Poursuivons notre réflexion sur l’utilité des CIO.
En 2003, les syndicats enseignants montant aux créneaux, le gouvernement annule finalement le projet de transfert des personnels d’orientation aux Régions, mais l’idée de régionalisation et de coordination des services d’orientation reste. Quelles sont les suites de la tentative de transfert des personnels d’orientation aux régions ? Quels sont les dégâts du conflit ?
Dans les services d’orientation
Donc « victoire », le gouvernement recule et laisse en l’état la situation. Mais je m’interroge tout de suite sur les dégâts causés par ce conflit. Globalement la confiance est remise en question.
Vis-à-vis de l’Etat. Jusque dans les années 90 il y avait une forme de loyauté des services. Mais désormais la défiance s’installe. La méthode utilisée par l’Etat, on peut dire qu’il s’agissait d’une lettre de licenciement, était particulièrement violente. Et donc la suspicion systématique s’est installée, pas seulement pour cela sans doute, mais le terrain est ainsi bien installé ?
Mais les dégâts ne s’arrêtent pas là. Le rapport à la « hiérarchie » est également touché. En sachant que le CSAIO et l’IEN-IO n’ont aucune fonction hiérarchique. Ils sont d‘abord des conseillers techniques du recteur et de l’IA, mais ils servent également de « relais » des ordres vers les personnels. Là aussi il y avait une forme de loyauté, entretenue également par le « corps », la plupart sont des anciens personnels d’orientation. Sauf que lors de ce conflit, cette hiérarchie s’est trouvée soumis à une autre loyauté, ils ont transmis le message du gouvernement. Ils sont accusés de ne pas avoir choisi le camp des personnels.
Il y a également surement des dégâts sur les rapports établissement/COP/CIO. Beaucoup de conseillers se sont retirés des établissements jusqu’à la fin de l’année scolaire pour manifester leur protestation contre le gouvernement. Les équipes d’établissement ont donc dû se débrouiller seules. Beaucoup se sont sentis délaissés, et on peut penser que l’implication des enseignants dans la lutte pour le maintien des COP dans le système était surtout motivée par la volonté de ne pas vouloir prendre en charge l’aide à l’orientation. Mais certains enseignants, au contraire, ont pris du plaisir et de l’intérêt à s’y investir. Et à la rentrée suivante, le retour des COP fut difficile, soit parce qu’on leur « en voulait » du « laisser tomber », soit au contraire, la « place était prise ».
Et puis, comme toujours dans les conflits, l’unité n’est jamais totale. Il y avait ceux qui s’étaient investis dans la lutte, et les autres.
Le rapport à la Région
La défense du maintien des services d’orientation dans l’éducation nationale s’est fait pour beaucoup par la critique de la Région. La Région, c’est le particulier contre le général, c’est le politique contre l’humain, etc. Beaucoup de partenariat sont alors arrêtés.
De leurs côtés les Régions sont également surprises par la décision gouvernementale, et elles sont également très partagées sur l’intérêt à récupérer les services d’orientation. Par ailleurs beaucoup critiquent les conseillers d’orientation-psychologues qui informent très peu, d’après elles, les élèves à propos de l’apprentissage dont elles sont en grande partie responsables. Cette critique est déjà bien installée à cette époque, mais elle prend de l’ampleur.
Et puis il y a la question financière. Qui va financer le fonctionnement des CIO ? Il existait déjà à l’époque depuis une dizaine d’années un conflit entre l’Etat et les Départements à propos du financement des CIO dits départementaux. Dans un article de janvier 2013, « Situation d’un CIO parmi tant d’autres, Fontainebleau » je rappelais l’histoire de ce problème. Je reprends ici sa conclusion :
« Depuis 1982 les Conseils généraux s’interrogent sur leur obligation de financement des CIO. Depuis 3-4 ans, certains se sont engagés effectivement dans une politique de restriction des budgets, et plusieurs ont engagé un « bras de fer » avec le rectorat de l’académie pour se dégager de leur responsabilité.
