Laure Endrizi vient de publier « Orientation scolaire : une compétence à partager dans un paysage “refondé” ? » le 19 septembre 2019 sur l’excellent site Eduveille de l’IFE. Il s’agit d’une mise en perspective du transfert de la responsabilité de l’orientation scolaire et professionnelle aux régions, ce qui permet sans doute de mieux situer le rapport dit « Charvet ». Je vous en conseille la lecture. En examinant l’histoire récente du domaine de l’orientation scolaire et professionnelle Laure Endrizzi abouti à l’idée que « le positionnement des régions comme chef de file de l’orientation « scolaire et professionnelle » […] fait figure de dénouement probable.
Je propose ici simplement quelques remarques.
A l’origine
Le point de départ de cette histoire proposé par Laure Endrizzi serait la Loi relative à l’orientation et la formation tout au long de la vie et donc à la création du Service public d’orientation (SPO). La remontée historique dans une mise en perspective est toujours problématique. Il faut bien l’arrêter à un moment ! Je me risquerais donc à proposer une autre « borne », discutable sans doute elle aussi.
Dans une série d’articles de ce blog intitulée « Le CIO, un dispositif ou un service à la personne » qui abordait notamment la question de la régionalisation des services, je remontais un cran plus haut, six ans avant avec la modification de la Constitution par la Loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. A cette occasion les personnels d’orientation avaient reçus « une lettre de licenciement » leur annonçant un transfert aux régions.
J’ai proposé un analyse de ce moment dans un de ces articles[1]. Je ne vais pas reprendre cette analyse ici. Mais cette loi a posé le cadre du transfert de différentes responsabilités aux régions avec notamment la notion de subsidiarité. Mais surtout la tentative violente concernant les conseillers d’orientation-psychologues a créé un sentiment de suspicion envers toutes modification de fonctionnement des services. Ajoutons que la relation aux Régions s’en ait également touchée.
Et l’Europe
Donc Laure Endrizzi commence avec la Loi relative à l’orientation et la formation tout au long de la vie de 2009 qui inscrit un droit à l’orientation dans le code du travail et dans celui de l’éducation et instaure le « service public de l’orientation » (SPO) avec pour horizon une orientation pour tous et tout au long de la vie. Elle remarque qu’il n’est pas question alors de régionalisation des services.
En fait cette loi est une application d’une résolution du Conseil de l’Europe de novembre 2008 l’Europe, « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie » 2905ème session du Conseil ÉDUCATION, JEUNESSE et CULTURE Bruxelles, le 21 novembre 2008.
Si pour Laure Endrizzi « Avec cette loi, l’orientation change clairement d’échelle, faisant pour la première fois l’objet d’une action publique propre. » deux autres points sont à relever. La question de la coordination des divers services d’orientation en France, particulièrement nombreux et séparés, est posée, et derrière celle de la responsabilité du pilotage de ce dispositif « national ». L’autre point serait la conception de l’orientation en tant que « aide aux personnes » et non plus en tant qu’autorité sur les personnes.
Le prix de la liberté, la fabrication de la documentation
L’histoire abouti pour le moment au vote de la loi de 2018 et au rapport dit « Charvet ». « Avec la Loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel la boucle est bouclée : l’information sur les formations et les métiers auprès des élèves, étudiants et apprentis devient clairement une prérogative des régions, fragilisant dès lors la position des personnels des CIO (menacés de fermeture ?) et celle des délégations régionales de l’ONISEP (menacées d’être rattachées aux régions plutôt qu’aux rectorats ?). » J’ai pour ma part beaucoup écrit sur ces deux textes sur ce blog. Je propose donc simplement une thématique sur laquelle j’ai peu écrit.
Dans l’excellente présentation du rapport Charvet que propose Laure Endrizzi je relève le point 2 :
« confier aux régions, dans la lignée du SPRO, la coordination des acteurs (publics mais aussi privés) implantés sur le territoire – via l’ouverture potentielle d’une agence ou maison dédiée (guichet unique ?) – en vue de produire une documentation régionale de qualité sur les formations et les métiers et de diffuser cette information dans les établissements scolaires (selon des modalités définies dans le schéma régional à la base de la contractualisation avec les Académies). »
La question de diffusion de l’information ne me semble pas particulièrement problématique. Elle suppose bien sûr quelques arrangements entre les différents acteurs. Par contre la « production » de la documentation est sans doute plus délicate. Et pour une question très peu discutée à ma connaissance.
Une partie de cette documentation concerne la mise à jour de l’offre de formation et des documents transmis aux familles pour préparer les demandes de formations et d’établissement au troisième trimestre. Jusqu’à présent c’était le personnel de la DRONISEP qui s’en occupait. Cela peut paraître simple. Il suffit de demander aux établissements leurs formations proposées et le nombre de places à disposition. Sauf que, si la première information semble simple à obtenir (j’y reviendrais) la deuxième a toujours posée problème et est objet de conflits entre le rectorat et les établissements. Derrière cela il y a la question : qui a le dernier mot en matière d’affectation. Connaître ou cacher des places disponibles est un enjeux. Cette tension a sans doute été largement annulée avec l’informatisation des échanges de données entre les établissements et le rectorat. Reste donc la seconde information concernant l’existence des formations.
Dans les documents remis aux familles au cours de l’année de troisième pour préparer la suite on trouve une toute petite indication formulée ainsi pour cette année 2018-2019 :
ATTENTION
Les informations contenues dans ce guide sont établies à la date du 11 février 2019. Consultez régulièrement le site onisep.fr pour les mises à jour.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’à cette date, la carte académique des formations n’est pas encore arrêtées faisant l’objet de nombreux arbitrages entre le rectorat, les établissements et … la région, responsable de la carte des formations professionnelles. Le déplacement des personnels de la DRONISEP à la Région ne va en rien améliorer et résoudre ce petit problème.
Si l’information des personnes est un enjeux pour permettre d’exercer leur liberté de décider, il n’en reste pas moins que la production de cette information est le plus souvent conflictuelle, chaque organisme cherchant à « maîtriser » son information, jonglant entre publicité, réputation, et transparence. En quoi la régionalisation peut-elle modifier ce conflit ?
Bernard Desclaux
[1] Le CIO, un dispositif ou un service à la personne VII https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/08/07/le-cio-un-dispositif-ou-un-service-a-la-personne-vii/