Je reprends la lecture critique de la thèse de Damien Canzittu « Vers une école réellement orientante. Penser l’orientation scolaire à l’aube du 21e siècle ». A la fin de l’introduction de sa thèse l’auteur affirme : « L’école orientante se démarque de la conception toujours présente de l’orientation comme un instrument de gestion des flux d’élèves. Les effets attendus par une intégration d’une approche orientante sont, entre autres, une diminution (1) de la sélection académique qui entraîne un regroupement des élèves sur la base de leurs performances scolaires et (2) des effets ségrégatifs liés aux parcours scolaires et caractéristiques socio-économiques. » (pp. 20-21).
N’y aurait-il qu’une différence entre l’école orientante et la gestion des flux. Suffirait-il que l’une se développe pour diminuer l’autre ?
Evolution ou conflit ?
Quelle est la perspective historique de l’auteur ? On la trouve d’amblée dans le premier chapitre (pp. 23-142) et dans la partie « Évolution du concept d’orientation » qui commence par :
« Le terme orientation est, comme le soulignent Guichard & Huteau (2005), assez ambigu. En effet, alors qu’au début du XXe siècle, l’orientation ne désignait qu’ « une démarche reposant sur une investigation de nature psychologique et visant à favoriser la transition de l’école à l’emploi » (Guichard & Huteau, 2006a, p. 3), elle concerne également aujourd’hui l’adulte et son cheminement personnel et professionnel. » (p. 23)
Suit la définition européenne de l’orientation en tant qu’une aide aux personnes.
Et la déduction immédiate de l’auteur est :
« L’orientation se définit donc par la faculté des individus à prendre des décisions réfléchies quant à leurs choix de carrière. » (p. 24) et s’appuyant sur les meilleurs auteurs en la matière il ajoute : « Comme le précisent Guichard, Forner, & Danvers (2000), l’orientation doit être comprise comme une aide apportée à l’individu lui permettant de se déterminer qui a comme principe le développement de son autonomie. Dans ce sens, on ne parlera plus de conseil en orientation scolaire, mais bien d’une réelle éducation à l’orientation qui prend place durant toute la scolarité des élèves et qui vise à développer chez ceux-ci des compétences leur permettant d’opérer des choix (au niveau de leur cursus scolaire et in fine de leur future carrière) et d’être en mesure de s’orienter tout au long de leur vie (Paul & Suleman, 2005). » (p. 24)
Le point de vue d’origine de l’orientation est donc « bienveillant » et sa portée passe de l’enfant-élève à l’ensemble de la vie.
La deuxième partie de ce premier chapitre portant sur les Théories de l’orientation (p. 32) est très importante car elle présente un panorama très intéressant de ces théories que je vous engage à lire avec attention.
Mais voilà, ce panorama porte sur une épaisseur historique bien fine, les 25 dernières années. Ce point de vue est assez pratique à mon point de vue car il permet en fait de ne pas prendre en compte les conflits et combats qui se sont menés depuis le début du siècle précédent entre des objectifs à l’orientation non pas différents mais opposés. Dès le début de cette histoire, il y avait les tenants d’une orientation autoritaire sur autrui, basée sur le savoir sur l’autre assuré par la science, lui permettant une insertion positive dans le travail. L’autre camp concevait l’orientation comme une aide aux personnes leur permettant un développement heureux dans la société[1].
Ce faisant on peut alors raconter l’histoire comme une évolution douce, la démarche éducative étant l’aboutissement de celle-ci.
Mais pour effacer ces conflits il faut également éliminer un autre problème, celui concernant…
Les règles de circulation dans les systèmes
Ce panorama des théories de l’orientation est constitué des théories « générales », celles qui s’adressent à tout public. Même dans les théories se basant sur le développement de l’enfant on ne trouve aucune référence au fonctionnement scolaire. Elles se présentent bien comme des théories « psychologiques » n’ayant aucun rapport avec l’environnement social.
