A la fin de la période commentée dans l’article précédent, les conseillers d’orientation de 70 deviennent vingt ans après des conseillers d’orientations-psychologues (avec toute l’ambiguïté du trait d’union[1]). Depuis 2003, que s’est-il passé après l’échec, du point de vue du Ministère, de la tentative de se défaire des personnels d’orientation et du réseau des CIO ? La politique ministérielle de renforcement du rôle des établissements se poursuit et deux politiques interministérielles démarrent.
Une politique ministérielle
La poursuite de l’attribution de l’aide à l’orientation aux établissements et à ses personnels s’est accentuée. Cette direction n’est pas neuve. On peut dire qu’elle avait débutée, du point de vue du ministère, avec la volonté de créer des professeurs-conseillers en 68.
Avec la suppression de l’examen d’entrée en sixième, puis la réforme Berthoin, le rôle de l’orientation scolaire est largement débattu, y compris en haut lieu. Francis Danvers analyse cette période[2] qui culmine en 1968 avec le projet Laurent. Je résumais la période de ce projet[3] ainsi : « C’est donc dans ce contexte qu’un nouveau projet concernant l’organisation de l’orientation se fait jour à partir de 1965[4]. Le CES[5] est créé, ce qui va unifier le premier cycle du secondaire. Le Plan évalue quantitativement et qualitativement les besoins en formation à l’horizon 1971. L’orientation vers des voies différenciées (professionnelles, techniques, générales) se situe à l’issue de la troisième. Pour assurer ce fonctionnement on considère qu’une information des élèves doit être particulièrement développée, et en même temps un dispositif administratif « inter district » pour gérer l’orientation et l’affectation doit être créé. Aussi le projet « Laurent » (1967) prévoit la création de cinq acteurs : le chef de service académique d’orientation, le directeur de centre d’information et d’orientation, le professeur-conseiller, le conseiller psychologue, le conseiller en éducation professionnelle. Les conseillers d’orientation vont donc voir leurs activités réduites par la création des deux autres acteurs. Les premières formations de professeurs-conseillers sont prévues à Paris en mai 68. La grève de la SNCF empêche ce premier regroupement, et les « évènements de 68 » annulent tous les projets antérieurs. »
Avec la création de l’Etablissement public local d’enseignement (l’EPLE) et du projet d’établissement dans le milieu des années 80, le cadre administratif est posé pour attribuer à l’entité établissement des fonctions très générales comme l’information ou l’aide à l’orientation sans passer par l’élaboration de programmes précis attribués à des acteurs parfaitement identifiés. Au milieu des années 90 avec le thème de l’éducation à l’orientation une nouvelle étape débute. Après 2003, cette direction est poursuivie avec en parallèle un renforcement du rôle notamment des professeurs principaux dans le processus des procédures en rendant obligatoire des entretiens auprès des élèves et généralisant l’utilisation du terme « accompagnement ».
Deux politiques interministérielles
L’éparpillement et la multiplicité des organismes d’orientation en France sont de plus en plus pointés. Coordonner, mutualiser deviennent le leitmotiv de la réflexion en ce domaine qui débouche sur le Service public d’orientation (SPO) dans un premier temps puis le Service public régional d’orientation (SPRO). J’ai commenté au fur et à mesure différentes étapes de cette élaboration dans de nombreux posts sur ce blog que vous retrouverez avec les mots clés SPO et SPRO. Ce qu’il faut remarquer dans cet objectif, c’est la volonté de développer la fonction de service aux personnes à l’ensemble des organismes d’orientation. Cette politique[6] est menée tant par des gouvernements de droite que de gauche mettant ainsi en œuvre la directive européenne concernant l’orientation considérée comme un besoin tout au long de la vie, ainsi qu’un service aux personnes.
Une autre politique interministérielle s’est développée, celle concernant les décrocheurs. Dans la première il s’agit de s’adresser à l’ensemble du public alors que dans la deuxième on cherche à cibler une toute petite partie de la population. Ainsi, à partir de 2009 le gouvernement lance une autre démarche interministérielle. « Le plan Agir pour la jeunesse, annoncé par le président de la République le 29 septembre 2009, fait de la lutte contre le décrochage une priorité nationale et invite les acteurs de l’éducation, de la formation et de l’insertion des jeunes à agir ensemble, au sein de plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs. Il renforce le rôle de pivot des missions locales dans l’accompagnement des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle et articule leurs objectifs propres avec le partenariat mis en place pour la lutte contre le décrochage scolaire. »[7]
Dans le neuvième article de ma série Le CIO, un dispositif ou un service à la personne[8], où je décrivais cette politique concernant les décrocheurs, je proposais cette conclusion : « Ainsi durant la même période, deux politiques interministérielles engageaient les différents services d’orientation dans des positionnements inverses. Dans le cadre du SPO, ils devaient se mettre au service de la demande des personnes. Mais dans le cadre des plates-formes et de la lutte contre le décrochage, ils devaient intervenir sur les personnes, les contacter, les solliciter, les évaluer, leur attribuer des droits, etc. »
Dans un prochain article nous poursuivrons l’examen des ambiguïtés concernant les personnels d’orientation de l’Education nationale.
