Compte tenu des deux commentaires à l’article précédent de cette série, je pense qu’il me faut tenter de préciser les deux termes en questions. Un dispositif permet à l’Etat de mener une politique sociale avec des « ayant droit ». Il s’agit donc de faire de la distinction entre les uns et les autres et d’être capable de décompter les bénéficiaires. Pour les personnes, l’accès au dispositif est la seule manière de pouvoir essayer de changer leur statut, d’être reconnues comme « ayant droit ». Dans un service, le bénéfice est strictement d’ordre « personnel », il améliore, éventuellement, un état de la personne, il n’y a pas de changement de statut.
Je poursuis donc cette série malgré la situation délicate dans laquelle les « services d’orientation » se trouvent suites aux discussions autour de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
A partir des années 95
Je m’engage dans la formation concernant l’éducation à l’orientation. Je constate très vite les freins moteurs à cette innovation[1]. La question de l’insertion s’est institutionnalisée avec les Missions locales, et la Mission générale de l’insertion a des difficultés pour s’intégrer dans le fonctionnement de l’éducation nationale. Enfin l’informatique se développant les remontées statistiques concernant l’orientation se font directement de l’établissement au rectorat. La question de l’utilité des services d’orientation se pose, en tout cas je commence à me la poser.
Des évolutions générales
Une sorte de « balance » se joue.
Du côté de l’éducation nationale on assiste à une lente « débureaucratisation » au cours des années 80. Pas seulement dans le discours, mais aussi dans l’organisation c’est le principe managérial qui se développe. L’établissement devient un EPLE, c’est-à-dire une unité relativement autonome, devant développer un projet, et gérer une « production ». Le principe du partenariat se développe également. L’école reste assurément un dispositif (un appareil d’état[2]) mais un nouveau discours apparait également dans ces années 80 : les enseignants sont au service des élèves et des parents ; « L’élève au centre du système » qui va « résumer » la loi de 89 dite Jospin en est un exemple.
Côté CIO et rôle des personnels on assiste également à de profondes évolutions. Le rôle d’expert nécessaire dans le processus de l’orientation s’amenuise. Avec la réforme Haby, les conseillers ne sont plus « de droit » dans les conseils de classe, et donc, sous-entendus, « nécessaires ». En parallèle le rôle des professeurs principaux est de plus en plus engagé sur ce terrain, pas seulement sur le plan « administratif » du traitement des dossiers, mais aussi sur le rôle informationnel et même de conseil, et cela d’une manière officielle. L’aide à l’orientation et l’éducation à l’orientation sont de la responsabilité de l’établissement, et les tous enseignants doivent s’y engager. L’affectation est quasiment totalement informatisée. Il reste quelques commissions pour des formations très particulières pour lesquelles les directeurs de CIO sont requis. L’accès à l’éducation spécialisé, transformée en enseignement adapté est de plus en plus « collégiale » et nécessite un processus d’échange entre les acteurs de plus en plus complexe. Le rôle du conseille reste nécessaire mais non exclusif ou quasi exclusif. Enfin l’entrée en apprentissage ne nécessite plus un avis d’orientation délivré par un conseiller d’orientation et signé par le directeur de CIO.
La question de l’insertion s’est imposée comme problème social. L’ANPE avait été créée en 1967 pour s’occuper des chômeurs adultes. Le chômage se développe avec la crise pétrolière de 73, mais c’est surtout l’insertion des jeunes qui inquiète de plus en pluse. Après de multiples « plans pour les jeunes » avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, Pierre Mauroy, Premier ministre, confie à Bertrand Schwartz une mission sur l’insertion des jeunes. Et suite à son rapport « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes » en 1982, les missions locales et les PAIO sont créées. Je passe sur les détails de cette histoire, mais les missions locales, dispositifs qui devaient être éphémères, deviennent des « ANPE pour jeunes » et exercent cette fonction indépendamment de l’éducation nationale et notamment des CIO, qui y avaient été impliqués dans un premier temps. L’Education nationale tente de freiner le décrochage scolaire avec la Mission générale d’insertion[3] transformée en mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS)[4] en 2013. Les directeurs de CIO seront particulièrement impliqués dans le décomptage (un problème apparemment simple) des décrocheurs et dans l’animation des plateformes.
