Recension Impala de mon livre

Voici la recension de mon livre, L’Orientation scolaire : les procédures mises en examen ; Quel débat dans une société démocratique ?, qu’Alexandre Waldman a publié le 2 octobre 2020 sur le site d’Impala. que je reproduis avec leur autorisation. Pour une présentation d’IMPALA c’est ici. Je tiens à remercier M. Waldman pour cette lecture très intéressante et stimulante.

Il est des films que l’on prend plaisir à redécouvrir plusieurs fois. Selon notre état d’âme ou nos attentes, pour se laisser porter d’abord par notre impression générale puis par notre goût du détail, nous pouvons voir un film tantôt avec le zèle du bon élève et tantôt avec l’insouciance du cancre. Il en va de même pour le dernier ouvrage de Bernard Desclaux, retraité de l’Éducation nationale, ex- Directeur de CIO, formateur et blogueur reconnu dans la nébuleuse Internet sur les questions d’orientation scolaire et professionnelle. Il faut donc lire “les procédures mise en examen” au moins deux fois.

A la première lecture, insouciante, celle qui avale un peu sans mâcher, on pourra lire cet ouvrage de manière séquentielle, comme la ‘simple’ compilation d’articles de blogs qu’il est. On pourra alors s’y promener, en tant qu’expert en éducation ou néophyte curieux, comme le long d’un chemin de randonnée, de titres en titres : « Bas bruits et politique des petits pas » (p. 125), « Silence sur les procédures » (p.76), « Le retour du refoulé » (p.195). On se satisfera alors quasiment à chaque étape d’en apprendre plus sur les jalons historiques de l’orientation scolaire en France, sur les enjeux politiques inavoués qui s’y cachent, et même, plus globalement, sur des problématiques évidentes du système éducatif : tellement évidentes qu’on n’oublie d’en parler ! On ne reste cependant pas longtemps indifférent à cette première lecture qui laisse un arrière-goût d’ahurissement et de questionnement quant à l’avenir de notre École et donc de nos enfants. Faisant preuve d’une actualité détonante, abordant jusqu’aux thèmes de l’après ‘réforme Blanquer’ et de l’après Covid, le livre interroge la capacité de notre gouvernement à faire ce qu’il faut pour remplir ce double pari éducatif de l’orientation : d’un côté, faire progresser davantage chaque élève vers une réussite scolaire et une émancipation professionnelle assumée ; et, de l’autre, le faire dans le respect des valeurs républicaines de la juste répartition de tous, de l’équité et de l’égalité des chances. On en retient que l’empreinte historique du rapport pouvoir/autorité est plus forte qu’on ne le prétend, bien que dissimulée à bien des égards dans les rouages des procédures et la jungle des réformes. Et ce malgré un discours, une rhétorique politique, qui semblent nous raconter l’inverse. Comme si l’Histoire éducative s’écrivait à nos dépens en nous racontant des histoires. On comprend tout de même que l’orientation est pavée de bonnes intentions et que, si « Le diable est dans la procédure » (p. 118), le paradis n’est pas non plus inaccessible. A plusieurs reprises, ce que nous dépeint Bernard Desclaux c’est une Éducation Nationale, une exception française, qui est le théâtre de rendez-vous manqués. Mais la conclusion reste tout de même emplie d’espoir : il sera essentiel d’être présent au prochain rendez-vous. Dès la prochaine réforme par exemple, changer la logique procédurale pervertie pour concevoir une école socialement juste et qui assurerait tout autant la promotion collective que l’adaptation à la société et au marché de la formation et du travail de demain. “Parce que c’est notre projet”.

Mais il ne faut pas, comme on l’a dit, s’arrêter à cette première lecture de l’ouvrage car ce serait dommage. Fermez les yeux, respirez, et recommencez à lire. Le titre d’abord : “les procédures mises en examen“. De quoi va-t’on parler ? D’un procès. Pas un procès d’inattention, mais bien un procès d’intention. Celui de l’orientation scolaire. Celui d’une faute professionnelle. L’École ne fait pas le travail pour lequel elle a été embauchée. Pardon, élue. Car, et c’est tout le propos, l’on touche ici à la promesse démocratique, celle qui s’engage à oeuvrer au bien commun et à la réussite pour tous. “Quel débat dans une société démocratique ?”, dit le sous-titre. On nous y raconte une histoire d’infraction : celle d’avoir rompu le débat démocratique. Quelles sont les composantes de cette infraction ?

