Jacques Vauloup sur son site « Une autre orientation » vient de proposer une présentation[1] de mon livre[2]. Je vous conseille bien sûr de lire cet article, mais également de ne pas hésiter à explorer le contenu de son site particulièrement riche en réflexions sur l’orientation bien sûr mais également sur un compte rendu sur ses lectures.
Dans cet article, Jacques formule notamment cinq points à mettre en débat. Je vais donc tenter quelques réponses. Et aujourd’hui je commencerais par le premier qu’il me propose : Procédure vs Processus. Et comme le dit Jacques, « ensemble, ensemble, continuons le com/dé/bat ! » Donc n’hésitez pas à rejoindre nos échanges en laissant vos commentaires sur nos sites.
Procédure vs Processus
« Si l’on admet que la procédure d’orientation, ou d’affectation, concerne un temps plutôt court dans un long parcours d’orientation, dans le cheminement pluriannuel d’une personne, la plupart du temps d’un adolescent en devenir, alors il serait impératif de se concentrer sur le processus, le process et non sur la procédure. C’est le rôle du conseil de classe, du professeur principal et, plus encore, du psychologue. Malheureusement, le plus souvent, le conseil de classe n’a pas le temps (ou plutôt ne le prend pas), le professeur principal est noyé dans les tâches ad-mini-stratives et le psychologue déserte le conseil de classe faute de temps et de priorisation stratégique de ses activités. » Jacques Vauloup.
Mon point de vue, c’est les procédures
Les procédures d’orientation scolaires sont le sujet de mon livre. C’est un thème peu étudier et pourtant assez spécifique à notre système éducatif français. Curieusement, la critique de l’orientation se fait le plus souvent à propos des personnels, au sens large, incapables de « bien informer » les élèves. C’est le leitmotiv qui se répète de rapport en rapport. L’orientation serait incapable de bien alimenter le processus de l’orientation des élèves par eux-mêmes. Si en effet, c’est ce processus qui devrait être accompagné, protégé, développé, etc. il n’en est pas moins vrai que ce processus est d’abord contraint par nos procédures d’orientation. Et cette contrainte ne porte pas que sur les élèves et leurs parents, mais également sur les enseignants et les chefs d’établissement.
Ce que j’essaye de montrer, c’est que le processus pédagogique, dans notre pays est tout particulièrement contraint par nos procédures. D’où mon « mantra », la suppression des procédures ! Notre système méritocratique avec les procédures a attribué aux enseignants de l’élève le pouvoir du jugement (non pas celui de décision). Ce jugement doit être accepté et acceptable aux yeux mêmes du juge, et pour cela la meilleurs justification est l’évaluation de la performance de l’élève. D’où une forme de pédagogie pilotée par l’évaluation finale permettant la mise en différence des élèves, et non pas une pédagogie de l’apprentissage par tous.
Le conseil de classe
Nous avons écrit en commun pour le livre coordonné par Dominique Odry[3], un article « Le conseil de classe, entre justesse, justice et justification », par Bernard Desclaux et Jacques Vauloup. Et dès cette rencontre, Jacques était l’optimiste et moi le pessimiste à propos du fonctionnement du conseil de classe. Il pensait en termes d’améliorations possibles du fonctionnement du conseil de classe, tandis que j’en faisais la critique et pointais son blocage sur le jugement scolaire.
De mon point de vue si le conseil de classe ne se concentre pas sur le processus, ce n‘est pas par manque de volonté, ou parce que « le professeur principal est noyé dans les tâches ad-mini-stratives et le psychologue déserte le conseil de classe faute de temps et de priorisation stratégique de ses activités » comme l’écrit Jacques. Le manque de volonté, la perte de ma maîtrise ou l’absence de stratégie n’ont rien à voir.
J’ai souvent écrit à propos du conseil de classe, mais je n’ai pas repris ces articles dans mon livre après beaucoup d’hésitations. C’est sans doute une erreur de ma part. Tant le conseil de classe est un espace de la mise en acte des procédures.