Globalement, les PAIO et les Missions locales, l’ANPE, aujourd’hui Pole emploi, etc… sont des dispositifs permettant ou non l’accès aux divers stages, bilan de compétences. Ce sont des dispositifs permettant l’accès à des droits définis par diverses lois. Le CIO a perdu tout rôle en ce domaine.
Des interrogations sur l’utilité
Dans le contexte décrit ci-dessus, la Loi d’orientation sur l’éducation (n°89-486 du 10 juillet 1989)[5] est votée avec l’article 8, « Le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions fait partie du droit à l’éducation ». C’est un grand espoir pour les services d’orientation ! Mais lorsqu’on regarde de près la suite de l’article et les apports successifs, on peut remarquer qu’il porte essentiellement sur le fonctionnement des procédures d’orientation. Rien n’est réellement mis en place pour répondre à ce droit, ni en terme de « description » ni en terme de capacité ou de compétence.
En 1990, je suis au SAIO de Versailles, un projet de décret sur les missions est en préparation au ministère, l’article 1 sur les personnels est développé en plusieurs pages, mais l’article 2, celui intitulé « le CIO » est totalement vide ! Mais à quoi sert un CIO ?
On peut également s’interroger sur l’élaboration de l’éducation à l’orientation au ministère. Pourquoi ne pas avoir impliqué l’inspecteur général de l’orientation de l’époque dans l’élaboration de l’expérimentation ? Dans mon article « L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation »[6] j’écrivais :
« Au sein du Ministère, existe l’Inspection générale organisée autour d’un pôle disciplinaire constitué par l’ensemble des IG des disciplines, donc très nombreux, et de deux Inspecteurs généraux pour la Vie scolaire, à l’époque Paul Ricaud-Dussarget, à l’origine ancien enseignant, et de Jacques Sénécat ancien conseiller d’orientation quant à lui. Or la rédaction de la circulaire sur l’éducation à l’orientation a été confiée à Paul Ricaud-Dussarget[7]. D’un certain point de vue, c’est sans doute pertinent, puisque la mission est essentiellement dévolue aux établissements et aux enseignants, les conseillers d’orientation-psychogues étant des partenaires dans la mise en œuvre. Mais sans doute, d’une manière inconsciente, cela a pu jouer sur la difficulté de la part des conseillers d’orientation-psychologues à s’identifier à cette mission. En même temps que cet inspecteur rédige cette circulaire qui affirme la nécessité d’introduire le thème de l’éducation à l’orientation dans chaque discipline[8], les autres inspecteurs généraux rédigent les programmes du Nouveau collège, où il n’y est fait aucune mention de ce thème. Unité problématique ? Visiblement non. La problématisation, au sens de la réunion de deux mondes jusque-là séparés, dès sa phase initiale est déjà une opération ratée. »
Dans les années 95-96, le ministère commande à la DEPP une enquête sur les services d’orientation, et je suis invité à participer au groupe de travail. Sa première réunion est ouverte par des indications concernant les attentes du ministère concernant les personnels d’orientation que je liste dans l’ordre de présentation :
- Sont-ils prêts à participer à la mise en œuvre de l’éducation à l’orientation ? A l’époque on peut dire que la résistance vient de partout, enseignants, chefs d’établissement, conseillers d’orientation-psychologues.
- Sont-ils prêts à coordonner la mission générale d’insertion ? Avec l’accentuation de la régionalisation il y a un risque d’éclatement de la politique sur ce thème.
- Enfin sont-ils prêts à s’impliquer dans l’aide à l’orientation des lycéens vers le supérieur, autrement dit à prendre le rôle de conseiller technique ? A l’époque l’investissement des personnels se porte en priorité sur les niveaux d’orientation au collège et en seconde au lycée.
Mais le rapport de la DEPP ne put répondre à ces interrogations du Ministère.
