La quête éternelle du sens de et en orientation. Commentaires à Jeremy Lamri

Jérémy Lamri, est un entrepreneur engagé pour une société plus inclusive, éthique et optimiste, fondateur de Monkey tie et du Lab RH, chercheur en sciences cognitives, conférencier et auteur de  Les compétences du 21e siècle, Comment faire la différence ? Créativité, Communication, Esprit Critique, Coopération. Hors collection, Dunod 2018. Il vient de publier un  long article, Enseignement supérieur et orientation face au sens dans Forbes. Surprenant dans ce silence français du mois d’août.

Une première lecture intéressante fut suivie d’une seconde plus attentive au « détails » à mettre en discussion. Je me permets donc quelques remarques à cet article intéressant.

 

Décrocheurs

Les fameuses « initiatives déployées ces dernières années pour accompagner l’insertion des NEETs (Neither in Education, Employment or Training)» sont peut-être un peu plus anciennes ! Ce qui ne veut pas dire qu’elles aient été efficaces, et j’attends le prochain article annoncé sur cette population. Pour ne parler que des initiatives de l’Etat on peut faire remonter cette préoccupation à l’arrivée de la Gauche et au rapport de Bertrand SCHWARTZ de 1981 « L’insertion professionnelle et sociale des jeunes » qui donnera naissance d’un côté aux Missions locales et aux PAIO, et du coté éducation nationale à ce qui s’appellera par la suite la mission d’insertion de l’éducation nationale. Face à un certain échec de ce traitement, une autre politique sera lancée qui suppose d’abord un comptage et une identification de ces jeunes sortants sans qualification. C’est sans doute de cette dernière ( ?) initiative dont veut parler Jérémy Lamri. Attendons donc ce futur article d’autant que la référence à l’article « Mais enfin qu’est-ce qu’un décrocheur ? » pose bien le problème : « … un objet statistique est un construit sociopolitique.  Il n’y a pas de décrocheurs « dans l’absolu » mais des comptages qui peuvent (et doivent)  être différents selon les buts poursuivis. »

 

Dans le présent article la source de réflexion se trouve être un autre public de « décrocheurs », décrit ainsi : « Toutes les écoles ont désormais leurs décrocheurs, qui ne sont plus seulement ceux qui décident d’abandonner par lassitude ou difficulté scolaire. Non, de plus en plus décrochent par passion… pour un tout autre domaine que celui de leurs études ! » D’après d’autres remarques de l’auteur il semble que ce phénomène ne soit pas propre aux Ecoles, mais aussi rencontré en Universités. Mais un autre détail attire mon attention lors de cette deuxième lecture « Les histoires d’étudiants et universitaires quittant tout pour exercer un métier nécessitant peu ou pas d’études sont de plus en plus fréquentes : un étudiant de grande école qui met fin à son cursus pour devenir menuisier, un jeune avocat qui plaque tout pour devenir agriculteur, ou encore un ingénieur technique qui renie son expertise pour prendre la tête d’une association caritative. » L’expression « un métier nécessitant peu ou pas d’études » serait-elle la motivation du décrochage ? De plus, parler de niveau d’études pourrait être « pertinent » si l’on observe que le plus souvent il y a également un décrochage dans l’ordre de la hiérarchie sociale des emplois. Mais parler de quantité d’études est curieux. Ce n’est sans doute pas la quantité ou la « difficultés » des études qui puissent être envisagées comme motivation à ces « réorientation ». En passant on voit bien ainsi que les « décrocheurs » du secondaire sont d’abord en échec et éventuellement « décrochés » du système, alors que les décrocheurs du supérieur, enfin ceux dont parle l’auteur, sont des acteurs qui décident, des personnes qui font des choix, et qui ne subissent pas.

Mais il y a bien d’autres décrocheurs dans le supérieur ! Un article et un document en exemple : Les 60 % d’échecs à la fac masquent une réalité plus complexeCamille Stromboni, « Le Monde », 31 août.     Fanette Merlin Le « décrochage » en STS : l’autre échec dans l’enseignement supérieur, Céreq Bref n°366, septembre 2018, 4p.

Le poids des classements

Admettons avec l’auteur que « l’enseignement supérieur doit permettre de déboucher sur un emploi ou une fonction valorisée dans la société ». Le » petit problème » que je voit dans la suite de la réflexion de l’auteur c’est l’attribution unique aux « services carrières des écoles et universités » de la fonction d’aide dans ce domaine. Le projet professionnel personnalisé apparait en août 2007 avec la loi d’autonomie et l’université a aussi pour mission d’insertion professionnelle de ses étudiants, ce qui va permettre le développement de ces services consacrés à l’insertion. Mais il ne faut pas oublier le développement et l’institutionnalisation de modules pédagogiques au sein de l’enseignement consacrés à cette mission, avec plus ou moins de bonheur. Leur implantation en IUT est solide et plus difficile en Université. C’est en effet un vieux débat que j’ai abordé en forme de témoignage dans un article de ce blog « De l’orientation en milieu universitaire » consacré à l’expérience des « Groupes d’orientation et de réflexion » menée à Paris-X Nanterre dans les années 80.

Cette question ne peut pas être traitée seulement en fin de parcours de formation.

Cela dit l’effet retour de l’emprise des classements internationaux et nationaux sur la mission de ces services est en effet à pointer pour comprendre « l’orientation que prend l’orientation » des étudiants vers l’emploi et sa nature. En effet « Il ne s’agit pas de savoir si les étudiants trouvent des emplois épanouissants, mais simplement d’évaluer si la formation en question permet de trouver un emploi bien rémunéré. » Dans un tel système de « production » le « bien-être’ » peut difficilement être un objectif acceptable.