Le conseil de classe, ou plutôt la réunion des professeurs autour du chef d’établissement est né avec la première circulaire (1890) réglementant le passage en classe supérieure et en fondant le jugement professoral sur la notation[4]. Mais en 1898, une circulaire ajoute une autre fonction à cette réunion : « s’entretenir de l’état de la classe, du travail et des progrès des élèves ». On a donc d’un côté une fonction individualisante, le jugement de l’élève, et de l’autre une fonction englobante, portée sur l’examen de la classe, du groupe. En 1976 il s’agit d’examiner « les questions pédagogiques intéressant la vie de la classe », et aujourd’hui il s’agit « de traiter les questions pédagogiques intéressant la vie de classe, et notamment les modalités d’organisation du travail personnel des élèves ».
En conclusion de cet article sur le conseil de classe j’écrivais :
« … en effet le conseil de classe pourrait être cette instance permettant la coordination du travail enseignant. Mais dans ce même espace-temps-groupe comment est-t-il possible, à la fois,
- d’évaluer individuellement les élèves, c’est-à-dire les différencier,
- et d’organiser le travail pédagogique qui est censé faire réussir tous les élèves.
Philippe Perrenoud[5] le rappelait : l’évaluation de l’élève nécessite de l’expliquer par le travail… de l’élève, et surtout pas par celui des enseignants. »
Pour que le fonctionnement méritocratique fonctionne, il est impératif que la cause de la réussite soit bien du côté de l’élève, à la rigueur de la classe », mais surtout pas du côté de/des enseignants.
Or s’intéresser au processus c’est nécessairement à un moment le mettre en rapport avec le contexte notamment pédagogique.
Au fond je pense que ce qui nous différencie c’est pour toi Jacques ta foi en la possibilité d’une amélioration de l’aide au procès d’orientation, alors que je pense que cette amélioration ne peux être efficace tant que les procédures d’orientation sont maintenues. Notre objectif est identique mais pas notre appréciation de la situation.
Bernard Desclaux
[1] Les procédures d’orientation mises en examen par Bernard Desclaux http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2020/07/10/Bouquin-Desclaux
[2] Bernard Desclaux, ORIENTATION SCOLAIRE : LES PROCÉDURES MISES EN EXAMEN. Quel débat dans une société démocratique ? Préface de Claude Lelièvre, Collection : Orientation à tout âge, 2020. https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=65959
[3] L’orientation, c’est l’affaire de tous – Tome 1 : Les enjeux, Scéren (CRDP de l’académie d’Amiens) / CRAP-Cahiers pédagogiques / ESENESR, 2006. 143 p. (Repères pour agir. Second degré – Série Dispositifs).
[4] Bernard Desclaux, Aux origines du conseil de classe https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/06/17/aux-origines-du-conseil-de-classe/
[5] L’évaluation des élèves. De la fabrication de l’excellence à la régulation des apprentissages. Entre deux logiques De Boeck Université, 1998
Si je peux me permettre une réflexion sur vos échanges concernant le conseil de classe, il me semble aujourd’hui une instance particulièrement obsolète dans son côté « collectif ». On examine toujours une classe dans son ensemble. Puisqu’on en est au temps du « parcours », c’est bien le parcours individuel de chaque élève qui doit être enrichi, discuté, infléchi. La pratique « collective » du conseil de classe ne correspond en rien à cela. Rajoutez-y la problématique de l’école inclusive et l’on verra bien « l’inanité » du conseil. Il ne s’agit plus de vérifier si un jeune franchit bien la barre méritocratique lui permettant « d’assumer » les procédures mais bien de construire un parcours individuel dont ni le processus, ni les procédures ne doivent le contraindre mais bien d’une élaboration progressive. A ce titre le nom « Conseil individuel de parcours » me semblerait une piste intéressante.
Merci de ce commentaire Robert et de cette piste sur l’évolution possible du conseil de classe. Le mot collectif m’a déclenché une réflexion à mon tour, en rapport avec ce que tu dis.