La définition européenne de l’orientation
Dès 1994 une définition européenne de l’orientation était posée (Conférence PETRA, Rome, novembre 1994) :
L’orientation est « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation »
C’est donc du côté de l’idée de « service aux personnes » que l’Europe concevait l’orientation, conception libérale critiquée très souvent. Car la plus part de nos organismes d’orientation mettent en œuvre ou son adossés à des politiques d’orientation des personnes et non pas d’aide aux personnes : le CIO et l’orientation scolaire, la Missions locale et les mesures d’accompagnement des jeunes déscolarisés et sans formation, le Pôle emploi et le traitement du chômage[9].
Or à l’époque, et sans doute encore maintenant, on peut faire le constat que l’Etat n’investit pas dans ses services d’aide à l’orientation, le « droit au conseil en orientation » reste une expression vide, les procédures d’orientation et d’affectation ne sont pas réellement modifiées, la notion de compétence a beaucoup de mal à trouver sa place dans les objectifs éducatifs et celles liées à l’orientation encore plus, enfin l’éducation à l’orientation se marginalise en fait de plus en plus malgré les différentes versions qui se succèdent[10].
2003 et le projet de régionalisation
C’est en 2003, au moment des discussions autour de la régionalisation des services que j’ai pensé à la notion d’ « utilité pour l’état ». A la demande de Dominique Odry, qui était responsable de la formation des DCIO à l’ESEN, je participe à la table ronde ouvrant la dernière semaine de formation initiale des Directeurs de CIO à Poitiers, le 19 mai 2003.
C’est ce que je développerai dans un prochain post.
Bernard Desclaux
[1] Bernard Desclaux : « L’éducation en orientation en tant qu’innovation ». publié en fait en 2005 dans la revue Perpectives documentaires en éducation, n° 60, 2003, L’éducation à l’orientation, pp 19-32.
[2] Louis Althusser disait même « appareil Idéologique d’État ».
[3] Voir dans les Cahiers pédagogiques N°496 – Décrocheurs, décrochés, l’article de Pierre-Yves Bernard « La MGI, une structure de seconde chance ».
[4] Mission de lutte contre le décrochage http://eduscol.education.fr/cid55115/mission-de-lutte-contre-le-decrochage.html
[5] http://www.education.gouv.fr/cid101274/loi-d-orientation-sur-l-education-n-89-486-du-10-juillet-1989.html
[6] L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation, publié dans PERSPECTIVES DOCUMENTAIRES EN ÉDUCATION, N° 60 – L’éducation à l’orientation, 2003 (publié en fait en 2005), INRP. http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/perspectives-documentaires/RP060-3.pdf
[7] Ce croisement d’intérêts s’observe dans l’autre sens, puisque Jacques Sénécat intervient plusieurs fois dans les académies sur le thème de citoyenneté au cours de l’année 1997 (SENECAT J. (1998b). Citoyenneté et vécu scolaire In Une école à la conquête de la citoyenneté, Forum de l’Académie de Nancy-Metz, septembre 1997, Académie de Nancy-Metz.).
[8] Thème d’une nouveauté extrême pour la France, mais qui porte un nom depuis le milieu des années 70 dans les pays anglo-saxons, « l’infusion », ainsi baptisée par Kenneth Hoyt, alors directeur de l’Office of Career Education des Etats-Unis à partir de 74. A ma connaissance la première mention de cet auteur apparaissant dans la revue l’OSP se trouve dans l’article de DUPONT (1988).
[9] Voir « Conclusion de mon intervention à l’ANDEV (4) »
[10] Bernard Declaux « Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IX), et l’Europe s’en mêle »
Je pense que votre introduction liminaire mérite débat. Les services d’orientation sont-ils partie intégrante de l’Éducation Nationale ou simple interface susceptible de contribuer à traiter les « ratés » où des cheminements particuliers? J’étais jusqu’en 1988 directeur d’un des deux CIO de la ville Rennes. J’ai donc participé aux initiatives découlant de la loi de 1982 fondée sur le rapport de Bertrand Schwartz et à la mise en place des missions locales et des PAIO.
Les CIO de Rennes ont en particulier mis en place des stages d’orientation approfondie qui ont permis sur une période d’environ un an de trouver des solutions d’insertion professionnelle pour une soixantaine de jeunes restés sans solution après avoir quitté le système éducatif.