L’annonce d’une prochaine loi de décentralisation qui attribuerait au Conseil régional la responsabilité du financement du fonctionnement de l’ensemble des CIO déclenche une nouvelle vague de retrait des conseils généraux dans ce financement. La décision du Conseil général du 77 en est un exemple qui risque bien de se propager.
Ajoutez à cela l’indécision du ministère quant à savoir que faire des conseillers d’orientation-psychologues, les mettre sous la responsabilité du conseil régional, ou les affecter en établissement scolaire, et vous avez une situation explosive, très risquée pour l’ensemble des personnels de ce service. D’ici la publication de la loi de décentralisation et ses décrets, les situations de travail des collègues vont sans doute empirer, et le service rendu en pâtira bien sûr. »
L’argumentation
Ce qui est aussi frappant dans cette période, à y repenser, c’est l’absence d’argumentation de fond, et cela de part et d’autre.
Du côté du Gouvernement, aucune explication n’est donnée à ce transfert de personnel. Les modalités restent très floues, et beaucoup d’interrogations sur le fonctionnement des services dans une nouvelle configuration restent sans réponses.
Du côté des personnels il y a une forme de sidération, et une opposition pure et simple. Non on ne veut pas être transféré, point ! Et très peu d’analyses et d’argumentation sur le fond à « rester » au sein de l’Education nationale sont formulées. A tel point que j’avais prévu de démarrer mon intervention à l’ESEN[1] ainsi :
« Actuellement la profession est sous le choc. On peut comprendre que beaucoup d’entre nous, qui ont construit leur vie dans l’Education nationale et qui ont été construits par l’Education nationale, sont choqués. C’est d’abord une mise à la porte, qui est ressentie. Chassé du paradis. Cette situation déclenche angoisse, deuil, sentiment d’être désigné comme « mauvais », comme bouc émissaire. Et le réactionnel prend le pas. La psychologie nous apprend qu’il y a deux grands types de réactions, la déprime, ou au contraire l’agitation. L’agitation est de loin meilleure car elle maintient le plus souvent du lien social au sein du groupe. Mais il y a également un danger à cette agitation collective, ce sont les passages à l’acte.
Mais de plus s’il y a une forte composante personnelle dans la réaction, il y a aussi une rupture dans la pensée politique qui caractérise la France depuis plus de deux cents ans.
Essayons donc un peu de raisonner et pas seulement de résonner à ce choc. »
N’ayant que peu de temps, j’avais opté finalement pour une interrogation franche :
« A quoi servons-nous ? A rien, du point de vue du système…. »
C’est sans doute pourquoi mes critiques ne portaient pas sur le Gouvernement, mais sur l’Etat[2]. Le transfert n’avait pas lieu, les services d’orientation étaient sauvés. De mon côté je pensais que c’était momentané, et qu’il suffisait maintenant de fermer quelques robinets, celui du recrutement et des financements. Et je pense que c’est bien ce qui se produisit.
Et je poursuivrais dans un prochain article.
Bernard Desclaux
[1] Pour la présentation de cette intervention à l’ESEN voir mon article : « Le CIO, un dispositif ou un service à la personne IV »
[2] Ce que j’ai essayé de rappeler dans l’article « Le CIO, un dispositif ou un service à la personne V »
Il me semble que votre interrogation « « A quoi servons-nous ? A rien, du point de vue du système…. » » est tout à fait cohérente si on la confronte à la présentation des enjeux et des logiques en œuvre, qui constituent la trame de mon commentaire de votre article sur « l’évaluation du système, de l’Enseignement et de l’enseignant ».
Nous avons tous été formatés pour croire qu’une institution d’État est forcément le produit du raisonnable, du mieux pensé et que cette institution est au dessus des mêlées où s’affrontent des intérêts contradictoires. Face aux réalités cette axiomatique ne tient pas la route. Quelle conséquences en tirons nous pour agir?