« Viser plus haut » avec Terra Nova

Un nouveau rapport du Think-tank « Terra-Nova vient d’être publié ce 2 octobre 2019 : « Viser plus haut » : de nouvelles ambitions pour démocratiser l’enseignement supérieur, rédigé par Martin Andler, Daniel Bloch, Jules Donzelot, Constance Hammond, Guillaume Miquelard-Garnier , Martin Richer, Arnaud Thauvron. Il propose un ensemble de mesures que nous allons parcourir rapidement, et je vous conseille d’en lire les 40 pages. Je proposerais ensuite quelques remarques générales.

Constat et propositions

Au départ un constat sans doute largement partagé :

« La massification de l’enseignement supérieur dans les soixante dernières années s’est accompagnée, bien sûr, d’une démocratisation, mais celle-ci reste inaboutie et, dans une certaine mesure, illusoire car l’enseignement supérieur est de plus en plus stratifié. Dans les institutions les plus prestigieuses, les enfants des classes supérieures dominent, alors que ce sont les enfants d’origine socialement défavorisée qui peuplent les filières courtes. Si cette situation est observable dans la plupart des autres systèmes d’enseignement, elle est particulièrement marquée dans notre pays, où elle entraîne des conséquences particulièrement graves dans la mesure où le diplôme acquis en formation initiale possède chez nous une valeur symbolique plus pesante que dans beaucoup d’autres pays et détermine plus fortement qu’ailleurs les trajectoires professionnelles. » p. 1

Et donc des propositions s’en suivent.

« Nous proposons dans ce rapport, qui ne concerne que l’enseignement supérieur mais tout l’enseignement supérieur, cinq séries de mesures ambitieuses en faveur d’une réelle démocratisation des études postbac, ordonnées de manière chronologique.

  • Mesures I: Développer et rendre plus cohérentes les actions destinées aux jeunes scolarisés de milieux défavorisés pour leur faire comprendre l’intérêt des études supérieures et leur donner l’envie de s’y engager.
  • Mesures II: Faire de Parcoursup un outil pour la démocratisation de l’accès au supérieur.
  • Mesures III : Diversifier l’offre de formation et mieux accueillir dans l’enseignement supérieur.
  • Mesures IV: Ouvrir socialement les formations les plus sélectives.
  • Mesures V: Soutenir l’accès des adultes aux études supérieures. » (p. 9)

 

La Mesure I

Il s’agit de DEVELOPPER ET COORDONNER LES PROGRAMMES INCITATIFS DESTINES AU PUBLIC SCOLAIRE, et les actions ne portent pas sur l’enseignement supérieur (ou tertiaire comme on devrait dire) mais sur les étages antérieurs et leurs publics.

Premier objectif :  DEFINIR UNE POLITIQUE GLOBALE ET STRUCTUREE DE PROMOTION DE L’EGALITE SOCIALE D’ACCES AUX ETUDES POSTBAC A DESTINATION DES JEUNES SCOLARISES. Le programme britannique « Aimhigher», dont la traduction est justement « viser plus haut » est présenté, sans doute par Jules Donzelot[1] et proposé comme une inspiration possible de cette politique. « Le principe était de faire se rencontrer, le plus tôt et le plus souvent possible, les élèves du primaire et du secondaire, ainsi que leurs parents, avec le monde de l’enseignement supérieur, celui de la recherche scientifique et celui de l’emploi: aller vers les élèves, leur «tendre la main». » (p. 13) Le programme britannique est décrit dans un encarté aux pages 13-14.

Par ailleurs il faut DEVELOPPER UN PARCOURS D’INCITATION ET D’ORIENTATION DE L’ECOLE PRIMAIRE JUSQU’AU BACCALAUREAT. Beaucoup d’actions sont proposées, certaines déjà mises en œuvre en France telles les Cordées de la réussite, ou des actions de mentorat qu’il faudrait généraliser.

La réforme du lycée « est en même temps une chance et un risque du point de vue de la démocratisation » (p. 21) Il faut donc CONTROLER L’IMPACT DE LA REFORME DE L’ORGANISATION DU LYCEE GENERAL. Une mesure essentielle : « Les lycées doivent être très attentifs aux choix de leurs élèves, et notamment à amortir autant que possible leurs effets discriminatoires qu’on ne mesure pas complètement, mais dont on perçoit déjà certains signes, par exemple sur le poids du genre dans le choix des spécialités. » (pp. 21-22) Un appel à la bonne volonté mais cette fois-ci, celle d’une partie de ses personnels de l’Education nationale.