Le modèle sous-jacent à l’ensemble de ces théories serait celui du contrôle de soi par soi. Deux exemples parmi les très nombreuses théories rapportées dont je vous encourage néanmoins à lire la présentation faite par l’auteur :
« Malgré ces trois confirmations manquantes, la théorie de Gottfredson a mis en avant la pertinence d’investiguer les choix vocationnels des individus dès leur enfance, ceux-ci se construisant sur les premières expériences et le développement du soi, et notamment au niveau des restrictions ou des éliminations de professions effectuées par la personne et des élargissements envisageables. Gottfredson a recommandé que les conseillers en orientation aident les personnes à développer un large éventail d’expériences afin d’être en mesure de découvrir leurs intérêts, leurs valeurs et leurs capacités personnelles. Les conseillers en orientation peuvent dès lors aider les individus à apprendre non seulement à se construire, mais également à modifier leur environnement pour faire ressortir leurs qualités et leurs traits de caractère (Cavallaro, 2009). » (p. 75)
« Un intérêt tout particulier de la théorie de Tiedeman, O’Hara et Miller-Tiedeman est la considération selon laquelle c’est la personne qui construit elle-même son processus de choix professionnel et que dès lors, l’individu est le « narrateur de sa propre histoire en évolution. … La théorie n’est pas séparée de l’expérience. La théorie ne fait que refléter l’histoire de l’expérience de quelqu’un » [Miller-Tiedeman (1999, p. 52) cité par Patton & McMahon (2014, p. 86)]. » (p. 78)
Aucune indication du contexte de fonctionnement de l’orientation des élèves dans les systèmes éducatifs où ces théories fonctionnent ! On pourrait ajouter « et pour cause », ces théories sont pour l’essentiel des théories concernant la carrière des individus adultes. Elles concernent les adultes et elles restent « hors-sol », totalement indépendantes et insensibles aux contextes de l’organisation du travail et du marché réel.
Bernard Desclaux
[1] J’ai abordé cette idée dans divers articles sur ce blog.
« Apprendre à s’orienter, d’hier à aujourd’hui (IV), ou la déconstruction de l’autorité sur autrui »
« Psychologie, orientation, éducation 9 : Premier conflit, le cas Pierre Naville »
« Psychologie, orientation, éducation 10 : Deuxième conflit, H. Piéron vs A. Léon »
… »Dans ce sens, on ne parlera plus de conseil en orientation scolaire, mais bien d’une réelle éducation à l’orientation qui prend place durant toute la scolarité des élèves et qui vise à développer chez ceux-ci des compétences leur permettant d’opérer des choix « .
Si je comprend bien, cette conception part du principe que les cadres institutionnels existants, les « vérités » du moment sont essentiellement indiscutables et s’inscrivent nécessairement dans la durée. De mon point de vue il s’agit essentiellement d’une inféodation à l’idéologie dominante à un moment donné, idéologie supposée pérenne. Le jeune, la personnes sont considérés comme des algorithmes qu’ils faut formater.
Prenons l’exemple de l’agriculture. Dans les années 60 on nous a vendu l’agriculture productiviste comme une nécessité incontournable qui mobilisait toute les ressources de la chimie et un gigantisme de la mécanique agricole en même temps qu’un gigantisme des superficies agraires. Aujourd’hui, peut-on parler de la pérennité d’un tel modèle dont les effets sont dévastateurs pour l’écosystème?
Dans les années 50-60, la Basse-Bretagne s’est emparée du système éducatif comme d’un outil de promotion et d’ascension sociale, stimulée à la fois par les faibles perspectives de développement local et la nécessité d’aller voir ailleurs. En 1971, j’avais pu mettre en évidence que pour qu’un département comme La Manche soit aussi performant que le Finistère il lui aurait fallu doubler les effectifs scolaires s’engageant dans des études de caractères scientifiques et techniques. Faut-il enfrmer les jeunes dans des perspectives régionalistes où leur donner les moyens d’aller voir éventuellement très loin et de viser très haut même s’il n’y a pas sur place de débouchés assurés?
Faut-il laisser des institutionnels décider de la qualité des mentalités permettant de réussir dans un endroit donné ou, au contraire stimuler un développement tout azimut qui prenne appuis sur le dynamisme des populations?