Faisons un point sur le décret-loi du 24 mai 1938 intitulé « Structure de l’orientation et de la formation Professionnelle »[1], toujours à l’aide du livre d’André Caroff, L’organisation de l’orientation des jeunes en France : évolution des origines à nos jours, Issy-les-Moulineaux, Éditions EAP, 1987 (pp. 101-103). La confrontation avec l’actualité sera surprenante.
Le décret-loi de 1938
André Caroff rappelle qu’ « Il se compose de deux volets. Son titre premier s’intitule « De I’orientation professionnelle », le second : « De l’éducation professionnelle obligatoire ». Le lien entre les deux volets est souligné dans le Rapport au Président de la République :
« Ces deux parties du décret se lient étroitement l’une à I’autre. L’éducation professionnelle est d’autant plus fructueuse qu’elle s’adresse à des jeunes gens dont les aptitudes et les goûts répondent aux exigences du métier : pas-de qualification sans orientation préalable ». » (p. 101)
La partie consacrée à l’éducation professionnelle complète et améliore la loi Astier de 1919 qui instaurait l’apprentissage, diverses obligations concernant les employeurs et l’obligation pour le jeune de consulter un centre d’orientation professionnelle.
« S’agissant des dispositions consacrées à l’éducation professionnelle, le décret-loi du 24 mai 1938 pose en principe que tout jeune de 14 à 17 ans employé dans le commerce et l’industrie doit recevoir, sauf cas d’inaptitude, « une éducation professionnelle pratique, sans préjudice d’un complément de culture générale ». On retrouve l’obligation contenue dans la loi de 1919. » (Caroff)
Celui-ci indique : « La loi ASTIER n’avait pas fixé les modalités de l’appréciation de l’inaptitude ; il est cette fois précisé que l’inaptitude est prononcée « par le secrétariat d’orientation professionnelle, après avis des centres d’orientation professionnelle publics et privés ». Un organisme nouveau est donc créé. »
Et il précise : « A l’obligation d’éducation professionnelle répond l’obligation, pour tout jeune de moins de 17 ans de consulter un centre d’orientation professionnelle avant d’être employé dans une entreprise industrielle ou commerciale. A la suite de cette consultation, il lui est remis un certificat délivré gratuitement par le secrétariat départemental d’orientation professionnelle sur attestation du centre d’orientation professionnelle. Ce certificat mentionne « au moins l’indication du ou des métiers qui ont été reconnus dangereux pour la santé de l’enfant ». »[2]
Et le Rapport au Président de la République précise : « Nous croyons devoir souligner à cet égard que notre texte respecte pleinement la liberté de l’enfant et celle de la famille comme celle de l’employeur. Il ne s’agit pas d’imposer un choix mais de rendre obligatoire une consultation. Et nous avons tenu à entourer cette consultation de toutes les garanties utiles ».
Le dispositif institutionnel
Il est décrit de la manière suivante par André Caroff. « L’institution du certificat d’orientation professionnelle suppose l’existence d’une autorité administrative habilitée à le délivrer. La création de la fonction de secrétaire d’orientation professionnelle répond à ce besoin. La nature de la mission de ce fonctionnaire implique des relations à la fois hiérarchiques et fonctionnelles entre lui et les centres d’orientation professionnelle qui procèdent aux consultations nécessaires à l’établissement du certificat d’orientation professionnelle. Comme la structure qu’il anime (le secrétariat d’orientation professionnelle) se place dans les attributions de l’inspecteur d’académie du département l’ensemble du dispositif bascule au sein du ministère de l’Education Nationale.