Le dernier axe rassemble DES ACTIONS SUR MESURE POUR DES PUBLICS SPECIFIQUES envers les territoires ruraux, les publics fragiles, les candidats aux baccalauréats technologique et professionnel, et des actions en direction des filles.

Donc pas de modifications structurelles du secondaire, mais un ensemble d’action très larges visant à modifier les représentations, à accompagner et soutenir les élèves marqués par les inégalités sociales ou des caractéristiques réduisant leur chance de parvenir avec de bonnes conditions le supérieur.

Les autres mesures

Dans la MESURES II : FAIRE DE PARCOURSUP UN OUTIL AU SERVICE DE L’EQUITE D’ACCES (p. 24), plusieurs évolutions et modifications sont évoquées et notamment le TRAITEMENT SOCIAL DES CANDIDATURES DANS PARCOURSUP (p. 25). Après avoir rappelé « l’innovation importante et positive de la loi ORE sur l’orientation et la réussite des étudiants : des quotas de boursiers accueillis dans chaque formation sont définis par les recteurs en concertation avec les responsables d’établissement. »p. 25), une autre piste est proposée : « Il importe que, lors de l’évaluation des dossiers, une « contextualisation sociale des candidatures » trouve sa place : l’origine sociale des candidats devrait systématiquement être prise en compte par les évaluateurs des dossiers. » (p. 26) « Prendre en compte », mais de quelle manière ? Qui doit prendre en compte, selon quels critères ? Actuellement, avec les éléments d’identification actuel (lycée d’origine entre autre), beaucoup de candidats se plaignent d’une discrimination négative.

 

La Mesures III : Diversifier l’offre de formation et mieux accueillir dans l’enseignement supérieur part du constat que « La complexité de notre système n’en facilite pas une bonne appropriation par ceux qui ne font pas partie des initiés » (p. 27) et surtout que les milieux populaires sont largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur[2]. Par ailleurs, les objectifs des diplômes (BTS et DUT) ne sont pas atteints et même détournés. Afin de modifier leur attrait pour les publics visés, ces diplômes professionnels devraient permettre d’atteindre un niveau licence par l’accès à une troisième année (rappelons que la France n’applique toujours pas le principe du LMD).

Il faudrait également modifier très profondément la pédagogie, l’accueil et l’accompagnement des étudiants défavorisés car « L’organisation actuelle est en effet encore largement empreinte d’une philosophie darwinienne, libérale au sens le plus classique, mais qui est loin d’être rejetée par la corporation universitaire : un étudiant doit avoir sa chance, à lui de la saisir, et tant pis pour lui s’il n’y parvient pas ! » ‘p. 32)

Une mesure structurelle proposée concerne les enseignants du supérieur : « Si l’enseignement frontal cesse d’être la norme de référence pour le travail d’enseignement des universitaires, s’il y a de la direction d’études, du tutorat, du mentorat, des colles, plus d’encadrement du travail personnel, allant des corrections de copies à la direction de projets étudiants, il faut que le nombre d’heures d’enseignement traditionnel cesse aussi d’être la norme pour leurs obligations de service en matière d’enseignement, tout le reste étant déterminé par rapport à la monnaie spécifique des «heures équivalent TD» dont chaque enseignant-chercheur est redevable chaque année de 192. Si l’on veut que plus d’universitaires s’investissent dans des projets pédagogiques innovants, il faut que la progression de carrière ne dépende plus principalement de la recherche et qu’existent des primes spécifiques liées à ces projets pédagogiques. » (p. 35) N’en serait-il pas de même pour tous les enseignants ?[3]

Le rapport propose de créer deux catégories supplémentaires de bourses sur critère social :

  • Étudiants qui choisissent les disciplines dans lesquelles il n’y a pas suffisamment de diplômés par rapport aux besoins de main-d’œuvre.
  • Jeunes de milieux défavorisés à fort potentiel. (p. 36)

« Parmi les outils dont l’État dispose, trois sont particulièrement importants : les quotas, les incitations financières pour les établissements, l’effet d’une transparence sur les politiques des établissements. Les trois doivent être mis en œuvre. » (p. 37)

MESURES IV : OUVRIR SOCIALEMENT L’ACCES AUX MASTERS ET AUX ECOLES

La poursuite immédiate d’étude après le niveau licence est également fortement marquée socialement, notamment pour des raisons économiques (p. 40). Pourtant la majorité des recommandations du rapport concernent des modifications des modalités d’accès.