Mais d’après l’auteur cette direction du « bien-être » serait prise dans de nombreuses universités… ailleurs. Donc espérons ! Mais en se posant néanmoins la question : comment font-elles pour se soustraire à l’emprise des classements ?

L’évolution d’une profession

Lors du Career Services Day, le 26 juin dernier, qui se tenait à Paris, l’auteur a pu interroger des « professionnels de l’orientation » sur « leur compréhension des évolutions majeures à venir dans leur métier, au cours des prochaines années. D’une manière quasi-unanime, cinq grandes pistes sont ressortie » , que je me permets de reproduire ici cette intéressante liste :

  1. La digitalisation des parcours d’orientation et de leur suivi.
  2. La multiplication des expériences professionnalisantes.
  3. Le développement du mentorat et des interactions entre pairs.
  4. La création d’un ordre des professionnels de l’orientation.
  5. Le rapprochement entre orientation dans l’enseignement supérieur et au secondaire.

 

Jérémy Lamri  remarque qu’« Au-delà d’un métier, l’orientation semble une vocation pour bon nombre de professionnels qui en font leur quotidien. Animés d’une envie sincère d’aider et d’accompagner, il est important de prendre un peu de recul sur ce qu’est aujourd’hui le métier de conseiller d’orientation, pour se rendre compte que trop souvent, il s’agit d’une profession bloquée dans le 20ème siècle, ne connaissant pas suffisamment la réalité du marché, dans un monde qui change et propose chaque jour de nouvelles opportunités. Les ressources disponibles pour les aider dans leurs tâches sont bien souvent également d’une autre époque, et il y a fort à parier que l’orientation sera l’une des grandes disruptions de la prochaine décennie. »

Les métiers de l’aide peuvent sans doute difficilement se vivre sans la vocation de l’aide. Mais il faudrait sans doute discuter de la nature de la « vocation ». Est-elle « une profession bloquée dans le 20ème siècle » ? Là aussi je pense qu’il y aura quelques réactions d’humeurs de mes collègues encore sur le terrain. Mais la remarque n’est pas inintéressante dans la mesure où il s’agit toujours de penser l’orientation des personnes vers les catégories de l’emploi, du métier, de la profession, alors que nous allons de plus en plus vers la catégorie particulièrement floue et insaisissable de « l’activité ». Donc à méditer sans aucun doute sur le disruptif annoncé par l’auteur.

Et pour finir, un clin d’œil à l’histoire. Jérémy Lamri écrit : « Une mauvaise orientation crée de la frustration, du mal-être social, des sentiments d’injustice, et des fractures sociales bien réelles. » et ceci serait à rapprocher » de l’affirmation d’Alfred Binet en 1908, créateur du test « Binet et Simon, premier test mondial sur l’intelligence mais aussi un des fondateurs d’orientation en France : « Nous pensons que dans ce domaine, on peut faire beaucoup pour améliorer les rapports des ouvriers et des patrons et pour aider à la solution de la question ouvrière, en avertissant les enfants, dès l’école, des professions pour lesquelles ils sont les plus aptes et en diminuant ainsi, par cette prophylaxie professionnelle le nombre des sujets mal adaptés qui deviennent nécessairement des déclassés, des malheureux ou des insurgés ».

Si le sens général peut sembler identique, une modification du sens de l’orientation a bien changé. Pour Binet l’orientation améliore la société et la protège alors que la préoccupation d’aujourd’hui serait le bien être de l’individu…

Bernard Desclaux

 

 

Dans mon survol des ressources électroniques, je suis tombé sur cet article sans doute à lire :

Dominique Lagase-Vandercammen et Jean-Pierre Boutinet, « Conditions d’émergence du projet personnel de l’étudiant au sein de situations d’apprentissage formel », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 30(2) | 2014, mis en ligne le 10 mai 2014, consulté le 06 août 2019. URL : http://journals.openedition.org/ripes/804

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This entry was posted on mercredi, août 7th, 2019 at 14:23 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

One Response to “La quête éternelle du sens de et en orientation. Commentaires à Jeremy Lamri”

  1. jeanmarie Quairel Says:

    Le regard de Jeremy Lamri est intéressant et je valide ses 5 pistes, notamment la « multiplication des expériences…. » et la « création d’un ordre des professionnels de l’orientation » . Quant à l’approche de A.Binet, avec tout le respect que je lui porte, elle est complétement dépassée et, mème pour son époque, elle est porteuse d’une idéologie qui « divise » et qui « exclue » . Comment défendre l’idée que certains puissent décider pour d’autres ce qui est bon pour eux ? C’est cette vision qui provoque « frustration et colère »…Le travail de Conseil que j’ai essayé de mettre en œuvre, avec d’autres, pendant 40 ans, lui était radicalement opposé: Son paradigme majeur, était la mise en situation d’expériences,réelles ou imaginaires,pour un sujet,et l’écoute de son rapport à ces situations. Après,seulement, une direction de formation pouvait surgir et un conseil être entendu….Si l’ensemble du système éducatif, ne met pas « l’expérience » au cœur des formations et n’accorde pas aux jeunes le pouvoir d’essayer et de se tromper, tout en transformant les modes d’évaluation, rien de fondamental ne changera, en matière d’Orientation ( plutôt « choix de formation » )et d’insertion.

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