L’orientation scolaire, un non-dit quasi universel

Les jeudi 8 et vendredi 9 novembre, se tenait la conférence de comparaisons internationales sur l’éducation à l’orientation, organisée par le CNESCO[1]. Nathalie MONS, Présidente du Cnesco, professeure de sociologie à l’université de Cergy-Pontoise vient d’être associée à Pascal Charvet, pour une mission de réflexion sur l’orientation décrite dans une lettre de mission. Curieusement on ne la trouve pas sur le site du ministère, mais certains ont pu se la procurer et la publier[2]. De son côté, le Café pédagogique fait l’annonce d’une mission sur l’éducation à l’orientation tandis que la lettre ne donne aucun titre à cette mission et liste toute une série d’objectifs.

Confusion

La lettre de mission mérite d’être lue avec attention. Elle révèle l’état de confusion dans lequel se trouve le ministère pour ce qui concerne l’orientation, mais ce n’est pas nouveau. Relevons simplement pour commencer un certain nombre d’expressions :

  • faire de l’insertion professionnelle mais aussi sociale des jeunes un enjeu majeur de sa politique
  • mise en place d’une politique de l’orientation efficace, non seulement pour la formation initiale, mais aussi pour la formation tout au long de la vie
  • L’objectif est de promouvoir, au collège et au lycée, une éducation aux choix d’orientation intégrée aux actions éducatives et pédagogiques. Il s’agit de les informer plus efficacement sur les formations, les établissements d’enseignement, les métiers et les emplois, tout en favorisant la capacité à s’orienter tout au long de la vie.

Vous prenez un grand shaker et vous y mettez insertion, orientation, éducation aux choix et information, agitez bien fort et vous obtenez…

Et pour rajouter une couche, cette lettre de mission, signée par M. Jean-Michel Blanquer et datée du 5 octobre 2018, se termine par : « La réflexion pourra également se nourrir des travaux d’évaluation du CNESCO et des enseignements de la conférence de comparaisons internationales sur l’éducation à la citoyenneté. » Et quel est l’intitulé de la dite conférence ? ÉDUCATION À L’ORIENTATION : COMMENT CONSTRUIRE UN PARCOURS D’ORIENTATION TOUT AU LONG DE LA SCOLARITÉ ?

L’éducation à l’orientation

L’éducation à l’orientation (EAO) est une expression qui recouvre des conceptions et des organisations de l’action bien différentes dans le monde. La conférence a proposé plusieurs présentations selon divers pays[3]. Inutile de reprendre ces descriptions dont vous pouvez prendre connaissance dans les documents cités en référence. Mais on peut remarquer une série de thématiques bien différentes qui permettraient de schématiser divers types de conception selon les tendances plus ou moins accentuées et les combinaisons possibles.

Une première distinction se jouerait sur l’objectif de l’EAO. Est-on dans une visée économique, faciliter l’adéquation des individus avec le nouveau système technique et professionnel ? Ou bien vise-t-on au développement des personnes dans leur capacité à se diriger dans ce monde en évolution ? Sans doute les deux à la fois, mais sans doute pas avec la même « intensité » selon les pays.

Une deuxième distinction concernerait les moyens humains. Y a-t-il intervention de personnels spécifiques ou bien est-ce l’affaire de « tous » ? Là encore on a des combinaisons variables et les deux situations peuvent coexister.

Une troisième distinction serait méthodologique. Les actions sont-elles spécifiques, se déroulant dans un  temps bien identifié, ou sont-elles incluses dans les activités scolaires quotidiennes ? Actions spécifiques ou infusion[4] ?

Une quatrième distinction porte sur l’accent mis sur les « forces d’intervention ». Quel degré d’ouverture à des intervenants externes, à des collaborations notamment avec les entreprises ?

Enfin une cinquième distinction concernerait le moment de la « préoccupation ». Est-ce la circulation dans le système scolaire (primaire et secondaire) et l’entrée dans le supérieur ou le moment de l’insertion professionnelle ? On peut noter que de la poursuite des études supérieures est une préoccupation largement partagée et le plus souvent contrôlée par les établissements du supérieur.

L’orientation, un non-dit ?

