Précipitation, hasard, surcharge et pari

Les difficultés d’inscription dans les universités à la rentré 2017 ont été collées sur le dos de la plateforme APB alors que le nombre de places disponibles ne permettait pas d’absorber de toute façon la progression démographique qui sera d’ailleurs encore pire l’année prochaine. Le nouveau gouvernement a donc sauté sur l’occasion pour déclarer « hors service » APB tout en lançant son remplacement. Mais le temps d’une écriture d’un tel logiciel est important, d’où une simplification à outrance du travail de celui-ci. Et encore, à cette date tout n’est pas encore défini comme l’indique le vadémécum publié la semaine dernière.  Depuis, beaucoup d’acteurs s’inquiètent.

Du côté des établissements

Le Café pédagogique a titré, Plan étudiants : Les personnels de direction sous tension. “ »Les personnels de direction se retrouvent seuls à la manœuvre et voient leurs conditions de travail dégradées », dénonce ID Fo dans un communiqué. Le Snpden tweete de son coté sur une circulaire de 72 pages pour appliquer la réforme de l’orientation. Les chefs d’établissement sont sommés de trouver un second professeur principal pour les terminales et d’organiser la semaine d’orientation avant les conseils de classe du 1er trimestre qui ont lieu dans quelques jours et en même temps de lancer les fiches Avenir sans avoir le temps de les présenter. Et ne parlons pas des proviseurs de LP pour qui le calendrier officiel n’a pas de rapport avec l’organisation de l’année…”

Et ici, il s’agit de problèmes « organisationnels », mais que dire de la faisabilité du traitement sérieux des fiches Avenir ? Dix vœux par élèves, autant d’appréciations à formuler officiellement en conseil de classe du second trimestre ! Et dès le premier trimestre, ils auront à répondre à la Fiche dialogue pour l’orientation en classe terminale… fiche que tout le monde vient de découvrir. Précipitation ?

Le travail des élèves

Dans la procédure APB les élèves devaient ordonner leurs vœux. Le vadémécum, p. 5, indique : « Sur la plateforme, les élèves ne pourront pas formuler plus d’une dizaine de vœux pour éviter toute forme d’orientation par défaut. Les règles de formulation des vœux (nombre minima, maxima, type de vœux, etc.) seront précisées avant l’ouverture de la plateforme. Les vœux ne seront pas classés. Chacun d’entre eux doit donc être souhaité et motivé. »

Donc pas de hiérarchisation des vœux, tout est possible. Ce qui sortira du chapeau ne dépend absolument pas de la manière dont je m’y suis pris.

La plateforme enregistre et informe

« La plateforme précisera également les attendus de chaque formation permettant de faire du sur-mesure dans ses choix d’orientation. Ces attendus, qui s’appuieront sur un cadre national, correspondent aux connaissances et aux compétences qui sont nécessaires à un lycéen pour réussir dans l’enseignement supérieur. Ils prennent en compte les résultats scolaires mais aussi le projet ou encore la motivation. » (vadémécum p. 4)

Charge et décharge sur les établissements

Donc bien avant le 15 janvier les « attendus » devront être formulés par chaque offreur de formation afin d’être introduits dans l’application. Qui va les formuler et sur quelles bases ? Un exemple est proposé dans le vadémécum (p. 4) comme par hasard pour STAPS. Si on prend ces attendus comme des critères de réflexion pour le lycéen, on peut considérer ces informations comme pertinentes pour aider à l’élaboration du projet d’études (car cela se présente bien comme des informations sur la nature des études et non pas à propos de projets professionnels).

On est donc en train d’inventer la plateforme à tout faire, de l’aide au projet, de l’information sur les offres diverses, et de l’enregistrement et transmission des vœux. Elle fera tout, sauf… de l’affectation !

En effet « Contrairement à ce qui se passait précédemment, il n’y a plus de phases successives d’affectation. Les lycéens reçoivent les réponses les unes après les autres. Ce point doit être explicitement précisé aux élèves. Pour ne pas monopoliser les places, le lycéen ne peut jamais conserver deux réponses positives en même temps. Il élimine donc, au fur et à mesure, les choix qui l’intéressent moins, pour ne garder au final que son préféré. En revanche, il ne renonce pas à ses vœux en attente. »

Le Monde indique que « Des représentants étudiants, spécialistes de l’orientation et surtout chercheurs en économie, l’ont expliqué, jeudi 16 novembre, à l’Assemblée nationale, devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avant que le projet de loi qui réforme l’accès à l’université, mettant fin au tirage au sort, ne soit présenté en conseil des ministres, mercredi 22 novembre (voir la vidéo complète de l’audition). »

Autrement dit, l’Etat ne prend plus en charge la responsabilité et la refile aux divers établissements qui recevront la totalité des demandes les concernant. La bonne vieille file d’attente va se reconstituer par les piles des fiches Avenir qui seront traitées, mais par qui au sein des établissements d’accueil, et selon quels critères ?