1ère infraction – Celle, d’abord, d’avoir coupé la parole aux parents, à qui on a fait miroiter le pouvoir du dernier mot pour paradoxalement mieux se délester de la pression sur le “voeu d’orientation”, et mieux les persuader et les conduire à accepter l’orientation que les enseignants jugent être la meilleure lors du tribunal du conseil de classe. Et oui, couper la parole en démocratie est une faute, Monsieur l’Etat.

2ème infraction – Celle, ensuite, d’avoir dérogé aux normes du bon sens et d’avoir ainsi construit les étages les uns sur les autres avant de s’assurer de la solidité des fondations. Le chantier de l’orientation doit s’articuler autour d’un projet et de propositions concrètes en faveur de la refondation démocratique au risque de faire s’écrouler tout un système sous le poids de ses paradoxes. Paradoxe d’abord du pédagogue français qui doit à la fois faire réussir tout le monde et discriminer, juger, pour séparer le bon grain de l’ivraie dans la “colonne de distillation fractionnée” de l’École. Paradoxe ensuite du socle commun promu par le collège unique, lorsque secrètement la pré-sélection et pré-orientation se poursuit en son sein au rythme des sentences des conseils de classe et aux motifs des notes et des livrets scolaires. Paradoxe enfin dans la logique et la finalité de l’orientation française après le collège, qui se veut juste et équitable mais qui continue pourtant de s’inscrire en référence exclusive au lycée d’enseignement général et technologique. Logique héritée de l’entre-deux-guerres qui consiste encore aujourd’hui à ouvrir un enseignement élitiste à l’ensemble de la population… Sauf que le bât blesse : si nous sommes tous des élites, alors personne ne l’est. Paradoxe en somme autour de cette tension structurelle incarnée dans la procédure de notation entre réussite collective (à savoir la mise en place d’un socle commun) d’une part, et répartition économique et sélection des talents de l’autre.

3ème infraction – Celle, enfin, de la rupture du contrat de confiance avec l’institution scolaire. En effet, que ce soit le jeune ou ses parents, la “famille” finit par ne plus avoir confiance dans le système et dans sa capacité à faire fleurir la réussite du jeune. On ne peut pas à la fois tenir un discours qui dit “Fais-nous confiance, tu vas t’en sortir et tu pourras faire tel ou tel métier plus tard si tu travailles bien à l’école” et, en même temps, “Fais ce que l’on te dit, avec des notes comme cela de toute façon tu n’as pas le choix, va dans telle section, telle branche”. Le double discours est le terreau des pires échecs scolaires. Bernard Desclaux dit alors dans un de ses articles : “L’éducation à l’orientation ne peut pas réellement se mettre en place car elle n’a aucune utilité dans un système fonctionnant à la contrainte et non à la confiance. La réussite éducative suppose confiance en général dans l’humain et en chacun”. On est en droit de penser que l’accompagnement humain dans un rapport de confiance est la clé vers une autonomisation efficace des jeunes dans leurs projets d’orientation. Mais pour cela, bien sûr, il faut que la procédure le permette ! Il faut donc allégrement abandonner la logique adéquationniste du “diagnostic” pour laisser bourgeonner une maïeutique de la vocation et une démarche de co-construction de projet. Si l’on veut enterrer définitivement ce double discours, le jeune, au centre, avec ses parents, ses enseignants, et les acteurs de l’établissement scolaire tout autour, doit se sentir en climat de confiance et en sentiment de “pouvoir” sur son avenir. Il doit choisir par excès et non par défaut. La contrainte répétée se mue en fatalité dans l’esprit. Au contraire, la confiance répétée se transforme souvent en motivation. C’est cela même qu’il faut viser. Et cela doit commencer dès le collège, mais comme le rappelle Bernard Desclaux dans son chapitre dédié p.185, cela doit aussi se faire dans une logique de continuité avec l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle. On ne peut pas et on ne doit pas construire pendant 7 ans un environnement propice à la “motivation à s’orienter” pour la détruire fatalement le lendemain de la publication des résultats du baccalauréat. Ce point aurait d’ailleurs sûrement mérité une attention accrue dans le livre… peut-être au prochain numéro ?

