Dans l’article précédent, j’ai décrit la séquence du service public d’orientation (SPO) d’une manière isolée, pure, et je le terminais par cette déclaration de la ministre Najat Valaud-Belkacem : « Ce sont les personnels des structures qui participent au SPRO qui sont chargés de mettre en œuvre les dispositions du droit au retour en formation initiale prévu par la loi de refondation de l’école […]. ». En fait, cela n’engageait pas une nouvelle séquence, mais marquait la poursuite d’une ambiguïté commencée bien avant !
Décrochage
L’échec scolaire[1] des années 60-70 et devenu problème d’insertion dans les années 80, puis une statistique avec la dénomination « sorties sans qualification ». Et depuis les années 2010 il s’agit des décrocheurs reprenant ainsi la conception anglo-saxonne[2].
A partir de 2009 le gouvernement lance une autre démarche interministérielle. « Le plan Agir pour la jeunesse, annoncé par le président de la République le 29 septembre 2009, fait de la lutte contre le décrochage une priorité nationale et invite les acteurs de l’éducation, de la formation et de l’insertion des jeunes à agir ensemble, au sein de plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs. Il renforce le rôle de pivot des missions locales dans l’accompagnement des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle et articule leurs objectifs propres avec le partenariat mis en place pour la lutte contre le décrochage scolaire. »[3]
Les Préfets choisirent des « animateurs » de ces plates-formes « pour leurs qualités d’organisation et d’animation reconnues par l’ensemble des partenaires et posséder une bonne connaissance du fonctionnement des institutions et de l’environnement économique local. Ils pourront être un cadre de l’Éducation nationale, un directeur de CIO, un directeur de mission locale ou de PAIO, un cadre du service public de l’emploi, d’une collectivité territoriale, d’une association, le délégué du préfet dans un quartier, etc. » Et beaucoup de DCIO assumèrent cette fonction.
L’un et son contraire
Ainsi durant la même période, deux politiques interministérielles engageaient les différents services d’orientation dans des positionnements inverses. Dans le cadre du SPO, ils devaient se mettre au service de la demande des personnes. Mais dans le cadre des plates-formes et de la lutte contre le décrochage, ils devaient intervenir sur les personnes, les contacter, les solliciter, les évaluer, leur attribuer des droits, etc.
Avec le passage du SPO au SPRO, le pilotage de la politique concernant l’orientation passait de l’état à la région, ce qui pouvait susciter quelques interrogations et craintes dans les services d’orientation de l’éducation nationale. Et pendant la même période, les mêmes acteurs, à peu de chose près, étaient invités à mettre en œuvre une politique d’Etat sous la houlette des préfets.
Lâchés d’un côté et maillons essentiels de l’autre, de quoi mettre les services dans une situation d’incertitude !
Et en interne ?
Dans les deux situations, les DCIO se trouvèrent très impliqués dans d’autres espaces de « pouvoirs » que ceux « habituels » de l’éducation nationale. Echanges et travail avec les autres responsables d’organisations locales de manière assez systématique, mais aussi participation à des espaces de travail organisés par la région ou le département ainsi que le préfet furent de plus en plus fréquents. Le plus souvent, les DCIO n’avaient que très peu de « consignes », voire aucune, de la part de leur hiérarchie et se trouvaient également peu soutenus par les conseillers d’orientation-psychologues de leur CIO. Cela a dû avoir quelques conséquences sur les rapports entre DCIO et personnels du CIO. A l’extérieur les DCIO furent de plus en plus reconnus et appréciés, mais en interne certains furent suspects. Comment faire partager à l’équipe du centre des enjeux auxquels elle ne participe que très peu ?
Bernard Desclaux
[1] Bertrand Ravon : L’« échec scolaire ». Histoire d’un problème public. Paris, In Press éditions, 2000, 380 p, dont j’ai fait une recension dans l’OSP 30/4 | 2001 (avec une erreur dans le nom de l’auteur) et mis en ligne en 2016 https://journals.openedition.org/osp/4959#quotation
[2] Stéphane Moulin, Pierre Doray, Jean-Guy Prévost and Quentin Delavictoire, « La propagation internationale d’une représentation. Le cas du décrochage scolaire », Histoire & mesure [Online], XXIX-1 | 2014, Online since 30 June 2017, connection on 16 August 2018. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/4958
[3] Lutte contre le décrochage scolaire. Organisation et mise en œuvre des articles L. 313-7 et L. 313-8 du code de l’Éducation NOR : MENE1101811C circulaire n° 2011-028 du 9-2-2011
MEN – DGESCO http://www.education.gouv.fr/cid54962/mene1101811c.html
Intéressant votre interrogation de la « Valse hésitation » du pouvoir d’état quand il se met à patauger dans les tourbillons contradictoires de l’espace « Orientation ». Je pense que sa grille d’analyse est trop dépendante des logiques de la société capitaliste. Quand une société, un système est en développement, la dynamique du développement l’emport sur les contradiction propres au système. Ce que la doxa dominante à décidé de nommer « les 30 glorieuses en est un exemple. Un certain nombre d’avancées se sont réalisées dans cette période.
Par contre, quand la dynamique interne au système, est dépassée par une accumulation de micro-fissures elle ne répond généralement que par une accumulation de rustines et au bout d’un certain temps le bateau coule. Aujourd’hui le service d’orientation est devenu une accumulation de rustines, Pour l’emploi on accumule les rustines depuis les années 81 pour essayer de sauver les apparences, je cite: contrat emploi-formation, jeunes volontaires, travaux d’utilité collective, contrat emploi-solidarité, contrat d’insertion locale, contrat jeune….qui tentait de suppléer les carences des entreprises… Pour l’éducation nationale, les services hospitaliers, la justice, les recrutements sont insuffisant pour répondre aux besoins. En réalité la politique de l’emploi est essentiellement piloté par la rentabilité du capital et très peu pour des raisons d’utilité sociale.