Quatrième billet de la série consacrée au PsyEN. Nous poursuivons l’examen de l’orientation de la psychologie de l’orientation, cette fois-ci au présent.
L’orientation du psychologue de l’éducation nationale
Pour cela il faut lire le texte sur les missions[i].
On trouve tout d’abord des indications concernant l’ensemble du corps. « Dans le cadre du service public d’éducation, les psychologues de l’éducation nationale (PsyEN) participent à la lutte contre les effets des inégalités sociales et inscrivent leur action au bénéfice de la réussite scolaire pour tous. »
Le psychologue de l’éducation nationale est bien, comme n’importe quel fonctionnaire (et ce qui est normal) au service d’une politique, d’une visée d’une politique. La suite est aussi claire, même le « service » auprès des acteurs et des personnes se fait dans cadre de cet objectif politique. Ainsi :
« Par leur qualification de psychologues, ils apportent un appui spécifique aux enfants, aux adolescents et jeunes adultes ainsi qu’à leurs familles. Ils accompagnent dans cette perspective les équipes pédagogiques et éducatives des écoles et des établissements d’enseignement. Les psychologues de l’éducation nationale conçoivent les méthodes et mettent en œuvre les moyens liés à la formation et à la qualification qu’ils ont reçues. En mobilisant cette expertise au service de la prise en compte de toutes les dimensions de l’évolution et du développement cognitif, psychologique et social de chacun, ils contribuent à favoriser une approche bienveillante de l’école. »
A remarquer en passant cette formule « une approche bienveillante de l’école ». Pas sûr que le ministre actuel (JM Blanquer) se l’approprie.
Vient ensuite les précisions concernant chaque spécialité. Je reprends ici celles qui concernent les anciens COP :
« – au sein de la spécialité « Éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle », les PsyEN exercent leurs fonctions dans les centres d’information et d’orientation (CIO) où ils sont affectés et dans les établissements du second degré relevant du secteur d’un CIO. Ils contribuent au développement psychologique et à la socialisation des adolescents, à la réussite et à l’investissement scolaires de tous les élèves. Ils mobilisent leurs compétences au service de l’élaboration progressive des projets d’orientation et de formation de ces derniers. Ils interviennent dans la lutte contre toutes les formes de ruptures scolaires et participent à l’information et au premier accueil de toute personne en recherche de solutions pour son orientation. »
Pour ces PsyEN « EDO » il semble que la première priorité, si on prend l’ordre d’apparition des éléments dans le texte, est le développement psychologique et la dernière, le conseil d’orientation. Alors que pour les PsyEN « EDA » la première contribution concerne « l’acquisition des apprentissages fondamentaux par les élèves », et la deuxième le « développement psychologique et de leur socialisation ».
Les préoccupations des PsyEN EDO
Lorsque l’on examine les débats dans les forums des PsyEN EDO, il semble que les questions concernant l’orientation sont peu présentes.
Les premières sont d’ordre statutaire, les problèmes de reclassement, d’indice, de mutation, de mouvement, etc…
Ensuite viennent les questions autour du rôle et la manière de se présenter sous cette nouvelle identité.
Puis, outillage, techniques, les tests.
Et loin derrière les questions autour de l’orientation elle-même.
Effet de nouvelles pressions, demandes déclenchées par la création de ce nouveau statut ? Paradoxe, jusqu’ici les COP se battaient qu’on les considère comme de « vrais » psychologues, aujourd’hui les demandes d’interventions auprès des élèves sont à propos de « problèmes psychologiques », identification de tout ce qui est « handicap », soutien à l’occasion de situations traumatisantes et bien sûr examens psychologiques pour l’enseignement adapté. Beaucoup notent une explosion de ces demandes qui existaient avant, mais qui restaient marginales par rapport au cœur du métier, l’entretien d’orientation.
Attentes externes
Marie-Rose Moro, professeure de pédopsychiatrie à l’université Paris-Descartes, chef de service de la Maison des adolescents a été interviewée pour La lettre de l’éducation n°931[ii]. On (sans doute Luc Cédelle lui-même) l’interroge justement sur le concept d’éducation bienveillante.