Le conseil de classe a toujours été un collectif, au sens d’une collection d’individus réunis. La seule chose qui unit les enseignants qui le constituent c’est le fait de travailler avec cette classe. Il ne s’agit pas d’un groupe organisé, mais d’un rassemblement. Il existe parfois des classes à projet pour lesquelles les enseignants se sont choisis et collaborent entre eux, rarement tous d’ailleurs.
Dans l’article que je rappelle dans ma réponse à Jacques, je parle de la coordination impossible qui est due notamment à une particularité française. « Le temps de travail de l’enseignant français (c’est-à-dire le temps de travail contraint) en étant comptabilisé seulement sur les heures de cours rend très difficile la coordination pédagogique. Elle est vécue comme étant d’ordre privé. »
Je me suis interrogé sur De l’utilité du conseil de classe en lycée général ? http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/11/20/de-lutilite-du-conseil-de-classe-en-lycee-general/
J’ajoute que la réforme du lycée, arrivée cette année au niveau de la classe de première a montré les difficultés du conseil de classe entre autres. Voir Le casse-tête des premières http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/08/26/le-casse-tete-des-premieres/
Enfin, il me semble que pour qu’il y ait un « Conseil individuel de parcours » il faudrait une modification importante de la conception de l’évaluation portant aujourd’hui encore d’abord sur la performance.
La question de l’obsolescence… programmée (?) du conseil de classe dans ses formes procédurales actuelles est certes pertinente, mais peut-on faire l’économie du « tenir conseil » à savoir du « délibérer pour agir ? » (Lhotellier, 2001) ?
Que veut-on au juste ? Peut-on résumer le conseil au colloque singulier, voire dans le pire des cas (pas si exceptionnel) au mano-a-mano dissymétrique entre un ou plusieurs adultes et un.e adolescent.e en parcours vers ? Veut-on développer la réflexivité et la conscience de soi chez un sujet seul, isolé, ou seulement situé dans son contexte familial (dans le meilleur des cas) ? Alors, place au dispositif devenu pléthorique des entretiens individuels : tout le monde en fait dans les établissements scolaires, mais avec quelle formation, quelles références, quels garde-fous, quelles spécificités, quelles régulations et supervisions ? L’entretien individuel : l’impensé du travail éducatif.
Veut-on avec autant de force et de volonté compléter, étayer, enrichir l’entretien individuel par une clinique du « tenir conseil, délibérer pour agir » en collectif, en petits groupes, groupes de pairs affinitaires, qui passe, elle aussi, par un travail de formation (autoformation, coformation, transformation) ? C’est une compétence qui sera utile en orientation, mais bien au-delà, dans un parcours de vie professionnel, associatif, culturel, familial, etc. C’est aussi un enjeu démocratique. Sur le tenir conseil en collectif (en petits collectifs), qu’on pourra appeler bien entendu d’un autre nom que le suranné « conseil de classe », on gagnerait à se rapprocher du conseil en pédagogie Freinet ou dans la pédagogie institutionnelle, et à faire une autre lecture, plus complexe et plus complète, de Rogers que celle que nous rabâchent les gourous du développement personnel. Là encore, Lhotellier nous aide dans cet article de Carriérologie (2004) que j’ai réédité en le commentant le 4 mai 2020 :http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2019/10/30/Sur-l-%C3%A9coute
Bref complément sur mon « optimisme » ou ma « foi (bigre !) en la possibilité d’une amélioration de l’aide au procès d’orientation » :
Suis-je « optimiste par pessimisme dépassé » (Cioran) ? Certains matins blêmes, j’avoue que je me trouve plutôt « pessimiste par optimisme dépassé » (encore Cioran).
Ou avec Camus : « Optimisme de la volonté, pessimisme de la raison ».
Oui, je l’avoue, j’oscille entre les deux depuis longtemps… C’est pourquoi j’ai parlé, et agi, dans le sens d’une « vision stratégique pour les CIO » ainsi que pour les établissements scolaires (et entre les deux). Et, bien entendu, corollairement, pour une « priorisation de leurs activités ». Le « tenir conseil, délibérer pour agir » en collectif(s) devrait en être. Simple question de démocratie, d’éthique et d’éducation. Qui en veut ?
