Il y a quelques jours, dans le groupe fermé de Facebook des PsyEN je suis tombé sur une question postée et qui a déclenché plus de cinquante réponses. Il y a encore quelques années la réponse était relativement simple. Que s’est-il passé ?
La question
Donc sur le groupe fermé apparait cette question il y a quelques jours : « Question épineuse et pointilleuse : lorsqu’aucune voie d’orientation n’a été demandée à l’issue d’une 2GT (car la famille demande un redoublement pour motif médical) et que l’établissement refuse le redoublement, est-on sur une procédure de recours ou peut-on parler de droit au maintien ? Merci par avance de votre réponse. » A ce jour, on trouve 54 réponses.
La réponse qui me venait à l’esprit était simple : pas besoin de recours normalement, le conseil de classe, au troisième trimestre, doit répondre d’abord à la demande de la famille, autrement dit, il doit dire « oui ou non » au redoublement. Il en est de même lors de la rencontre avec le chef d’établissement et celui-ci devra « motiver » sa décision de ne pas faire redoubler. Et pour couronner le tout, le redoublement à chaque palier d’orientation est de droit. Donc si tout le monde suit les règles, il n’y a pas besoin de faire appel. Mais si le chef d’établissement s’entête (comme dans ce cas), alors il est prudent de conseiller à la famille de demander la commission d’appel qui confirmera la demande de la famille au nom de l’IA-DASEN, et éventuellement qui relèvera un vice de forme, par exemple absence de motivation de la décision.
Mais il ne s’agit plus simplement d’un redoublement.
Aller-retour sur le redoublement
Najat Vallaud-Belkacem (première ministre femme de l’Education nationale) par le décret Évaluation des acquis, accompagnement pédagogique des élèves, dispositifs d’aide et redoublement : modification (NOR : MENE1418381D, décret n° 2014-1377 du 18-11-2014 – J.O. du 20-11-2014 MENESR – DGESCO A1-2) avait supprimé le redoublement en tant que voie d’orientation. Il n’était plus qu’une mesure très exceptionnelle sous conditions et nécessairement accompagné d’un dispositif particulier, un PPRE[1]. A l’époque je remarquais que « Curieusement cette modification n’a provoqué aucune opposition. On peut penser que la Dotation Horaire Globale permet de moins en moins ce « luxe » dans les établissements. De fait cela veut dire que la procédure aux différents paliers du collège (sauf en troisième) n’a plus réellement raison d’être. Tout le monde avance, et les parcours (le choix des options entre autre) sont théoriquement décidés par les parents »[2].
Quatre ans après, le nouveau ministre d’un nouveau gouvernement, Jean-Michel Blanquer, publie son décret qui modifie à son tour le Code de l’éducation ainsi : « Art. D. 331-62. -À tout moment de l’année scolaire, lorsque l’élève rencontre des difficultés importantes d’apprentissage, un dispositif d’accompagnement pédagogique est mis en place. A titre exceptionnel, lorsque le dispositif d’accompagnement pédagogique mis en place n’a pas permis de pallier les difficultés importantes d’apprentissage rencontrées par l’élève, un redoublement peut être décidé par le chef d’établissement en fin d’année scolaire. Cette décision intervient à la suite d’une phase de dialogue avec l’élève et ses représentants légaux ou l’élève lui-même lorsque ce dernier est majeur et après que le conseil de classe s’est prononcé, conformément à l’article L. 311-7. » « La mise en œuvre d’une décision de redoublement s’accompagne d’un dispositif d’accompagnement pédagogique spécifique de l’élève concerné, qui peut notamment prendre la forme d’un programme personnalisé de réussite éducative. »« Une seule décision de redoublement peut intervenir durant la scolarité d’un élève avant la fin du cycle 4 mentionné à l’article D. 311-10, sans préjudice des dispositions de l’article D. 351-7. Toutefois, une seconde décision de redoublement peut être prononcée, avant la fin du cycle 4, après l’accord préalable du directeur académique des services de l’éducation nationale. » « La décision de redoublement est notifiée par le chef d’établissement aux représentants légaux de l’élève ou à l’élève lui-même lorsqu’il est majeur. Ces derniers peuvent faire appel de cette décision dans les conditions prévues par les articles D. 331-34, D. 331-35, D. 331-56 et D. 331-57.»[3]
A l’époque, en commentaire de ce texte je publiais l’article « Vers de nouvelles procédures ? » qui montrait plutôt un retour en arrière, avant l’époque Haby ! Bruno Magliulo concluait son article[4] ainsi : « Bien plus qu’un simple retour en puissance du redoublement, ce qui se profile derrière les textes récents pré évoqués, c’est un renforcement du principe régulateur sélectif de notre enseignement secondaire, et ce à tous les niveaux : de la classe de sixième à la sortie des classes terminales. Dans un entretien accordé au journal « Le Parisien » du 7 juin 2017, Monsieur Blanquer, alors tout nouvellement nommé Ministre de l’Education nationale, déclarait qu’il souhaitait « autoriser à nouveau le redoublement », estimant que ses prédécesseurs étaient allés trop loin en ce domaine. Il émettait à cette occasion l’idée qu’ « il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant des retards ». Et de conclure que « le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’élève « , tout en ajoutant que cela ne saurait que concernée « des cas qui doivent rester rares ». Telle est donc la nouvelle doctrine. »
Mais nous n’avions pas compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’un problème sémantique.
