Troisième billet de cette série. Quelle est l’orientation de la psychologie de l’orientation ? A-t-elle variée dans l’histoire ?
L’orientation théorique
Dans un premier temps on peut s’interroger sur l’orientation « théorique » de la psychologie de l’orientation. Et ce singulier fait immédiatement problème.
Pour présenter son article « Quelques paradigmes fondamentaux de l’orientation dans la vie », Francis Danvers indique : « Notre hypothèse fondamentale consiste à rapporter la dynamique de l’orientation à une conjoncture historique. Tout se passe comme si à chaque période de l’histoire de notre civilisation occidentale un paradigme s’imposait, puis s’effaçait, sans toutefois être réduit au néant. »
Au cours de la période où l’orientation est devenue problème d’état, Francis Danvers identifie je crois quatre paradigmes : capacités, aptitudes, qualifications, compétences. Si nous sommes dans la période des compétences, les trois autres notions, capacité, aptitude et qualification sont loin de rejoindre le néant ! Cette idée de tuilage est importante. Aucun de ces paradigmes ne se trouve dans une situation totalement hégémonique.
Même au temps béni des origines de l’orientation professionnelle un discours unitaire n’existe pas.
En France, « Inspiré par les idées d’Édouard Toulouse qui militait pour l’avènement d’une société plus rationnelle et plus juste, Henri Piéron a contribué à développer une orientation professionnelle (OP) scientifique s’appuyant sur l’utilisation de tests psychologiques valides. Selon lui, l’OP doit rechercher le meilleur appariement entre des caractéristiques individuelles et des exigences des professions. »[i]
Mais la construction de tests est longue, complexe et pas aussi assurée qu’on pourrait le croire. D’un côté, la mesure précise des aptitudes n’est pas facile, et d’un autre côté, l’identification des aptitudes nécessaires dans l’exercice d’un métier ne va pas de soi. Ajoutons que la notion de métier est peut consistante. Un métier, une profession (déjà deux termes) sont des construits sociaux, « des formes historiques d’organisation sociale, d’attribution d’identité et d’organisation du marché du travail » (Dubar) ; ce sont des moments de stabilisation (Latreille). L’identification des aptitudes participe à ce processus social de stabilisation, elle n’est pas un acte « purement scientifique »[ii].
Dans ce contexte, les praticiens développent d’autres pratiques que celle de l’examen des aptitudes. L’INOP, fondé par Henri Piéron produit des tests et forme les conseillers d’OP, pendant que les praticiens se débrouillent sur le terrain jusqu’au retour de la seconde guerre mondiale.
L’orientation vers quoi ?
Une autre manière de considérer cette période est proposée par Jean Guichard[iii]. « Un important débat au sujet des finalités ultimes des interventions d’accompagnement en orientation eut lieu au cours des premières décennies du 20ème siècle. Cette querelle trouve son origine dans une opposition majeure relative à la priorité à accorder à l’un ou l’autre des deux pôles de la relation « individu – travail » : fallait-il que ce soit le monde de travail ou bien la personne individuelle ? » (p. 4)
Orientation vers la satisfaction de la personne ou orientation vers l’adéquation de la personne au travail ? L’orientation psychologique n’est sans doute pas la même.
Le sens de l’utilité
Et ici il faut citer la célèbre conclusion de la conférence de Georges Canguilhem, « Qu’est-ce que la psychologie ? »[iv]
« C’est donc très vulgairement que la philosophie pose à la psychologie la question : dites-moi à quoi vous tendez, pour que je sache ce que vous êtes ? Mais le philosophe peut aussi s’adresser au psychologue sous la forme – une fois n’est pas coutume – d’un conseil d’orientation, et dire : quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police. »
Avant la naissance de l’orientation professionnelle, Serge Nicolas indique[v] qu’ « A l’époque, l’orientation de la psychologie française était nettement de nature psychopathologique et non pas strictement expérimentale. »
Strictement expérimentale, ça veut dire mesurer et classer. Ce sont les deux premières opérations de toute science, celles qui permettent de définir les objets d’études. Sauf que la mesure et le classement permet une autre opération qui elle est sociale : la séparation. L’état demande à Binet de créer un outil qui permettrait de distinguer les élèves capables et les incapables de recevoir l’instruction scolaire. C’est ainsi que nait l’échelle de l’intelligence de Binet et Simon. Les tests d’OP suivront. Et aux Etats-Unis, le WISC a la même histoire, celle d’une commande d’état de capacité à pouvoir séparer les élèves.
La suite dans le prochain post.
Bernard Desclaux
[i] Extrait du résumé de Huteau Michel, Blanchard Serge, « Henri Piéron, la psychologie de l’orientation professionnelle », Bulletin de psychologie, 2014/5 (Numéro 533), p. 363-384. DOI : 10.3917/bupsy.533.0363. URL : https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2014-5-page-363.htm
[ii] Voir Tourmen Claire, « Activité, tâche, poste, métier, profession : quelques pistes de clarification et de réflexion », Santé Publique, 2007/hs (Vol. 19), p. 15-20. DOI : 10.3917/spub.070.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2007-hs-page-15.htm
[iii] Quel paradigme pour des interventions en orientation contribuant au développement d’un monde plus équitable au cours du 21ème siècle ? Jean Guichard Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) Chaire UNESCO « Orientation et conseil tout au long de la vie (Université de Wroclaw. Pologne) http://www.cma-lifelonglearning.org/doc/Jean_Guichard_fr.pdf
[iv] Conférence prononcée le 18 décembre 1958 au Collège philosophique à Paris. Parue dans Revue de Métaphysique et de Morale, n°1, 1958, Paris http://psysnepap.free.fr/?p=148
[v] Serge Nicolas, « Les premières recherches de Binet au laboratoire de psychologie de la Sorbonne (1891-1894) », Recherches & éducations [En ligne], 5 | octobre 2011, mis en ligne le 15 janvier 2012, consulté le 10 octobre 2017. URL : http://rechercheseducations.revues.org/813
[…] Une autre tension se manifestera sans doute entre deux « demandes sociales » qu’il indique. D’une part la demande des élèves eux-mêmes est une demande d’aide psychologique pour ce qui concerne leurs préoccupations : radicalisation, racisme, antisémitisme, etc… D’autre part, le « conseil d’orientation », l’éducation à l’orientation ne sont plus liés à des rôles d’experts (PP et conseiller) mais partagés par tous les acteurs. C’est pourquoi le PsyEN EDO est conseiller technique : « conseiller le chef d’établissement pour l’élaboration du programme d’orientation du projet d’établissement et contribuer à l’analyse des situations éducatives et des parcours et la mise en œuvre de dispositifs adaptés ». Ce dernier point est en parfaite cohérence avec la loi de refondation. Ces deux orientations du rôle risquent bien d’être interprétées à l’aide du conseil d’orientation de Georges Canguilhem cité dans le post précédent… […]