On peut supposer que la notion d’éducation à l’orientation implique une conception « libérale du sujet ». Eduquer suppose que l’individu éduqué sera en capacité d’exercer son libre choix avec discernement. Le paradoxe classique entre liberté du sujet et autorité de l’espace éducatif est largement discuté. Mais ici, point de discussion, l’état ou les instances ayant la responsabilité de l’organisation du système, décident, imposent l’éducation à l’orientation des élèves.

Un autre non-dit semble largement partagé dans le monde, c’est celui de la nature autoritaire ou non de l’orientation, de la circulation dans le système scolaire. Les fiches décrivant l’éducation à l’orientation dans chaque pays font rarement référence à la manière dont la circulation des élèves est organisée et décidée. On parle souvent de « choix » des élèves et/ou des familles, mais jamais de « décision », et l’on sait qu’en France cette distinction est importante pour comprendre la circulation réelle des élèves. Parfois sont évoqués dans ces descriptions la réussite scolaire et surtout les notes. On doit remarquer également l’existence d’examens à l’entrée de certaines formations. Mais jamais ne sont mentionnés les systèmes de décision.

Le Café pédagogique vient de publier un compte-rendu de la deuxième journée de la conférence de consensus du CNESCO[5]. Dans le bilan, Jean-Marie de Ketele « a posé des bases de réflexion. « Il a y consensus pour dire qu’il faut commencer dès le primaire l’éducation à l’orientation », dit -il et également pour y associer très tôt les familles. Le rôle des familles dans les choix s’avère déterminant avec, en France, celui de la note scolaire. « Dans un système éducatif tubulaire, la note est le facteur le plus déterminant ». Or les établissements ont des pratiques d’évaluation très inégalitaires. » Silence sur les conseils de classe, en France et ailleurs. Rappelons qu’en matière de décision d’orientation (autorisation à passer ou non en classe supérieure), en France la note ne décide pas, c’est une décision émise par une personne, le chef d’établissement après un avis collectif, celui du conseil de classe. Par contre dans les procédures d’affectation les notes rentrent dans un calcul et la décision est produite par l’intermédiaire d’un algorithme.

Yves Dutercq , qui concluait également les débats, termine par une remarque importante, mais quelque peu confuse, en tout cas telle qu’elle se trouve rapportée par le Café pédagogique : « « Dans tous les pays, les enseignants sont réticents  à s’impliquer dans l’éducation à l’orientation », souligne-t-il. Cela tient à des raisons organisationnelles mais aussi à des motifs éthiques. On demande aux enseignants d’être juge et partie, de faire du conseil et de décider, de concilier émancipation et aliénation. Pour lui il faut trancher et donner aux profs principaux un rôle de conseil pour l’orientation mais pas auprès des élèves pour lesquels ils décident de cette orientation. Il faut distinguer le rôle de conseil du conseil de classe. »

Le partage de la réticence des enseignants dans touts les pays est intéressante, mais curieuse. Sur quoi s’appuie cette affirmation ? Pour ce qui concerne la France, elle est sans doute juste, et je dénonce cette situation depuis for longtemps en parlant du paradoxe pragmatique dans laquelle l’enseignant français se trouve : faire réussir tout le monde tout en créant les éléments qui permettent la distinction[6].

Mais pour les autres pays qu’en est-il ? Si on se réfère aux fiches descriptives présentées lors de la conférence et concernant l’éducation à l’orientation, nulle trace d’explication sur les règles de circulation dans le système et l’identité des acteurs décisionnaires en la matière (enseignants, chef d’établissement, élève, famille, épreuve…).

Ce non-dit est tout de même bien curieux. Comment évaluer ces conceptions de l’éducation à l’orientation en l’absence de connaissance du fonctionnement de l’orientation scolaire des élèves dans le système ?

 

Bernard Desclaux

 

[1] Sur le site du CNESCO on trouvera l’ensemble des documents publiés, et bientôt sans doute les vidéos des conférences. https://www.cnesco.fr/fr/education-a-lorientation-conference/

[2] https://histoiresduniversites.files.wordpress.com/2018/10/lettre-mission-blanquer-nathalie-mons-pascal-charvet.pdf

[3] Voir le document de la PLÉNIÈRE 2, Quelle éducation à l’orientation dès le primaire et tout au long de la scolarité ? http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/11/Pleniere2.pdf ainsi que le compte-rendu sur le Café pédagogique Cnesco : Quelle éducation à l’orientation au XXIème siècle ? http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/11/09112018Article636773462573515557.aspx