Du côté des centres d’orientation professionnelle qui remplacent les offices d’orientation professionnelle, la succession s’accompagne d’une mise en ordre qui hiérarchise le pluralisme. Il est créé dans chaque département un centre d’orientation professionnelle au chef-lieu ou dans la ville la plus peuplée. C’est le centre d’orientation professionnelle obligatoire. Si des communes, des associations professionnelles ou des groupements professionnels veulent ouvrir des centres d’orientation professionnelle, ils en ont la possibilité s’ils répondent aux conditions requises : ce sont les centres d’orientation professionnelle facultatifs. »
Donc jusque-là, le « réseau des centres d’orientation » était l’effet d’entités locales. Avec ce décret-loi, l’Etat prend la tête de l’organisation de ce réseau et institutionnalise un dispositif administratif. Mais même si ce dispositif est « administratif » il a d’abord un sens et une utilité sociale. Le Rapport indique qu’il s’agit « d’assurer au pays la main d’œuvre qualifiée sans laquelle les mesures que nous vous présentons par ailleurs en vue de redresser l’économie et les finances de la nation, ne sauraient garder qu’une faible part de leur efficacité. » Plus loin : « La qualification professionnelle est pour tout travailleur la garantie la plus sûre de la liberté, de la dignité, de la vie même. » Et encore : « L’éducation professionnelle est d’autant plus fructueuse qu’elle s’adresse à des jeunes gens dont les aptitudes et les goûts répondent aux exigences du métier : pas de qualification sans orientation préalable. Nous croyons devoir souligner à cet égard que notre texte respecte pleinement la liberté de l’enfant et celle de la famille comme celle de l’employeur. Il ne s’agit pas d’imposer un choix, mais de rendre obligatoire une consultation. Et nous avons tenu à entourer cette consultation de toutes les garanties utiles. »
Et parmi ces garanties, il y a la formation obligatoire des personnels assurant ces consultations, formation assurée par… l’INOP.
C’est aussi le moment de l’installation d’une frontière. André Caroff relève : « Dans ce contexte, il est clair que pour l’essentiel les nouveaux centres seront départementaux ou municipaux, comme le voulait Edmond LABBE. Cela revient à couper le cordon ombilical avec le ministère du Travail : les fonctions d’orientation et de placement demeurent complémentaires mais successives et distinctes. Elles ne sont plus mêlées ni soumises à la même autorité. » Sur la séquence orientation – formation – placement – emploi, la frontière des responsabilités des deux ministères est placée entre formation et placement.
Curieuse actualité
Depuis la divulgation du « Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » , de vifs débats se sont installés. J’ai déjà écrit beaucoup d’articles sur ce blog à propos des effets sur les DRONISEP et les CIO.
Il est très curieux de remarquer la proximité entre le décret-loi de 1938 et le projet de loi actuel, en remarquant tout de-même que la « main » est passée du côté du ministère du Travail, porteur du présent projet de loi.
Les deux textes cherchent à développer l’apprentissage. Ils ont le même objectif, Mais les chemins empruntés sont bien différents. Le texte actuel cherche à déconstruire ce que le premier essayait d’instituer. Le dispositif d’aide à l’orientation, aujourd’hui le réseau des DRONISEP d’une part pour la production d’informations, et d’autre part le réseau des CIO pour l’accompagnement des élèves, des étudiants et des personnes, sont dissous. L’article 10 attribue les DRONISEP aux régions. Et le ministère de l’Education nationale a lancé/testé l’idée de supprimer les CIO et de nommer les personnels dans les établissements, sans le moindre support législatif !
Ceci a déclenché de fortes oppositions de l’ensemble des personnels des deux réseaux. Les quotidiens de la presse régionale relaient chaque jour les inquiétudes des personnels.
Depuis peu on assiste à des « ajustements » de la part du ministère. Dans un premier temps il a précisé que les établissements de nomination des personnels (PsyEN) étaient les lycées. Questions en passant :
- les interventions en collèges seraient-elles maintenues ?
- si oui, chercherait-on à mieux assurer le recrutement des lycées ?
- certains PsyEn seraient sans doute heureux de « monter » dans le système, mais d’autres beaucoup moins.
Et puis surprise, le mercredi 16 mai 2018, le Café pédagogique publie l’annonce suivante :
« Il y aura « resserrement de la carte des CIO » mais pas fermeture de tous les centres. Le projet de loi sur la formation professionnelle » ne revient pas sur le principe d’un CIO par département ». Selon Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes, ces engagements ont été donnés par le ministère lors du Conseil supérieur de l’éducation du 15 mai. De la même façon le ministère annonce que toutes les directions régionales Onisep ne seront pas transférées aux régions. Un décret maintiendra le lien entre les DROnisep et l’Onisep. Ces précisions sont apportées alors que les psychologues de l’éducation nationale des CIO sont fortement mobilisés sur leur avenir. »
Retour au bon vieux principe du centre d’orientation professionnelle obligatoire du décret-loi de 1938 ?
Quant à l’avenir des DRONISEP, on croit rêver, c’est le ministère de l’Education nationale qui interprète le texte de la loi présenté par celui du Travail !
Bernard Desclaux
[1] On peut lire le RAPPORT AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE et les quatre premiers articles du décret-loi ici.
[2] Voir mon article récent : « Les hésitations de l’Etat en matière d’orientation » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/04/28/les-hesitations-de-letat-en-matiere-dorientation/