Ces stages nous ont servi d’expérience pour proposer aux principaux de collèges un module de prises en charge transitoire pour des jeunes de collèges en situation critique. Cette proposition n’a eu qu’une application concrète dont le résultat a été positif mais la rigidité du système éducatif ne permettait pas manifestement de généraliser une telle expérience. A l’évidence l’Éducation nationale ne sait pas gérés le plus souvent autrement que par l’exclusion les cas critiques.
Si le CIO n’avait pas été une interface ouverte entre l’Éducation Nationale et la société nous n’aurions même pas pu réaliser cette expérience. De fait, si le CIO est généralement perçu comme lieu de conseil pour que des jeunes du système éducatif puisse continuer à y cheminer, il s’avère qu’il n’est généralement pas opérationnel pour des réinsertions scolaires d’exclus du système. Ce constat n’est que le reflet de la fermeture du système éducatif lui-même. Il est outillé pour l’exclusion mais peu ou pas pour l’insertion. Cela tient du système lui-même pas de la nature des CIO.
Par ailleurs il me semble que vous vous trompez quand vous dîtes que la participation des Conseillers d’Orientation aux conseils de classes a été remise en question par la réforme Haby. Ce qui est certain c’est que les méthodes d’intervention des conseillers se sont modifiées. Ils ont passés avec plus ou moins de réussite, de la mise en évidence de performances psychométriques à des pratiques de groupes susceptible d’aider à développer des dynamiques de projet. J’ai été je pense un des tous premiers au moins en Ille et Vilaine, en 1975 ou 76 à ne plus me référer systématiquement à des résultats psychométriques pour intervenir en Conseil de classe.
C’est la période où l’on fait référence de plus en plus dans les CIO au modèle canadien de l’ADVP (activation du développement vocationnel et personnel). Je peux d’ailleurs témoigner que dès le milieu des années 1960 j’utilisais des techniques de dynamique de groupe pour activer la réflexion des élèves de 3ème afin qu’ils préparent au mieux la suite de leurs études.
Pour ce qui est de la réalité postérieure à 1994 je n’ai pas de légitimité pour en parler. Par contre je peux attester que dans l’académie de Rennes la demande sociale de formation et de scolarisation était encore au début des années 1980 très inégales selon les départements. La Basse-Bretagne était plus dynamique. La population avait mieux saisi que celle de Haute-Bretagne l’intérêt d’une formation de haut-niveau. Il aura fallu une dizaine d’année pour que cette différence s’amenuise. J’en parle d’autant mieux que j’étais à partir de 1988, Directeur de CIO, adjoint du Chef du Service Académique d’Information et d’Orientation.
De fait ma période d’exercice comme conseiller puis directeur de CIO a été contemporaine de l’évolution des services d’orientation. Le pense que le CIO a vocation à être l’interface entre le système éducatif et la société. Çà ne peut évidemment fonctionner que si l’Éducation nationale est en capacité d’intégrer à tout moment des jeunes qui, sorti du système après des échecs, deviennent capables de reprendre des études après une période de mise à niveau. Cette mise à niveau doit être plus proche pédagogiquement de la formation des adultes que des pratiques scolaires traditionnelles.
Je voudrais tout d’abord vous remercier de ces différents témoignages sur des périodes historiques et des régions géographiques que j’ai moins connues que vous. Pour ma part j’ai débuté en septembre 78 et uniquement en région parisienne.
« Les services d’orientation sont-ils partie intégrante de l’Éducation Nationale ou simple interface susceptible de contribuer à traiter les « ratés » où des cheminements particuliers ? » C’est une autre manière de poser la question de l’utilité de ces services, du point de vue de l’éducation nationale. Sont-ils voués à s’occuper de tous ou seulement de certains ? ON peut dire, je pense sans se tromper qu’il y a eu beaucoup et encore aujourd’hui, beaucoup d’hésitation à la manière de répondre à cette question, et cela aussi bien de la part de l’éducation nationale que des différents acteurs, syndicats, personnels… On pourrait même dire que la participation et l’intervention dans les conseils de classe sont soumis à la manière de répondre à cette question.
