Suite à mon article précédent, « Matériaux pour une réflexion sur le droit au conseil » je poursuis mon interrogation, « où en est l’aide à l’orientation ? » à partir de la question d’un des acteurs. Depuis la création du corps des psychologues de l’éducation nationale qui regroupe les anciens psychologues scolaires, aujourd’hui PsyEn EDA, et les anciens conseillers d’orientation-psychologues, aujourd’hui PsyEn EDO, le terme même d’orientation a disparu dans l’intitulé du métier, et la fonction semble suivre le même chemin.
Un premier exemple dans les médias
Sur France Inter, Sonia Princet se demande « Parcoursup et Covid-19 : l’orientation sera-t-elle plus virtuelle ? » ; en effet, « Le site Parcoursup ouvre ce lundi 21 décembre, mais les élèves de terminale et les étudiants en réorientation sont privés de certains canaux d’information et de conseils. Les salons n’ont plus lieu, les journées portes ouvertes sont compromises. Tout se fait virtuellement et c’est encore plus difficile d’y voir clair. »
La situation sanitaire a beaucoup réduit le relationnel qui s’établit entre les élèves et les enseignants et qui permet quelques échanges à propos de l’orientation. Mais ce qui est frappant dans l’article, pour moi, c’est deux absences. Pas de CIO, mais le CIDJ, pas de PsyEn EDO mais une conseillère au CIDJ pour répondre aux interrogations de la journaliste. Il est vrai qu’à la date de publication de l’article (le 20 décembre 2020), le CIDJ venait de rouvrir et recevait le public sans rendez-vous, alors que les CIO sont toujours soumis à la contrainte sanitaire du rendez-vous nécessaire pour recevoir. Ceci explique peut-être cela.
Alors allons voir sur le site du ministère
On peut considérer que l’orientation se situe à trois moments du parcours scolaire de l’élève. Il y a le palier de la troisième, ensuite les choix de construction de son parcours en première et en terminale, et pour finir bien sur la procédure Parcoursup. Allons voir comment le ministère traite de l’orientation à ces moments.
Sur la page « Que faire après la troisième ? » :
« Pour faire son choix, l’élève doit s’informer sur son orientation et évaluer ses centres d’intérêts, ses résultats scolaires tout au long de son année. » Quel est le recours proposé par le ministère lui-même ? « Les professeurs principaux et les personnels d’orientation sont là pour aider les élèves à réfléchir à leur orientation. » A remarquer la terminologie : « les personnels d’orientation ».
L’orientation après la seconde générale et technologique évoque l’accompagnement à l’orientation ainsi : « Les lycéens sont accompagnés dans leur projet d’orientation avec un volume annuel d’heures dédié à l’orientation. » Et il est précisé que « Tous les membres de l’équipe éducative participent à l’accompagnement des lycéens et de leur famille dans la construction de leur projet. Le professeur principal, qui a un rôle renforcé dans cet accompagnement, reste un interlocuteur privilégié pour aider les élèves à faire leurs choix, en collaboration avec le psychologue de l’éducation nationale du lycée. »
Il y a aussi une page sur les acteurs de l’orientation où figure une longue description des psychologues de l’éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » et directeurs de centres d’information et d’orientation, mais où il est clair que l’interlocuteur privilégié est le professeur principal, et le psychologue une aide compte tenu de ses tâches décrites ainsi : « Ils sont à la fois spécialistes du conseil individuel en orientation et, dans les lycées et les collèges, conseillers techniques de l’équipe éducative. Ils interviennent aussi de plus en plus comme formateurs auprès des équipes d’enseignants chargées de mettre en place des séquences d’éducation à l’orientation. »
Il y a une dizaine d’années lors d’une formation des nouveaux directeurs de CIO à l’ESEN j’avais insisté sur l’évolution du métier vers une fonction de back-office, une fonction de préparation des autres acteurs plus nombreux qui sont en position de relation frontale immédiate avec les élèves.
La grande confusion des statistiques
Une NOTE D’INFORMATION du Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports Directrice de la publication de décembre 2020 porte sur « Les personnels de l’Éducation nationale en 2019-2020 ». C’est un document statistique assez simple, mais surprenant. Il est basé sur une catégorisation très simple ! Le monde de l’EN est organisé autour de deux catégories. Il y a la catégorie des enseignants, et celle de ceux qui ne le sont pas. Dans cette dernière on trouve quatre sous-catégories :
- Personnels d’encadrement
- Personnels vie scolaire
- Personnels administratifs, sociaux et de santé (ASS)
- Ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation (ITRF)
Il est sûr que les PsyEN ne sont pas des personnels d’encadrement ni des ingénieurs. Sur la page du Ministère des concours administratifs, sociaux et de santé ne figurent pas les PsyEN.