Mais par les attendus bien sûr. Ces attendus deviennent alors des arguments dans une décision administrative lorsqu’il s’agit d’accepter, de refuser le futur étudiant, ou de lui proposer un parcours pédagogique spécifique dans « le cas où l’établissement estime que le bachelier ne maîtrise pas les attendus requis ». Et se posera alors le statut légal de ces arguments pour prendre des décisions contraires à la demande du lycéen. Les recours ne porteront plus sur le tirage au sort mais sur les arguments de refus. Il faudra étudier de près la rédaction de la loi (qui n’est ni connue à ce jour, ni votée bien sûr, mais il faut la mettre en œuvre comme si…). Voir par exemple « Les obligations de l’administration : la motivation des décisions défavorables. »

 

Pour le moment le vadémécum indique : « Ces attendus, qui s’appuieront sur un cadre national, correspondent aux connaissances et aux compétences qui sont nécessaires à un lycéen pour réussir dans l’enseignement supérieur. » Mais quel est ce « cadre national » ? A ma connaissance le cadre existant actuellement, c’est le baccalauréat. Ici, il s’agira de déterminer les connaissances et les compétences qui sont nécessaires à un lycéen non pas pour réussir dans l’enseignement supérieur en général, mais dans une formation spécifique (qui se trouve largement définie au plan local et non pas au plan national…).

Pari sur la bonne volonté

 

Cette future loi sur l’entrée dans l’enseignement supérieur fait de nombreux paris.

  • Pari sur la capacité des lycéens à formuler des vœux rationnels alors que la hiérarchisation des vœux est abandonnée.
  • Pari sur la capacité des personnels des lycées à conseiller, encadrer, et formuler des avis.
  • Pari sur la capacité des établissements à formuler les attendus, et leur capacité de traitement de la masse des demandes non filtrées.  
  • Pari sur la bonne volonté du lycéen pour ne pas monopoliser les places, et éliminer au fur et à mesure, les choix qui l’intéressent moins, pour ne garder au final que son préféré. Et tout ceci se fait à la « Fin mai : les lycéens reçoivent les réponses à leurs vœux. L’acceptation des propositions se fait au fur et à mesure qu’ils les reçoivent. Pendant les épreuves écrites du baccalauréat, ils n’en reçoivent plus pour qu’ils puissent se consacrer à l’examen mais peuvent continuer à répondre aux propositions déjà reçues. La procédure reprend à l’issue de l’examen. » Faire faire ces derniers choix au dernier moment de préparation du baccalauréat, çà c’est un sacré pari en nature humaine !

 

On a donc vidé l’application de tout algorithme, supprimé le tirage au sort, mais on a un fort retour du pari sur les bonnes volontés de tous les acteurs ! Décharge de l’Etat de sa responsabilité et renvoi de celle-ci sur chacun.

Dangers à l’horizon !

 

Bernard Desclaux

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This entry was posted on lundi, novembre 20th, 2017 at 15:58 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

4 Responses to “Précipitation, hasard, surcharge et pari”

  1. MAGLIULO Says:

    Excellent repérage des obstacles à surmonter pour que la nouvelle plateforme « ParcourSup » ne connaisse pas de bug majeur. Le risque est réel et important. Merci à Bernard Declaux d’attirer notre attention sur ce point crucial

    Bruno Magliulo

  2. Université : tensions à prévoir | Etudiant sur le tard, le blog éducation de Luc Bentz Says:

    […] Ponce-Pilate, il n’aura pas pris les décisions comme le soulevait Bernard Desclaux dans un billet que nous avions déjà […]

  3. pascale G. Says:

    Bonjour,

    Toujours le même problème : procédure et outils définis et mis en place par ceux que Marie Anne DUJARIER appelle les PLANNEURS…

  4. Parcoursup et loi ORE : le grand bal des hypocrites | Etudiant sur le tard, le blog éducation de Luc Bentz Says:

    […] le discours des Bernardins. Nous avions, après ce spécialiste de l’orientation qu’est Bernard Desclaux, évoqué les limites du remplacement d’Admission post-bac (APB) par Parcoursup (voir : […]

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