Concernant la période ML et PAIO, en région parisienne, l’implication des services fut très diverses. Avec les plans précédents, les élèves non-affectés nous voyaient comme des « sauveurs potentiels ». Désormais ils s’adressaient aux ML et PAIO. Certains d’entre nous étaient soulagés et d’autres pas. Les postes partagés furent utilisés de manières bien différentes. Parfois, ce fut les titulaires qui participèrent aux activités des ML et PAIO, et parfois on envoya les auxiliaires (on dirait les contractuels aujourd’hui) recrutés à cette occasion, pour toutes sortes de rasions d’ailleurs. Certains directeurs de CIO se sont largement impliqués jusqu’à assurer la présidence des ML.
Une grande partie des municipalités communistes se sont engagées dans la création de ML jusqu’à la fin de l’accord avec les socialistes. Elles se sont alors retirées et du coup ont fermé ces ML. Ce fut le cas à Nanterre, et je suis arrivé dans ce CIO avec une nouvelle directrice. Le CSAIO nous a demandé de « monter » une PAIO, sans autres instruction… Et nous avons décidé de créer une association avec l’ANPE locale et diverses associations. Au bout de quelques moi, la directrice du CIO a quitté son poste, et je me retrouvais à faire fonction de DCIO et à me retrouver à la présidence de l’association support de l’ANPE. Une folie qui a duré trois ans pour moi, alors que je n’étais plus en poste au CIO de Nanterre, mais au SAIO de Versailles, car un DCIO avait été nommé, mais refusait d’endosser la présidence de l’association.
C’était une période ou la notion de « partenariat » était mise en avant. Les acteurs de l’éducation nationale étaient largement encouragés à développer des partenariats avec des organismes externes. Mes réflexions ont aboutis à une intervention dans un colloque : « Un modèle du partenariat se doit d’intégrer l’imperfectible », in Etablissements et partenariats. Stratégies pour des projets communs. Actes du colloque des 14, 15 et 16 janvier 1993. Edités par Danielle Zay et Annette Gonnin-Bolo.INRP, 1995, pp. 217- 221. J’ai publié le texte sur le net avec ce lien https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=70&ved=0ahUKEwiJztCJ1Y_cAhWJWBQKHawbAaE4PBAWCF0wCQ&url=http%3A%2F%2Fsc00fdf2ccee4d13b.jimcontent.com%2Fdownload%2Fversion%2F1233677146%2Fmodule%2F1360628050%2Fname%2Fpartcolo.pdf&usg=AOvVaw2r5SkVk9iSXSNVxoAPK9wl
Dans la même période, l’EN a développé la MGI, prise en charge parfois par les CSAIO, mais toujours, et parfois installée dans les CIO. En tout cas la distinction c’est bien faite en MGI et service d’orientation, rabattant les activités du CIO sur le « scolaire » et l’orientation scolaire. A mon sens, cette période clôture la fonction « interface » du CIO.
Ajoutons que les tentatives diverses de partenariats ont montré qu’elles buttaient à chaque fois sur un problème institutionnel : la signature d’un directeur de CIO n’engage que lui et titre personnel. Le CIO n’est pas un EPLE.
Concernant la période « passage » des tests à ADVP, quelques questions. En région parisienne, les trois académies ont posé la question de la poursuite de la gestion de correction des tests en 1981. De moins en moins de conseillers les utilisaient. Comment cela s’est passé chez vous. Et pour l’impact de l’ADVP, qu’elle était la source chez vous ? Dans l’OSP il n’y a eu que l’article de Michel Garant.
A bientôt pour d’autres échanges.
Bernard Desclaux
Il m’a fallu un peu de temps pour continuer notre échange. Le texte qui suit est un peu long mais je me suis efforcé de vous faire part de mon point de vue sur 2 questions qui relèvent de votre réponse et je n’ai pas pu faire l’économie de ma vision des relations entre Education, Orientation et Société.
