J’ai signalé la thèse de Damien Canzittu intitulée « Vers une école réellement orientante. Penser l’orientation scolaire à l’aube du 21e siècle » dans mon article précédent et je vous incite à la lire[1]. Je m’engage ici dans un premier commentaire critique général. Vous trouverez dans un prochain article les remarques et précisions apportées par Damien Canzittu à ce premier papier.
Une école orientante
« L’école orientante » est une conception québecquoise que le gouvernement de la Belgique francophone a décidée d’introduire dans les établissements scolaires. Notons qu’en France cette conception est en particulier défendue par une association « Apprendre et s’orienter »[2]. Elle en propose une définition très simple sur cette page : « L’idée principale de l’approche orientante est que tout ce qui se passe à l’école, dès le primaire, y compris à l’intérieur des enseignements disciplinaires, doit concourir à l’orientation ». Mais notre gouvernement français est encore bien loin e vouloir l’appliquer.
Parmi toutes les définitions et reformulations proposées par Damien Canzittu nous relevons celle-ci :
« Dans ce sens, on ne parlera plus de conseil en orientation scolaire, mais bien d’une réelle éducation à l’orientation qui prend place durant toute la scolarité des élèves et qui vise à développer chez ceux-ci des compétences leur permettant d’opérer des choix (au niveau de leur cursus scolaire et in fine de leur future carrière) et d’être en mesure de s’orienter tout au long de leur vie (Paul & Suleman, 2005). » p. 24
Deux conceptions de l’expérience
Le gouvernement de la Belgique francophone s’est donc engagé dans une réforme profonde de son système scolaire en le réorganisant en partie et surtout en introduisant cet objectif d’une école orientante. On peut faire un parallèle avec le projet du ministère français de l’éducation à l’orientation (EAO) lancé en 1995 sous le ministère Bayrou, avec une grosse nuance. Le ministère belge a mis en place un accompagnement pour faciliter le changement. A partir du chapitre 3 de sa thèse, Damien Canzittu analyse la recherche-action, à laquelle il a participée, portant sur le suivi, l’encadrement et l’évaluation des projets d’implantation de l’approche orientante au sein d’écoles secondaires belges francophones. Cette recherche-action s’est déroulée pendant cinq ans, de 2009 à 2014 (p. 259). Elle fut commanditée par la Province de Hainaut et suivie par le ministère lui-même.
On est très loin de la conception française de l’expérimentation qui consiste surtout à … « laisser-faire ». Etant très impliqué dans la mise en œuvre de l’EAO dans l’académie de Versailles j’ai essayé de rendre compte des difficultés rencontrées en utilisant le concept d’innovation[3]. Plusieurs années après (à partir de 2013) le même problème s’est posé avec l’expérimentation dite de « l’orientation à la main des parents ». L’article 32 B nouveau du Projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République était ainsi formulé :
« À titre expérimental, pour une durée maximale de trois ans, dans des académies et des conditions déterminées par le ministre chargé de l’éducation nationale, la procédure d’orientation prévue à l’article L. 331-8 du code de l’éducation peut être modifiée afin qu’après avoir fait l’objet d’une proposition du conseil de classe et au terme d’une concertation approfondie avec l’équipe éducative, la décision d’orientation revienne aux responsables légaux de l’élève ou à celui-ci lorsqu’il est majeur. Cette expérimentation fait l’objet d’un rapport d’évaluation transmis aux commissions compétentes en matière d’éducation de l’Assemblée nationale et du Sénat. »
Finalement, deux rapports furent produits avec le constat que l’on pouvait attendre : un changement quasi-nul[4]. En France on pourrait dire qu’une expérimentation sert surtout à brûler une idée novatrice. Sans doute que cela correspond à une relation très particulière entre le ministère et les personnels, pourtant fonctionnaires. Un « accompagnement » serait sans doute perçu comme une tentative de manipulation des personnels très soucieux de leur liberté pédagogique.
Et c’est donc là un point que je regrette beaucoup concernant la thèse de Damien Canzittu, en sachant qu’il s’agit d’une thèse de psychologie et non de sociologie, ceci explique peut-être cela. On y trouve des analyses très poussées sur les représentations des différents acteurs impliqués, et l’évolution de celles-ci au cours de l’accompagnement. Mais je n’ai pas trouvé l’organisation, le fonctionnement de cet accompagnement. Sans doute pourtant diverses résistances ont dues se manifester. Les absences de réponses, signalées dans beaucoup de traitement des questionnaires, en sont sans doute les signes. Mais aucune analyse n’est proposée et c’est bien dommage à mes yeux.
J’aborderai d’autres « critiques » dans d’autres articles.
Bernard Desclaux
[1] On peut en prendre connaissance et télécharger la thèse avec l’adresse suivante https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02280760/document
[2] L’auteur y fait régulièrement référence et notamment au livre de Quiesse, J.-M., Ferré, D., & Rufino, A. (2007). L’approche orientante, une nécessité. Tome I et II. Oser l’approche orientante, pourquoi ? Paris: Qui plus Est.
[3] Bernard Desclaux : « L’éducation à l’orientation en tant qu’innovation » in Perspectives documentaires en éducation, n°60, 2003 pp. 19-32 (parution mars 2005). http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/perspectives-documentaires/RP060-3.pdf
[4] Orientation : le retour de l’expérimentation
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2013/05/29/orientation-le-retour-de-lexperimentation/
Expérimentation des procédures d’orientation en troisième
L’orientation à la main des parents, une si bonne idée ?
Orientation : jeux de mains…
https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/02/04/orientation-jeux-de-mains/
École Orientante ou EAO n’ont de sens que si les décisions d’orientation sont prises par les intéressés, élèves et parents. Sinon, elles confortent le système et peuvent s’apparenter à de la manipulation . La seule expérimentation qui pouvait déboucher sur un changement réel de paradigme a été sabotée par les acteurs institutionnels : Les résistances au changement sont massives dés que l’on veut toucher au pouvoir ultime des élites : Celui de décider de la vie des gens.