MESURES V : DEMOCRATISER AUSSI LA FORMATION CONTINUE ?

« Pour remettre l’ascenseur social en marche, il ne faut pas se limiter à la formation initiale. C’est tout au long de la vie que se forment aujourd’hui les travailleurs et, alors que des budgets considérables sont consacrés nationalement à cet effort, l’effet tend plutôt à aggraver les disparités initiales, et l’offre universitaire peine à y trouver sa place. » (p. 44)

Pour ce faire « Quatre chantiers apparaissent de ce point de vue prioritaires, qui la plupart requièrent un travail engageant l’État et ses différents ministères ESRI, Travail, Éducation, les établissements ESR, les régions et les branches professionnelles. » (p. 47). Voir le déroulé de ces propositions pages 48-49.

Et ces dernières propositions clôturent ce rapport.

Un nouveau paysage de l’orientation en France

La réflexion à propos de l’organisation de notre orientation en France est originale dans ce rapport qui  s’attaque à un défaut général de notre société : les inégalités sociales. Ce rapport participe au nouveau paysage qui s’installe en France depuis la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel qui attribue aux régions la compétence « orientation » :

  • Un cadre national de référence entre l’État et Régions de France[4] a été publié
  • Le rapport dit « Charvet » propose les évolutions interne à l’Education nationale nécessaires à ce nouveau contexte, et notamment une réorganisation de la structure rectorale.
  • Le rapport de Terra-Nova cherche surtout donner un sens politique à ces évolutions : la lutte contre les inégalités sociales. Il introduit également un troisième partenaire pourrait-on dire, la société civile.

Reste que les régions ne semblent pas particulièrement heureuses et prêtes à s’occuper de l’orientation et que pour le moment aucune décision n’est prise sur l’interne de l’EN et de la réorganisation nécessaire du rectorat.

 

Le point aveugle me semble-t-il concerne l’orientation scolaire proprement dite qui se trouve écartée d’emblée ainsi que la structuration de notre système primaire-secondaire.

Quand est-ce que cette question sera réellement abordée ? On a tenté en France d’augmenter l’accompagnement (et depuis très longtemps) mais sans modifier réellement le principe de l’autorité sur autrui (élève et famille). et du coup l’accompagnement se transforme en « persuasion »[5]. On a tenté de modifier l’objectif du collège avec le socle, mais sans supprimer les procédures en fin de troisième. On a tenté de réduire les redoublements et le ministère actuel en a rétablit le principe, et pas seulement[6].

Pour résumer, sans modifications structurelles de notre collège ou pourrait laisser croire que les inégalités observées à l’entrée de l’enseignement supérieure ne sont produites que par un défaut de motivation des élèves eux-mêmes !

 

Bernard Desclaux

[1] Voir Jules Donzelot « Parcoursup ouvre la question de la démocratisation des études post-secondaire » https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/06/08/parcoursup-ouvre-la-question-de-la-democratisation-des-etudes-post-secondaire_5311564_4401467.html

[2] Voit L’observatoire des inégalités : « Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur » https://www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur?id_theme=17

[3] Voir mon argumentaire pour le CESE « Les chantiers de l’orientation, suite » https://www.cahiers-pedagogiques.com/Les-chantiers-de-l-orientation-suite

[4] Mon commentaire de celui-ci : « Le régalien, le cadre et la conception » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/05/28/le-regalien-le-cadre-et-la-conception/ et « Le cadre et le partage des territoires de l’orientation » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/06/05/le-cadre-et-le-partage-des-territoires-de-lorientation/

[5] Penser à l’expérimentation du choix donné aux familles cf. « Orientation : jeux de mains… » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/02/04/orientation-jeux-de-mains/

[6] « Vers de nouvelles procédures ? » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/02/23/vers-de-nouvelles-procedures/

This entry was posted on mardi, octobre 8th, 2019 at 10:03 and is filed under Orientation, Système scolaire. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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