« Les services d’orientation sont-ils partie intégrante de l’Éducation Nationale ou simple interface susceptible de contribuer à traiter les « ratés » où des cheminements particuliers ? »
De mon point de vue, et d’expérience, ils sont l’un et l’autre. Ils sont aussi lieux d’échange d’idées, de pratique et d’élaboration. Il me semble aussi qu’au fil du temps le cadre institutionnel est devenu plus pesant et l’espace de liberté plus réduit. Déjà un de nos collègue s’interrogeait au temps où je devenait directeur de Centre d’OSP : « La relation d’aide est-elle possible dans un univers bureaucratique ? »
Nous sommes probablement à l’aube de grands bouleversements sociétaux dont on rend compte en parlant de crise. Le concept de crise signe essentiellement l’incapacité institutionnelle à répondre à maîtriser les contradictions internes à son organisation. La maîtrise institutionnelle s’appuie essentiellement sur la modélisation qui lui a donné naissance. Enfermée dans le cadre qui la défini et elle est incapable au moment critique de sortir d’elle même pour observer le réel sous un autre éclairage. Il est évident que le personnel est pris entre ce qu’il a admis pour vrai quand il a intégré l’institution et s’y est conformé et les contradictions croissantes qu’il rencontre. Il faut beaucoup de courage pour devenir rebelle et se charger de proposer, pourtant aujourd’hui dans de nombreux champ on admet qu’il ne peut y avoir de progrès sans désobéissance.
Concernant la période ML et PAIO, en région parisienne, l’implication des services fut très diverses. Avec les plans précédents, les élèves non-affectés nous voyaient comme des « sauveurs potentiels ». Désormais ils s’adressaient aux ML et PAIO. ……………………………………………
Il est vrai que nous étions là dans de l’expérimental et que les réponses apportée étaient de nature, de niveaux et de complexité différents, souvent portées par des personnes. Mais déjà en 1969 avec la création des centres régionaux d’information jeunesse une certaine ambiguïté apparaissait relativement au COSP. Déjà le poncif selon lequel l’orientation est affaire d’information s’installait dans les mentalités dominantes.
Je me souviens d’un échange avec des parents d’élèves de 3ème en novembre 1974. Une mère d’élève me demanda s’il y aurait encore des débouchés dans l’éducation nationale quand sa fille de 15 ans serait en capacité d’accéder à un poste d’enseignant.
Voici ce que je lui ai répondu: Si vous écoutez le ministre de l’éducation nationale vous penserez que non. Ce ministre dit clairement qu’on ne recrutera plus dans l’Éducation Nationale compte tenu de la titularisation massive d’auxiliaires à laquelle l’État venait de procéder en application des engagements qui résultaient du mouvement de 1968. Mon point de vue personnel est que la demande sociale de formation à un haut niveau est en croissance continue. Je pense donc personnellement que l’on devra nécessairement continuer à recruter du personnel dans l’éducation nationale. Maintenant c’est à vous de décider à qui vous faite confiance. Comme je le pensais il y a eu un recrutement important d’enseignant après 1981.
Avec le recul qu’il m’est possible aujourd’hui de revendiquer, pour comprendre l’ambiguïté de la place de l’orientation dans la société et dans le système éducatif, il me semble nécessaire d’élargir la réflexion à l’ensemble de la société. De quoi cette société est-elle le produit ? Qui y retrouve son compte ? Est-elle cette société intégrative ou ségrégative ?
L’ambiguïté de la place de l’Orientation, à mon avis, est le reflet de la réponse à cette dernière question.
Petit préalable lexical.
Alors que le terme de boussole, venu dans notre langue de l’italien « bussola » (petit vase) est attesté dans notre langue depuis le 16ème siècle le terme « orientation » lui, n’intègrerait le dictionnaire de l’Académie Française que depuis 1932. La 9ème édition du dictionnaire de l’Académie Française fait référence à la 7éme édition, mais quand on interroge celle-ci, mise en ligne sur le site http://www.dicoperso.com, puisque cette édition ne semble pas mise en ligne par le http://www.cnrtl.fr/, le terme « orientation » n’y figure pas. Par contre il figure dans la 8ème édition de 1932-19335.