Bonjour, je partage très largement vos analyses respectives et il me semble évident que les procédures empêchent le processus . Que ce soit en Conseil de Classe ou dans le travail au long cour avec les élèves, ce que les « autorités administratives » n’arrivent pas à comprendre, ou ne veulent pas admettre,est pourtant simple : les décisions, prises en fin de parcours par des personnes qui sont « juges et partis »,échappant ainsi aux premiers intéressés,agissent comme des repoussoirs initiaux pour beaucoup élèves, rendent illusoires toutes les tentatives d’information et brouillent le travail de Conseil. De fait, si les élèves n’écoutent pas quand on leur parle d’Orientation, c’est qu’ils savent que le « sort est déjà jeté » , que les « dés sont pipés »…Ces décisions, qui dénient le droit de s’essayer dans une formation,laissent planer le doute de l’arbitraire,alimentent la défiance et renforcent la division sociale. Enfin,Il faut bien reconnaitre que le « tenir conseil », ou le « délibérer pour choisir »,n’a jamais réussi à réunir une majorité de COPsy. Je ne sais pas ce qu’il en sera pour les PsyEN, mais je ne suis pas optimiste.
PS: Je prépare un texte sur « la permanence de l’EMPREINTE scolaire » ..Pour Septembre j’espère.
Bien à vous . Jeanmarie
Délibérer « pour agir », et non nécessairement « pour choisir ».
On ne saurait en effet limiter ni le conseil ni l’orientation à la prise de décision (ou de « non décision », qui est encore, au fond, une forme de décision). Le mot latin « consilium », d’où vient « conseil », n’exprime « résolution, plan, mesure, dessein, projet » qu’en conséquence de, qu’après sa première acception : « délibération avec autrui ou avec soi-même », « conseil, assemblée ». Et encore plus intéressant, « consilium » dit aussi « sagesse dans les délibérations, les résolutions, les conseils, réflexion, prudence, habileté ».
https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?p=405
La compétence, la capacité à tenir conseil et à délibérer pour agir, individuellement (réflexivité) et collectivement, est un savoir-faire et un savoir être qui intègre l’école, mais la dépasse. Il s’agit bel et bien d’un enjeu éducatif, professionnel, éthique et démocratique.
Les psychologues devraient avoir un rôle essentiel en la matière. Rien ne sert d’opposer la dialogique de l’entretien duel à la dialectique du conseil collectif : elles sont liées. Notamment en s’appuyant sur les collectifs signifiants et les petits groupes.
Je vous lis et tout m’intéresse, tout me passionne et même m’enthousiasme dans toutes ces idées qui mises les unes à côté des autres montrent une capacité à penser ce qui pourrait être le bien orienter… On verra tout de suite s’insinuer mon côté platonicien qui ne demande qu’à s’exprimer quand l’occasion lui en est donnée. Je parle là du bien, du bon et du beau… à cause de la sagesse des délibérations nécessaires pour pour que l’action des uns et des autres se fasse pour le meilleur et pas pour le pire.
Y croire ou ne pas y croire? Espérer ou désespérer ? Etre optimiste ou pessimiste?
C’est à chaque fois, mettre dans l’ailleurs ou le lendemain, un mieux.
Et l’être d’aujourd’hui ? L’être de l’orientation, qu’il soit fait de processus ou de procédures que l’un fasse l’autre ou que les autres fassent l’un, de quoi est-il fait ? Quelle est sa nature ?
Et bien, elle est faite de différenciation et donc de sélection.Un concept tabou en France. Qu’on ne prononce pas ce mot, la France sera dans la rue.
Mes chers amis, demandons nous pourtant comment l’être de la sélection produit les procédures et engendre les processus tels qu’ils sont aujourd’hui.
Qu’est-ce qui est à l’oeuvre ? Qui est à l’oeuvre, peut être à son corps défendant ? Si l’on tire la ficelle par le bon bout de la sélection, on comprend que la question de l’information est dérisoire et même que l’éducation des choix, qui m’est chère est presque anecdotique, je le concède, même si quand je suis optimiste, j’y crois. Et le conseil dans ça. Un bon conseil, ne le suivez pas.