Vous serez surement interpellés par le recours quasi-systématique en fin de chapitre à des ouvertures sous forme de questions rhétoriques, donc de question a priori “non traitées”. Comme si l’auteur ne voulait pas prendre de position ferme. Même si on regrette parfois que le ton ne soit pas un peu plus péremptoire, ne vous y trompez pas, la prise de position y est. On l’a vu, (re)lu plutôt comme une rhétorique de défense pour la prise de conscience des travers non-démocratiques et pour le renouvellement des procédures d’orientation, le livre peut animer plus d’un débat constructif sur le sujet. Le choix d’alterner des faits historiques incontestables, des analyses basées sur des faits ou des textes officiels, puis de conclure par une question ouverte n’est rien d’autre qu’une bonne vieille astuce rhétorique pour dire l’indicible sans fâcher personne. Prêcher les faits pour convaincre du vrai. Pourquoi pas !

On pourra, en conclusion, s’interroger sur les propositions tangibles et concrètes que dévoile l’ouvrage. Il y en a. Notamment une en particulier qui semble tenir à coeur à notre auteur et pour laquelle on ne pourra pas lui en tenir rigueur. C’est la mise en place du lycée unique et la suppression, tout bonnement, des procédures. A défaut d’être devins, on doit avouer que la proposition a son charme. La suppression des procédures entraînant la révision nécessaire de la question épineuse de l’affectation, la mise en place d’un lycée unique (ou a minima une seule seconde et des options), et le développement d’un réel service d’accompagnement des élèves dans leurs pratiques d’orientation. Loin d’être un jeu de procrastination ou de “se rejeter la balle”, il y a fort à parier qu’un lycée unique dénué de procédure permettrait d’aiguiser le sens commun, d’apaiser les tensions envers l’institution, de nuancer progressivement les dommages de long terme de l’élitisme, et, qui sait, de re-concentrer les efforts sur l’innovation pédagogique et l’attrait des curricula, pour contribuer conjointement à réduire les écarts scolaires et augmenter la culture générale commune. Tout un programme. Ce qui est certain c’est que le jeu démocratique en vaut la chandelle et que l’on ne perdrait pas grand chose à essayer, à expérimenter.

Ainsi, lu comme une plaidoirie plutôt que comme un manuel de synthèse, le texte de Bernard Desclaux soulève des questions essentielles sur la transition de notre modèle non seulement inégalitaire mais aussi à tendance anti-démocratique. Une nuance cependant. De meilleures procédures (ou pas de procédures !) pourront sans conteste réduire la “fracture scolaire”, voire en seront surement une condition sine qua non. Mais l’éducation (et donc l’orientation en tant qu’éducation au choix) évolue avec son temps et le XXIème siècle voit s’ajouter au paysage de l’orientation scolaire des acteurs publics et privés qui sont nés et ont voyagés dans la mondialisation, qui ont été abreuvés au digital, aux superhéros Marvel et donc à la croyance que l’on peut tout changer et que les “mutations” existent, aux prises de consciences écologiques et d’égalité des sexes, aux désillusions du système qui les a créés : ces acteurs veulent aussi la refondation démocratique de l’École et n’attendront pas que l’Etat se réveille de sa grasse matinée. Il faudra donc peut-être relire une troisième fois le livre que nous commentons ici, en lisant cette fois entre les lignes, et en se demandant systématiquement : comment puis-je améliorer cela en contournant la procédure ? Car la justice ne se joue pas toujours dans le tribunal. Et les pièces à conviction arrivent parfois là où on ne les attendaient pas.

Compte-rendu critique rédigé par Alexandre WALDMAN (Directeur Learning Science chez Impala) sur l’ouvrage de Bernard Desclaux, Orientation scolaire : les procédures mises en examen: Quel débat dans une société démocratique ?, paru en 2020 aux éditions L’Harmattan (2343196869, 9782343196862, 270 pages).

Posted byAlexandre Waldman2 octobre 20202 octobre 2020Posted inÉducation à l’orientationTags:Recension

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This entry was posted on mardi, octobre 13th, 2020 at 16:06 and is filed under Orientation. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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