Voici ce qu’on y lit :
ORIENTATION. n. m. T. didactique. Détermination des points cardinaux du lieu où l’on se trouve. Tables d’orientation, Tableaux de pierre placés dans des lieux le plus souvent élevés et qui, au moyen de lignes de direction, indiquent les points intéressants d’une ville ou d’une région. Il désigne aussi la Position d’un objet relativement à l’orient, aux points cardinaux. L’orientation d’une église, d’un palais, d’un édifice.Il se dit, par extension, de l’Exposition, en parlant d’une Maison. L’orientation de cette maison n’est pas bonne. Orientation au Midi au Nord.En termes de Marine, il se dit de la Disposition convenable des voiles et des vergues. Orientation des voiles.Il se prend aussi, figurément, dans le sens de Direction. L’orientation de ses études, de sa carrière.
D’après Antoine Léon qui fût Conseiller d’Orientation Professionnelle avant de devenir Professeur de Psychopédagogie et d’Histoire de l’Éducation, la première référence à l’Orientation in https://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1991_num_49_1_2458 « Histoire de l’Éducation » n°49 Note sur l’histoire de l’orientation professionnelle en France, on peut lire :
(Mais) il convient de souligner, pour le moment, l’intérêt d’une démarche qui associe étroitement l’histoire de l’orientation à celle des mouvements d’éducation populaire : « Ce sont les mêmes hommes qui ont milité pour l’école obligatoire, la prolongation de la scolarité, la protection de la jeunesse et la fondation de l’orientation » (p. 34). Aussi les auteurs considèrent-ils que « l’orientation constitue un relais de la loi Astier » (p. 16). On pourrait ajouter que l’ensemble représenté par les cours post-scolaires agricoles (1918), les cours professionnels de la loi Astier (1919) et le premier décret sur l’orientation (1922) concrétise partiellement la préoccupation — pour ne pas dire l’obsession — exprimée inlassablement, durant plusieurs décennies, par les artisans de l’éducation populaire, celle de surveiller, de contrôler la tranche d’âge située « entre l’école et le régiment », et de rendre obligatoire l’enseignement post-scolaire. Sur ce thème, J.-P. Maniez et C. Perrin auraient pu étoffer et conforter leur position en explorant les importantes séries documentaires que constituent les rapports annuels sur l’éducation populaire, présentés au ministère de l’Instruction publique par les inspecteurs généraux Edouard Petit (5) et Maurice Roger (6). On y apprend, par exemple, que l’orientation professionnelle fait pour la première fois, dans le rapport de 1917-1918, l’objet d’une rubrique distincte au sein du chapitre « Cours d’adolescents et d’adultes ».
Avec la création de l’INOP en 1928, puis le décret-loi du 28 mai 1938 qui impose à tout jeune de moins de 17 ans de consulter un centre d’orientation professionnelle avant d’être employé dans une entreprise industrielle et commerciale. On délivre à ces jeunes un certificat qui mentionne « au moins l’indication du ou des métiers qui ont été reconnus dangereux pour sa santé » nous entrons de plein pied dans l’institutionnalisation de « l’Orientation ». Il faudra attendre la Libération et les années qui suivirent pour que tout cela se concrétise.
Deux personnalités éminentes de l’INOP Henri Piéron et Henri Wallon semblent personnifier les futurs possibles de cette institution. Faut-il aborder cette réalité du « jeune » en devenir « d’adulte » par la psychologie expérimentale ou par l’accompagnement du développement de la personne dans la dialectique de sa réalité bio-sociale. Celle-ci est plus proche des observations rapportées par Antoine Léon. De fait, il ne fait pas de doute que l’évolution de l’orientation qui a suivie est bien plus proche des conceptions de Wallon.
Si nous en revenons au questionnement « Société ségrégative » ou « Société intégrative », il est évident qu’il y a une contradiction fondamentale entre la conception Wallonienne et les réalités d’une société ségrégative. Plus elle est ségrégative et plus elle a besoin de maîtriser les logiques ségrégatives. C’est par elles qu’elle opérationnalise sa visée et la logique fondamentale qui l’anime.