Bernard Desclaux
[1] J’écrivais dans « Un sombre avenir pour les COP » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2016/01/04/un-sombre-avenir-pour-les-cop/ : « Dans « conseiller d’orientation-psychologue », c’était le trait d’union qui avait été utilisé, semblant indiquer deux entités distinctes, et donc deux rôles différents : en tant que « psychologue », il ne s’occupe pas toujours d’orientation, et en tant que conseiller d’orientation, il n’est pas toujours psychologue. Si le nom avait été « conseiller d’orientation psychologue », ou psychologue conseiller d’orientation », le sens aurait été différent. »
[2] Francis Danvers, LES EVENEMENTS DE « MAI-JUIN 1968 » ET L’ORIENTATION SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE : UNE QUESTION DE SENS, TransFormations n°3/2010 – p. 97/p. 120 http://www.trigone.univ-lille1.fr/transformations/docs/tf03_a06.pdf
[3] Bernard Desclaux, Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673, Bernard Desclaux et Rémy Guerrier (ed) du n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003.
[4] L’évolution de ce projet est décrite dans le livre d’André Caroff : L’organisation de l’orientation des jeunes en France, évolution des origines à nos jours, Editions EAP, 1987, pp. 181-188.
[5] CES : collège d’enseignement secondaire.
[6] J’ai rassemblé sur cette longue séquence du Service public d’orientation (SPO) dans le huitième article de ma série : « Le CIO, un dispositif ou un service à la personne » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/08/13/le-cio-un-dispositif-ou-un-service-a-la-personne-viii/
[7] Lutte contre le décrochage scolaire. Organisation et mise en œuvre des articles L. 313-7 et L. 313-8 du code de l’Éducation NOR : MENE1101811C circulaire n° 2011-028 du 9-2-2011 MEN – DGESCO http://www.education.gouv.fr/cid54962/mene1101811c.html
[8] Le CIO, un dispositif ou un service à la personne IX https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/08/20/le-cio-un-dispositif-ou-un-service-a-la-personne-ix/
Ce résumé succinct permet de mettre en évidence l’évolution de la logique d’État. Elle ne rend pas compte de la dialectique de terrain. Par exemple, en ce qui concerne l’intervention des conseillers d’orientation dans le premier cycle il ne faut pas perdre de vue que l’intervention dans l’école primaire élémentaire des Conseillers d’Orientation Professionnelle avait de plusieurs années précédé les textes officiels.
Comment préparer une sortie de l’école élémentaire axée sur une visée à long terme si on n’intervient pas en amont? A cette époque la mentalité dominante dans les milieux populaires était encore largement dominée par des problématiques de court terme. C’est ainsi que l’intervention en CM2 s’est imposée aux Conseillers d’Orientation Professionnelle, alors que cette idée était totalement étrangère à l’institution? a cette époque on en était encore globalement à l’idée de la « révélation » part les « tests ». Le modèle taylorien de la sélection par les « aptitudes » pour une adaptation supposée, à un poste de travail ou à une tâche prévalait institutionnellement. La dialectique éducative du développement d’Henri Wallon n’était institutionnellement considérée que comme une théorie à la marge.
Pourtant dans la même période on créait les INSA. On recrutait des non-bacheliers pour en faire des ingénieurs. La sélectivité de « l’école » apparaissait comme une erreur. L’expansion économique avait besoin de « têtes » et pas seulement de « bras ». Telle était la réalité de la fin des années 1950. La réforme Fouchet ne faisait qu’en tenir compte mais ce sont les « praticiens » qui, d’expérience, savaient le mieux comment traiter les problèmes.
Une fois la nouvelle organisation du système éducatif mise en place, au début de 1968, l’État a tenté de reprendre la main mais à la faveur du mouvement ce projet a échoué. C’est à cette période qu’à véritablement émergé le concept de « projet personnel » qui faisait suite à la généralisation de l’accès au collège pour tous les jeunes. L’idée sous-jacente était d’inscrire la préparation de l’avenir du jeune par un cheminement. Le passage d’une conception de court terme à une conception de long terme. C’était un positionnement de « praticien » pas de l’administration.
Quand avec la financiarisation de l’économie le chômage s’est développé, l’institution est parvenue imposer à nouveau le primat de la sélection. A partir de cette période les rapports entre les familles et le système éducatif qui s’étaient relativement développés à la fin des années 1950 ont commencé à se distendre à nouveau. Ceci est apparu dans un contexte où la haute administration d’État est apparue comme le véritable instrument du pouvoir. Ce qui se passe aujourd’hui n’en est que l’aboutissement.
Le positionnement des conseillers, des enseignants, des parents et les rôles de chacun , auraient été beaucoup plus clairs s’il avait été décidé, au moment de la création du SPO, d’attribuer une fois pour toute le « dernier mot aux familles » en matière de décision d’orientation…Et ce sont les acteurs de terrain qu’étaient les COP, qui auraient du porter cette nécessité absolue, pour que ce qui se joue au moment d’un choix d’orientation, ne soit pas biaisé et arbitraire. Le SPO aurait pu s’appeler SPAO ( aide à l’orientation ) et les CIO , CICO ( information et Conseil en Orientation )…Les COP devenant des PsyCCO ( Psy Conseiller en choix d’Orientation ) C’est l’incapacité de la profession à faire son unité autour d’une identité professionnelle claire et reconnue (la spécificité du travail de Conseil) qui a conduit à la situation actuelle.