Parlant des élèves elle indique : « Certains traversent des moments de doute existentiel ou de régression qui peuvent aller jusqu’à de vrais symptômes psychologiques ou psychiatriques. Ceux-là représentent 10% d’une classe d’âge. Quant aux phobies scolaires, qui ont beaucoup augmenté ces cinq dernières années, elles atteignent 1% à 2% d’une classe d’âge. Ce ne sont donc pas des phénomènes marginaux. Si l’on se refuse à une posture bienveillante, cela veut dire qu’on enlève à ces jeunes toute chance de s’en sortir. »
Et puis vient la question : « Appréciez-vous la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale ?
C’était une proposition de notre rapport[iii] ! Ce corps unique existe aujourd’hui, a commencé à recruter. C’est une vraie révolution. Il y a maintenant au sein de l’école des professionnels formés dont la fonction est le souci de la santé psychologique. La prochaine amélioration serait que dans les établissements, il y ait à la fois une équipe pédagogique et une équipe santé. Celle-ci, pour l’instant, n’existe que sur le papier car la médecine scolaire est sinistrée. Certains départements ne comptent plus qu’un seul médecin scolaire. Les examens systématiques des enfants ne sont pas faits. »
On voit dans cet exemple comment la préoccupation du développement psychologique et cognitif peut se transformer en préoccupation de « santé psychologique ».
Un entretien précieux
Dominique Hocquard et Pierre Roche, pour l’ACOP-F, se sont entretenus[iv] avec Jean-Pierre Bellier IGEN en charge de la création du corps des PsyEN) et André Caroff qui était IGEN (Orientation) dans les années 80. Je vous recommande l’écoute de cet entretien sur lequel je reviendrais sans doute.
Dans l’immédiat je relèverais deux points. Si l’idée d’un corps unique de psychologues au sein de l’éducation est une vielle histoire, les deux intervenants pointent également des points de tension au cours de cette histoire. Le projet politique concernant l’école au retour de la seconde guerre mondiale, et qui s’exprime notamment avec les réformes de Jean Zay, dans le plan dit Langevin-Wallon, puis la réforme Berthoin, suppose que la psychologie participe au développement global de l’élève. Mais les tâches dévolues aux conseillers d’orientation scolaire et professionnelle sont pour l’essentiel du diagnostic permettant la séparation des populations scolaires.
De son côté Jean-Pierre Bellier précise en fin d’entretien qu’il y a eu une tension forte entre les tenant de l’inscription du psychologue dans le champ de la santé (position de Mme. Moro) et ceux de son inscription dans le champ du pédagogique. Le résultat est un compromis qui devrait permettre, d’après M. Bellier le dialogue entre ces deux champs et les différents acteurs impliqués.
Une autre tension se manifestera sans doute entre deux « demandes sociales » qu’il indique. D’une part la demande des élèves eux-mêmes est une demande d’aide psychologique pour ce qui concerne leurs préoccupations : radicalisation, racisme, antisémitisme, etc… D’autre part, le « conseil d’orientation », l’éducation à l’orientation ne sont plus liés à des rôles d’experts (PP et conseiller) mais partagés par tous les acteurs. C’est pourquoi le PsyEN EDO est conseiller technique : « conseiller le chef d’établissement pour l’élaboration du programme d’orientation du projet d’établissement et contribuer à l’analyse des situations éducatives et des parcours et la mise en œuvre de dispositifs adaptés ». Ce dernier point est en parfaite cohérence avec la loi de refondation. Ces deux orientations du rôle risquent bien d’être interprétées à l’aide du conseil d’orientation de Georges Canguilhem cité dans le post précédent…
Et dernière interrogation, au moins pour ce post : tout ceci est-il bien en cohérence avec le détricotage actuel de cette loi par notre ministre actuel ?
Bernard Desclaux
[i] Missions NOR : MENE1712350C circulaire n° 2017-079 du 28-4-2017 MENESR – DGESCO A1-4 – DGESCO A1-1 http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=115951
[ii] Marie-Rose Moro : « La bienveillance est à la fois un postulat éthique et un choix pragmatique » http://www.lalettredeleducation.fr/Marie-Rose-Moro-La-bienveillance.html
[iii] Mission Bien-être et santé des jeunes, MORO Marie-Rose, BRISON Jean-Louis, novembre 2016 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/164000747/index.shtml
[iv] Entretien avec Jean-Pierre Bellier et André Caroff (2017) avec Dominique Hocquard et Pierre Roche https://www.youtube.com/watch?v=aldi_XLLJUY
Très bonne article ravie de le lire.