Reprise avec le même titre de ma tribune publiée dans le Monde du 3 juin 2019. Je remercie Séverin Graveleau de m’avoir sollicité et pour sa relecture attentive et stimulante.
Tribune Bernard Desclaux Ancien directeur de centre d’information et d’orientation (CIO) et blogueur
A l’heure des résultats de Parcoursup, l’ancien directeur de Centre d’information et d’orientation et blogueur Bernard Desclaux interroge la manière de penser et d’organiser l’orientation en France.
Publié le 03 juin 2019 à 15h23 Temps de Lecture 5 min.
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Parcoursup, réforme des lycées, nouvelle répartition des missions d’orientation entre l’Etat et les régions… : depuis 2017, un nouveau paysage de l’orientation se dessine en France.
Il est aussi le résultat d’une lente évolution. Avec l’allongement de la scolarisation le problème de l’orientation s’est en effet déplacé depuis plusieurs années maintenant vers le lycée. Nous sommes à 80 % d’une génération au niveau du bac lorsqu’il y en avait 2 % au début du XXème siècle et à peine 5 % en 1950. La structuration de l’offre de formation postbac devient de plus en plus complexe et les modalités d’inscription et de sélection ont été institutionnalisées de plus en plus par l’Etat aux travers notamment des plateformes RAVEL, APB, puis aujourd’hui Parcoursup aujourd’hui. La réforme du lycée supprimant les séries et introduisant la modularité dans l’organisation de la formation renforce quant à elle la responsabilité du lycéen dans ses choix d’orientation. Mais pour accompagner ces changements profonds d’organisation de notre système de formation initiale, notre conception de l’orientation a-t-elle réellement évoluée ?
Conception européenne, conception française
Depuis novembre 2008 et l’adoption par le Conseil de l’Europe d’une résolution sur “l’orientation tout au long de la vie” l’Europe conçoit officiellement l’orientation comme de l’aide aux personnes Mais en France, où l’orientation est une question d’Etat, la conception traditionnelle de l’orientation, élaborée dès le début du vingtième siècle, repose sur l’idée d’une l’adéquation possible et nécessaire entre les capacités des personnes et les emplois. Il en résulte historiquement une certaine tendance à l’autorité sur l’individu aussi bien dans l’orientation professionnelle que dans l’orientation scolaire.
Mais depuis les années 70, la France cherche aussi à aider les jeunes à s’orienter, tout en contrôlant cette orientation. Peut-on aider et contrôler en même temps ? Peut-on confier ces deux fonctions aux mêmes acteurs ? Avec Parcoursup et la récente réforme du lycée il devient urgent de faire un choix clair.
C’est une circulaire de 1880 qui a posé le cadre réglementaire de ce contrôle de l’orientation des élèves, l’exécution en étant confiée aux enseignants et au chef d’établissement. Au fur et à mesure du temps ce pouvoir absolu se trouva déconstruit en introduisant un pouvoir « parental » dans la demande d’orientation, l’appel des décisions d’orientation, et la réduction du champ décisionnel du conseil de classe. Ce faisant l’orientation n’a plus seulement fait l’objet d’une “décision”, elle est devenu un “dialogue” supposant information et conseil. C’est pourquoi, à partir des années soixante, des fonctions nécessaires furent créées : le professeur principal et le conseiller d’orientation.
La confusion française
Le professeur principal doit tout à la fois conseiller élèves et familles, mais également présenter les propositions au conseil de classe. C’est un peu comme si l’avocat, conseiller de son client, participait également au jury !
En 1996 le ministère introduit l’éducation à l’orientation en en confiant la coordination au professeur principal. Aujourd’hui, après de multiples modifications et dénominations, la coordination du « Parcours avenir » est toujours attribuée au professeur principal. Dans la circulaire détaillant son rôle il est écrit : « Il coordonne pour chacun de ses élèves l’information et la préparation progressive du choix d’orientation avec le psychologue de l’éducation nationale » et « Il contribue à la mise en œuvre des procédures d’orientation, d’affectation et d’admission ».
A la confusion entre les fonctions des acteurs d’orientation et de conseil, se surajoute une confusion quant à leurs objectifs. L’éducation à l’orientation a-t-elle pour objectif l’apprentissage de la capacité à faire des choix scolaires ou bien à préparer les futurs membres de la société à exercer les choix qu’ils auront à faire tout au long de leur vie ?
Choisir ou désirer ?
Cette confusion des rôles et des objectifs ne concernent pas que ces deux acteurs. L’élève français doit choisir ! C’est sa tâche d’orientation. Le lycéens de terminal, le bon , a “ouvert” au maximum ses vœux. Il a fait comme tout le monde le maximum de demandes possibles, et qu’obtient-il ? Une réponse positive à toutes celles-ci. Mais que doit-il décider entre toutes ses réponses ? A l’autre bout de la hiérarchie scolaire, le « mauvais » n’a reçu aucune réponse positive et doit recommencer ses demandes, en faire des plus élargies pour espérer…Angoisse pour les deux bords.
Tous les offreurs de formation sont aujourd’hui en position de choisir les « bons candidats ». Ils disent « oui » au maximum de candidats (jusqu’au surbooking) en espérant être eux-mêmes choisit. La structuration de Parcoursup vise à rendre les acteurs (demandeurs et offreurs) responsables. L’Etat organise leurs « échanges » et ne définit aucun critères. Il organise le choix mutuel. Et chacun fait durer l’incertitude espérant, de part et d’autres, être « choisi ».
Mais où, quand, avec qui, dans quelles situations, le désir de faire une formation, a pu se construire ? Ce désir, que d’autres appellent la vocation, est-il « simplement » à découvrir, ou doit-il s’élaborer dans les diverses interactions, occasions rencontrées, proposées ?
Notre système centré sur le choix et la décision a totalement oublié la nécessaire élaboration du vouloir, ou au mieux a considéré qu’il s’agissait d’une tâche privée, personnelles, relevant de la responsabilité parentale.
L’Etat doit choisir, mais il a peut-être déjà choisit
Or, les lycéens arrivent en terminale dans un état d’impréparation totale face à cette tâche d’orientation où, depuis Parcoursup, tout peut leur sembler possible par l’absence de hiérarchisation des demandes. Et où au moment des résultats, est organisée une attente angoissante pour la majorité d’entre eux. Qui peut les aider ?
La longue histoire de nos procédures d’orientation a placé les enseignants dans une curieuse situation de juges, conseillers, accompagnateurs. Les conseillers d’orientation, aujourd’hui PsyEn ont été éloignés de plus en plus des procédures. Ils n’apparaissent même pas dans l’accompagnement des élèves en seconde, leur recrutement est réduit et on s’interroge depuis de longs mois sur l’avenir des Centre d’Information et d’Orientation (CIO).
La récente signature d’un cadre national de référence donne quelques pistes de réponses. L’Etat conserve le régalien, « la définition de la politique d’orientation » et l’affectation. Les régions, elles, informeront, mais les conditions réelles seront soumises à des accords locaux entre les différents acteurs. Les services d’information et de conseil sont toujours regroupés dans le Service public régional de l’orientation (SPRO), mais avec quelle efficacité ?
Une interrogation se pose donc réellement maintenant. L’Etat français considère-t-il encore l’orientation comme de sa responsabilité, ou prépare-t-il l’élargissement des services marchands dans ce domaine ?
Bernard Desclaux – Ancien directeur de CIO et blogueur
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