Le commentaire de Jean-Marie Quairel à mon précédent post[1] m’a donné envie de reprendre une vieille question : où en est le droit au conseil ? Ce droit avait été introduit dans l’article 8 de la loi dite Jospin de 1989[2]. Et depuis que s’est-il passé ?
L’apparition du droit au conseil
Ce droit est formulé pour la première fois dans la loi dite Jospin de 1989. Il constitue la première phrase de l’article 8 : « Le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions fait partie du droit à l’éducation. », les autres paragraphes de cet article relevant de la procédure d’orientation. On disait à l’époque que ce droit avait été ajouté au dernier moment. En tout cas il n’est suivi d’aucun décret de mise en œuvre.
Au long des années, sa formulation s’étoffe, énormément ! Il est modifié par la Loi n°92-675 du 17 juillet 1992 – art. 1 JORF 19 juillet 1992 : « Le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements, sur l’obtention d’une qualification professionnelle sanctionnée dans les conditions définies à l’article L. 115-1 du code du travail et sur les professions fait partie du droit à l’éducation. » La modification porte essentiellement sur le rattachement au code du travail. » Ces conditions définies dans le code du travail sont tout simplement l’apprentissage.
Il est à nouveau modifié par Loi 93-1313 1993-12-20 art. 56 JORF 21 décembre 1993 Il s’agit de la LoI quinquennale no 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, mais cela ne concerne pas notre première phrase.
Et finalement l’article est abrogé par l’Ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 – art. 7 (V) par la décision 96° : « Les articles 1er à 2, le deuxième alinéa de l’article 3, les articles 4 à 28, le premier alinéa de l’article 29 et les articles 30 à 36 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation »
Ces différentes informations apparaissent sur LegiFrance.
Regardons maintenant dans le Code de l’Education.
L’article L313-1, modifié par LOI n°2013-595 du 8 juillet 2013 – art. 47 reprend la même formulation.
Recherchons donc de quoi est constitué le Droit à l’éducation dans le Code. Il se trouve au chapitre premier avec l’ensemble des articles L111, du L111-1 au L111-5[3]. Et surprise, nulles traces du droit au conseil en orientation…. Et nul renvoi vers L’article L313-1. Étonnant n’est-il pas ! Cet article L111-1 est pourtant essentiel. Il pose les bases de la conception politique française de l’éducation :
- Modifié par LOI n° 2019-791 du 26 juillet 2019 – art. 27
« L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. »
Un détour par le SPO
C’est du côté du Code du travail que les choses se passent. Concernant LE SERVICE PUBLIC DE L’ORIENTATION POUR TOUS ‐ SPO‐ on trouve ceci :
« La loi n°2009‐1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a créé en son article 4 le droit pour toute personne à être informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle.
L’exercice de ce droit s’appuie sur la mise en place du service public de l’orientation tout au long de la vie (SPO) qui «est organisé pour garantir à toute personne l’accès à une information gratuite, complète et objective sur les métiers, les formations, les certifications, les débouchés et les niveaux de rémunération, ainsi que l’accès à des services de conseil et d’accompagnement en orientation de qualité et organisés en réseaux. »[4]
Il semble que l’on ait une distinction posée. Il y a d’abord l’accès à des informations, ce qui suppose d’une part la production de celles –ci, et d’autre part la mise à disposition. L’autre tâche de ce service c’est le conseil et l’accompagnement des personnes, ce qui soulève là aussi des questions très pratiques concernant l’organisation, l’accessibilité de ce service et la définition de la qualification des professionnels.
Le retour
La Refondation réintroduit la question dans l’article L313-1 qui est ainsi formulé[5] : « Le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements, sur l’obtention d’une qualification professionnelle sanctionnée dans les conditions définies à l’article L. 6211-1 du code du travail, sur les professions ainsi que sur les débouchés et les perspectives professionnels fait partie du droit à l’éducation. » On a donc là une simple reprise apparemment, mais il y a un deuxième paragraphe à cet article :
« Les conseillers d’orientation psychologues exerçant dans les établissements d’enseignement du second degré et les centres visés à l’article L. 313-4 sont recrutés dans des conditions définies par décret. Leur formation initiale leur assure une connaissance étendue des filières de formation, du monde économique, de l’entreprise, des dispositifs de qualification, des métiers et des compétences qui sont nécessaires à leur exercice. Ils sont tenus d’actualiser régulièrement leurs connaissances au cours de leur carrière. » Cette version est consolidée à la date du 3 septembre 2020.
La juxtaposition de ces deux paragraphes peut faire penser qu’il y a un lien entre les deux, et ce lien le plus simple serait que les conseillers sont responsables de la mise en œuvre de ce droit. Les précisions concernant leur formation sont alors éclairantes pour comprendre la nature de ce droit.
Etudes et commentaires de la loi de 1989
De nombreux articles d’auteurs aux statuts divers commentent la loi de 1989. Et on est frappé par leur silence à propos de ce droit.
Gilles Ferréol, un des tous premiers propose « La loi d’orientation dix ans après: éléments d’évaluation ».[6] Pas un mot de l’article 8.