La distinction
La DEGESCO a publié un document intitulé « ARTICULATION DES PROCEDURES D’ORIENTATION ET DE REDOUBLEMENT »[5], et les académies publient leurs documents d’accompagnement des procédures comme par exemple celle de Limoges[6]. Dans tous ces documents on insiste sur la distinction entre la procédure du redoublement et celle d’orientation. Lisez cette prose, et accrochez-vous ! La distinction est apparemment simple, le redoublement est une décision pédagogique alors que celle concernant l’orientation est administrative. La décision de redoublement, par le chef d’établissement, en dehors du conseil de classe, doit être précédée par la mise en place d’un dispositif d’accompagnement pédagogique, et pour l’année de redoublement il doit en être de même.
Mieux, le texte de la DEGESCO précise : « Lorsqu’une décision de redoublement est prise aux paliers d’orientation, celle-ci est incompatible avec une décision d’orientation qui implique un passage dans une classe supérieure. De manière dérogatoire, l’élève concerné ne participe pas à la procédure d’orientation : sa demande d’orientation n’est pas prise en compte. » (p. 4) Mais la famille peut faire appel de cette décision : « Lorsque la famille, ayant formulé une demande d’orientation sans réponse de l’administration, conteste la décision de redoublement auprès de la commission d’appel, la commission d’appel qui donne satisfaction à la famille (rejet de la décision de redoublement du chef d’établissement) fait nécessairement droit à la demande de passage de la famille dans son ensemble, c’est-à-dire dans les voies d’orientation demandées par la famille. » Ainsi, la famille dans le cadre de l’appel peut obtenir ce qu’elle veut alors que sa demande n’a pas été examinée par le conseil de classe. On peut se demander en passant qui présente le dossier de l’élève. Le conseil de classe a été tenu hors de la discussion d’un passage. Ce serait normalement le chef d’établissement puisqu’il n’y a plus d’hésitation, il est le seul décideur en ce domaine. Qui a vu passer un chef d’établissement devant une commission d’appel ?
Donc au bout du compte, si la commission d’appel ne donne pas le passage, la seule possibilité restante est le « maintien ». La FAQ sur Eduscol « Le droit au maintien – Questions/réponses » indique :
« A l’issue de la seconde GT, la famille peut-elle demander le maintien dans la classe d’origine si elle n’a pas obtenu de décision d’orientation conforme à sa demande?
OUI. L’article D331-37 du code de l’éducation, qui concerne, au lycée, uniquement les élèves de seconde générale et technologique, prévoit que « lorsque les parents de l’élève ou l’élève majeur n’obtiennent pas satisfaction pour les voies d’orientation demandées, ils peuvent, de droit, obtenir le maintien de l’élève dans sa classe d’origine pour la durée d’une seule année scolaire.
Ce droit peut s’exercer dès lors que la décision d’orientation du chef d’établissement n’est pas conforme à la demande de la famille, sans être tenu de faire appel. Ce droit peut également s’exercer à l’issue de la commission d’appel, lorsque la décision prise par la commission n’obtient pas l’assentiment des représentants légaux de l’élève ou de l’élève majeur, conformément à l’article D331-35 du code de l’éducation. »
Autrement dit, on maintien l’élève dans la même classe, il refait son année, mais sans aucune aide particulière. Comme si son opposition à la décision du chef d’établissement était un affront à l’autorité qu’il fallait payer !