Reste alors la catégorie des personnels « vie scolaire ». Suivons cette piste. Sur le site du ministère il y a un onglet « Vie scolaire » sous lequel on devrait trouver le champ d’activités des Conseillers principaux d’éducation (CPE), et bien pas du tout. On y trouve :
- Fonctionnement de l’école
- Bien-être des élèves
- Orientation
- Les parents d’élèves
- Aides scolaires
Mais il y a un autre onglet celui des « Métiers et ressources humaines » avec cinq sous catégories, quatre types de personnels et une rassemblant tous les concours. Dans celui-ci il y a bien sûr les concours des PsyEn
- Enseignement
- Administration
- Encadrement
- Santé-social
- Concours
Mais où sont référencés les PsyEn parmi les personnels ? Et bien ils se trouvent dans la catégorie… enseignement ! Ce qui supposerait que dans les statistiques de la DEPP, les PsyEn sont également dans la catégorie Enseignants. Peut-être, mais sur la page de la DEPP on ne trouve aucunes données spécifiques sur les PsyEn, et on ne sait donc toujours pas où ils sont intégrés dans les statistiques des personnels de l’Éducation nationale.
On ferme !
A propos de recrutement, les syndicats s’alarment sur la baisse de recrutement des PsyEn qui se produit depuis 2017. Tiens, 2017, ce n’est pas un changement de Président et de ministre ? Les départs en retraite ne sont plus compensés et le nombre d’auxiliaires augmente, et d’après les syndicats beaucoup de postes de DCIO sont bloqués. Il suffit de fermer tout doucement le robinet des recrutements pour créer les conditions d’un pourrissement de l’exercice d’un service.
Et si ce service est mal rendu, il ne supprime pas les besoins et les demandes d’aides. Pour les chanceux et ceux qui en ont les moyens, ils trouveront dans le privé les offres de service des nouveaux spécialistes de l’orientation qui ont récupéré l’intitulé abandonné par l’Éducation nationale.
Si on cherche un conseil d’orientation est-ce qu’on s’adresse à un psychologue dont le nom est de plus incompréhensible (PsyEn EDO) ?
Bernard Desclaux
Il y a fort longtemps déjà que le ministère de l’éducation nationale a abandonné son service public d’orientation aux lois du Marché et réduit comme peau de chagrin le rôle systémique et systématique des professionnels de l’orientation au rôle des professeurs, certes indispensable mais insuffisant à soi seul. En 1993 et les années suivantes, ce sont les professionnels de l’orientation qui dans les académies formèrent profs, CPE et chefs d’établissement aux questions posées par l’extension de la fonction de « professeur principal » et par le rituel et redoutable « conseil de classe » à tous les niveaux des lycées. Depuis ces années-là, et même un peu avant, le ministère recrute des anciens conseillers d’orientation-psychologues aux fonctions de chef d’établissement qui, souvent, considèrent que l’orientation est « leur chose » dans les établissements qu’ils dirigent. Actuellement, de nombreux postes d’inspecteurs en orientation de DRAIO, de CSAIO sont occupés par des anciens chefs d’établissement. « À quoi bon faire recours au conseiller d’orientation puisque j’en suis un. Et puis, ils sont psychologues maintenant, alors qu’ils fassent leurs entretiens dans leur coin, moi et mes profs nous nous occupons de l’orientation ». Cerise sur le gâteau : l’inspection générale n’apporte plus rien au service public d’orientation, hors l’épisode souriant mais peu efficient de l’épisode Vallaud-Belkacem et le discours lénifiant de la « bienveillance » servie dans tous les plats quotidiens de la bien pensance, du care et de la « feel-good attitude ». Pour le reste, quid novum ? Quelle parole véritable ? Quel souffle ? Quelles perspectives ? Quel pilotage ?
Dans cette chronique d’une mort annoncée, l’orientation à la Française a besoin aujourd’hui, de toute urgence, d’un nouveau souffle puissant comparable à celui qui l’aura créée dans les années d’après Première guerre mondiale, et à celui qui anima les Roger Gal, Jean Zay, Henri Wallon, Antoine Léon, Pierre Naville… Alors, qui ? quand ? Avant qu’il ne soit trop tard, car l’apoplexie guette.
Je partage également ton sentiment, malheureusement. Et merci pour ce commentaire, qui en rajoute… Je n’avais pas repéré ce que tu dis à propos des chefs d’établissement.
Je suis actuellement sollicitée pour contribuer à des conférences virtuelles à l’attention des lycéen.nes dans le cadre d’un grand salon de l’orientation. J’ai fait une conférence sur la connaissance de soi en décembre en compagnie d’une jeune collègue talentueuse contractuelle justement au CIDJ. Cela fait drôle de parler à un écran et de n’avoir personne devant soi. Le degré zéro de la communication. La sensation est très différente de la réponse téléphonique qui tient l’autre présent à travers le fil de la voix. On peut être surpris de ce que la voix dit des émotions et l’on en vient à oublier que l’autre n’est pas devant soi. Il faudra sans doute apprendre à apprivoiser la virtualité mais il est sûr que certaines interactions sont impossibles si l’énergie de la présence n’est pas là. Le vivant a ses exigences que la virtualité ne permet pas. Je ne suis pas sûre que le confinement empêche les gens de se renseigner, ni ne les empêche de se faire conseiller. Les CIO sont ouverts au rendez-vous en présentiel, le CIOsup donne des rendez-vous téléphoniques et répond aux messages par mail. Des ateliers sont organisés par voie de zoom interposé, avec les restrictions communicationnelles sus-mentionnées.
Le problème ne me semble pas dans la forme de l’interaction mais dans sa finalité. