à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre sont considérés comme « résolus » lorsque la famille se range à la décision de l’équipe éducative. Le dernier mot aux parents est alors à interpréter davantage comme l’occasion de renforcer les échanges avec les équipes éducatives et moins comme une opportunité d’exprimer un vœu et de l’assumer. » (p. 35)
Et la différenciation sociale
Toutes ces remarques doivent en plus être croisées avec la différenciation sociale. L’habitus et le capital culturel de Pierre Bourdieu, le rapport au savoir de Bernard Charlot, la notion de place sociale de François Dubet, etc… indiquent une différenciation fondamentale des acteurs face à l’école. Les procédures d’orientation construisent un jeu potentiel d’opposition entre les acteurs, pour simplifier, famille vs établissement, mais selon l’inscription sociale les capacités pour rentrer dans le jeu seront bien différentes, de part et d’autre d’ailleurs, les enseignants, notamment, n’étant pas à l’abris de ces différenciations (origines sociales, disciplines, diplômes, etc…).
Désinstitutionalisation et incertitude
Dernières pistes à évoquer. Cette question doit être aussi replacée dans le contexte décrit par le livre de François Dubet Le déclin de l’institution, Paris, Éd. du Seuil, coll. L’épreuve des faits, 2002, 419 p. (Notes de lecture par Jean-François Bert). Cette déconstruction agit non seulement sur les « sujets » de l’institution devenus des « usagers » d’organismes, mais aussi sur les acteurs, les professionnels eux-mêmes. On pourra se reporter à l’article par exemple de Hélène Buisson-Fenet, « Des professions et leurs doutes : procédures d’orientation et décisions de » réorientation » scolaire en fin de seconde », Sociétés contemporaines, 3/2005 (no 59-60), p. 121-139. URL : http://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2005-3-page-121.htm DOI : 10.3917/soco.059.0121
Bernard Desclaux
l’assistante sociale ?
Non non, assistant social !
« Aujourd’hui réellement qui a le dernier mot en terme de décision d’orientation ? »
Au dessus de 8/20 dans les matières principales, les parents.