[4] De l’orientation dans le secondaire et à l’Université https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2017/03/13/de-lorientation-dans-le-secondaire-et-a-luniversite/

[5] Cnesco : Comment améliorer l’éducation à l’orientation ? http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/11/12112018Article636776045387352054.aspx

[6] Voir par exemple : Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/08/24/pourquoi-faut-il-supprimer-les-procedures-dorientation/

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5 Responses to “L’orientation scolaire, un non-dit quasi universel”

  1. quiesse Jean marie Says:

    Bonjour Bernard,
    Merci pour cette excellente analyse.
    En ce qui concerne le rôle des enseignants dans l’accompagnement de l’orientation, le paradoxe du professeur conseilleur/décideur est effectivement insupportable. Au Québec, à l’époque où j’y intervenais, un puissant système gérait l’orientation à partir des informations pédagogiques qui émanant des Cegep. (et pas seulement des notes…)Je pourrais aussi donner l’exemple du système espagnol (sauf s’il a changé) où l’orientation des élèves après le Bachillerato est déterminée par une gestion onformatique. En espagne il n’ya a pas de conseiller en orientation, au Québec il s’agit d’un « ordre » très puissant et très présent doublé de chargés d’information. Les conseillers aident à la réflexion et à la préparation des décisions individuelles.

  2. quiesse Jean marie Says:

    J’ai « oublié » de préciser, pour le Québec, que c’est à partir des résultats obtenus,compétences déclarées et projets exprimés que c’est l’établissement d’enseignement « supérieur » propose ou non d’intégrer le candidat.

    Je confirme le problème du système français : il met les professeurs dans un paradoxe d’être juge et partie mais lui demande aussi d’établir un pronostic de réussite à moyen terme à partir d’éléments scolaires pas vraiment prédictifs sauf pour les 25% individus situés en haut de la courbe de Gauss (et encore… lorsque l’on constate le nombre d’ingénieurs qui feront un autre métier, de médecins qui n’exercent pas et de techniciens supérieurs qui, une fois le « niveau » acquis prennent une autre voie.

  3. bernard-desclaux Says:

    Merci Jean-Marie pour ces apports éclairant.
    A remarquer tout de même que l’exemple que tu donnes porte sur l’articulation entre le secondaire et le supérieur. Qu’en est-il de l’organisation de la circulation à l’intérieur du système scolaire ?

  4. katell quidelleur Says:

    Merci également de cet article qui résume clairement et aussi simplement que possible les enjeux actuels.
    Je suis psychologue, je travaille régulièrement avec les missions locales et les organismes de formation « pré » professionnelle.
    J’ai dans l’idée qu’éduquer les élèves à l’orientation supposerait de les laisser, le plus tôt possible, décider d’avancer en fonction de ce qui les fait vraiment grandir. Mais ces marges de choix individuelles obligeraient à réformer profondément le système, car il faudrait qu’il soit d’une grande souplesse pour s’adapter aux besoins des jeunes, alors qu’actuellement c’est le processus inverse qui prédomine. Le dispositif Parcoursup en est un exemple édifiant.
    De mon côté je développe un blog sur l’orientation dans lequel j’ai choisi de m’adresser directement aux jeunes et à travers eux, indirectement à leurs parents. J’espère permettre à quelques uns d’échapper à ces logiques de gestion de flux d’élèves.C’est une interpellation directe, pour laquelle je me sens légitime professionnellement.Je ne suis pas professeur de ces élèves, je ne décide pas de leur avenir pour eux. Je me contente de leur donner des outils pour réfléchir. Cela étant, l’analyse de parcours d’orientation « réussis » tend à montrer que les rencontres sont déterminantes dans ce processus. Une bonne rencontre avec un professeur peut l’être également. Nul besoin pour cela de lui donner une responsabilité spécifique. Il faut surtout qu’il en ait le désir et la disponibilité, ainsi que l’élève, qu’en pensez-vous?
    Quoiqu’il en soit le concept d’éducation à l’orientation, que je ne connaissais pas sous ce nom, m’intéresse beaucoup.

  5. bernard-desclaux Says:

    Merci pour votre appréciation. Sur ce blog il y a de nombreux textes à propos de l’éducation à l’orientation. Commencez peut-être par celui-ci « Pour une conception ternaire de l’orientation » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2010/09/07/pour-une-conception-ternaire-de-lorientation/ et suivez les liens qui y sont proposés pour commencer.

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