Emmanuel Davidenkoff dans son article (2004) « Quinze ans après, ce qu’il reste de la loi Jospin »[7] ne relève qu’un point à propos de l’orientation : « «Le choix de l’orientation est de la responsabilité de la famille ou de l’élève quand celui-ci est majeur.» Vrai formellement, largement faux dans les faits. »
Michèle Sellier, inspectrice générale honoraire, ancienne rectrice, dans « Orienter sans réformer »[8] (2008) n’a pas un mot pour ce droit : « Comme son titre l’indique, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, dite loi » Jospin « , alors ministre de l’Éducation nationale, doit être analysée d’abord comme une loi » d’orientation « , et non comme une réforme. »
Sylvie Aebischer, doctorante à l’Université Lyon 2 et rattachée au CERAPS-Lille 2 a écrit deux articles, « Réinventer l’école, réinventer l’administration. Une loi pédagogique et managériale au prisme de ses producteurs »[9] et « La spécificité des politiques éducatives en question Acteurs et expertises des politiques éducatives dans l’élaboration de la loi d’orientation sur l’éducation (1989) »[10] Dans ces deux textes, la seule référence à l’article 8 ne cite pas le droit au conseil. (2012 et 2009)
Ismail Ferhat[11] écrit l’article (2019) « Trente ans après, la loi Jospin et ses héritages »[12] qui est présenté ainsi : « La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, dite « Loi Jospin », a désormais trente ans. Elle avait alors largement modifié le système éducatif français. Ismaïl Ferhat revient pour la Fondation sur la genèse de cette loi, les principales mesures et les controverses qui les ont accompagnées, ainsi que sur sa postérité. » L’article 8 ne figure pas dans cet héritage.
Sous-traitance
On peut se demander si au fond ce droit au conseil d’orientation ne s’ajoute pas à cette part importante du travail scolaire qui est sous-traitée aux familles ? « La sous-traitance aux familles (Duru-Bellat, Van Zanten, 2012 : 197-199) est d’autant plus facile que les parents des milieux favorisés y voient une manière de maintenir la supériorité de leurs enfants en termes de réussite scolaire, que les parents des milieux moins favorisés sont inquiets et cèdent aisément aux attentes des enseignants et que ces derniers sont désireux de ne pas porter seuls le poids de l’échec scolaire de leurs élèves. »[13]
Le démantèlement des services d’orientation au sein de l’Éducation nationale tout en légiférant sur « la Liberté de choisir son avenir professionnel » serait un exemple actuel de ce principe dissociatif entre la parole et la mise en œuvre.
Bernard Desclaux
[1] Réponses à Jacques Vauloup, Orientation scolaire vs Orientation professionnelle https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/08/24/reponses-a-jacques-vauloup-orientation-scolaire-vs-orientation-professionnelle/
[2] Loi d’orientation sur l’éducation (n° 89-486 du 10 juillet 1989)https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000509314&pageCourante=08860
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=4C670FA2EB64FCB1DA2151D49E46226C.tplgfr37s_1?idSectionTA=LEGISCTA000006166558&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20200906
[4] Article L.6111‐3 du code du travail https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/DP_orientation_pour_Tous.pdf
[5] LOI n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (1)
[6] Expressions, Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) Réunion, 2002, Dossier spécial ”Dixième anniversaire”: dix ans d’enseignement, pp.19-39. https://hal.univ-reunion.fr/hal-02406308/document
[7] https://www.liberation.fr/evenement/2004/11/18/quinze-ans-apres-ce-qu-il-reste-de-la-loi-jospin_499856
[8] Education & management, n°35, page 22 (05/2008) http://www.educ-revues.fr/EM/AffichageDocument.aspx?iddoc=37730
[9] Politix 2012/2 (n° 98), pages 57 à 83 https://www.cairn.info/revue-politix-2012-2-page-57.htm
[10] http://www.afsp.info/archives/congres/congres2009/sectionsthematiques/st29/st29aebischer.pdf
[11] https://jean-jaures.org/auteurs/ismail-ferhat
[12] https://jean-jaures.org/nos-productions/trente-ans-apres-la-loi-jospin-et-ses-heritages
[13] Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, « La transmission implicite des valeurs de l’École de la République », Questions de communication [En ligne], 26 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2016, consulté le 06 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/9321 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.9321
Merci pour ce rappel très instructif….Trois remarques toutefois: Je ne partage pas l’idée de « sous traitance » par les familles, de la question éducative et de celle de l’orientation et du conseil. Elle est révélatrice d’un état d’esprit très « entrepreneurial », alors que la question est celle d’une approche coopérative entre des partenaires ayant,en principe, un objectif commun : La réussite des élèves. L’idée de sous traitance signifie une impossibilité, ou un refus de cette coopération. Le renoncement à clarifier la notion de « réussite de tous les élèves » (tous ne peuvent pas réussir au mème niveau)entraine une confusion générale, donne des arguments aux tenants d’une éducation encore plus sélective et pollue totalement la pratique du conseil. Par ailleurs,si les COPsy avaient soutenu très majoritairement le droit au conseil, sa pratique et sa spécificité au sein du système éducatif, peut ètre aurait elle pu s’encrer effectivement….La division de la profession et les choix de son syndicat majoritaire ne l’ont pas permis : C’est la triste réalité. N’oublions pas que la pratique du Conseil offre une possibilité de travail coopératif entre partenaires, que le poids des représentations rend beaucoup plus compliqué pour un(e)Psychologue, piégé dans l’institution.
J’espère Jean-Marie que tu ne penses pas que je partage cette idée de « sous-traitance ». Mais au contraire, je crois que c’est ce qui se passe aujourd’hui, malheureusement.