Pour terminer, remarquons que la question de départ est l’exact inverse de ce qui est prévu par les textes qui supposent que la famille s’oppose à une décision de non-passage. Ici, c’est le chef d’établissement qui refuse un redoublement et donc d’organiser un accompagnement pédagogique…
Et puis
Alors que je préparais ce post je faisais la récolte pour la revue de presse des Cahiers pédagogiques, et prenais connaissance de la Lettre d’informations juridiques du Ministère de l’éducation nationale de mai 2020 qui signale dans le cadre de la jurisprudence deux jugements de tribunaux administratifs concernant le refus par des établissements de réinscrire des élèves ayant échoués au baccalauréat. Les juges parlent de réinscription et de redoublement. Ces décisions s’appuient sur l’article D. 331-42 du Code de l’éducation institué par le décret n° 2015-1351 du 26 octobre 2015 signé par … Mme Najat Vallaud-Belkacem.
Bernard Desclaux
[1] Les Programmes Personnalisés de Réussite Educative : objectifs et organisation, présentation sur Eduscol. https://eduscol.education.fr/cid50680/les-programmes-personnalises-de-reussite-educative-ppre.html
[2] Interviewé dans Orientation scolaire : la grande oubliée de la réforme du collège ? par Eric Eymard https://www.tonavenir.net/orientation-scolaire-la-grande-oubliee-de-la-reforme-du-college/
[3] Le décret n°2018-119 du 20 février 2018 relatif au redoublement https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036625089&categorieLien=id
[4] Bruno Magliulo, Redoublement et rôles du conseil de classe et du chef d’établissement : on resserre les boulons https://www.linkedin.com/pulse/redoublement-et-r%C3%B4les-du-conseil-de-classe-chef-les-boulons-magliulo/
[5] On ne trouve plus ce document sur le site du ministère, mais il reste sur le net à une adresse du site de l’enseignement catholique de Paris http://www.ec75.org/documents/info-redoublement-2018.pdf
[6] Redoublement et maintien Procédures d’orientation et d’appel (académie de Limoges) http://cache.media.education.gouv.fr/file/Construire_son_projet/95/2/Fiche_2-Maintien_et_redoublement_-_Procedure_d_appel_942952.pdf ou le «Guide de la procédure de redoublement et de la procédure d’orientation en fin de troisième et en fin de seconde générale et technologique» Campagne 2019 SAIO région académique de Corse Avril 2019 –Note n° 380 http://www.ac-corse.fr/INOR/docs/Guide%20des%20proc%20dures%20de%20l%27%27orientation%202019.pdf
La question que vous soulevez est révélatrice du dérapage systémique de l’Éducation nationale. Que devient le jeune comme « personne » dans ce contexte? Quel est son droit à la parole. La famille étant responsable d’un enfant mineur on peut légitimement penser qu’il y a eu débat entre le jeune et ses parents avant que la famille ne formule sa demande. Si le jeune est réservé des conclusions de cet échange familial a qui peut-il faire appel pour dépasser les contradictions potentielles? de mon temps le Conseiller d’orientation psychologue aurait été l’intervenant de recours fonctionnellement indiscutable. La bureaucratisation de l’Éducation nationale en serait-elle à ce point que la relation d’aide ne saurait y être opératoire.
Cela devient ubuesque,voire ridicule !….Comment rendre hyper complexe une question très simple! comment comprendre le recours au tribunal administratif pour régler un conflit à propos d’un parcours de formation ? Ne cherchez pas ailleurs les raisons de la défiance des Français à l’égard des élites …Ce serait si simple d’accorder le pouvoir de décision( redoublement ou/et Orientation )aux familles…Tout le travail de préparation à l’orientation peut être effacé par ce moment et il est souvent rendu très difficile par la menace latente ou exprimée : « Tu vas redoubler / Tu vas être orienté » … Les Psy/EN vont avoir a se coltiner cette réalité, qui rend la pratique d’un Psy en collège et lycée très problématique, très discutable, voire impossible.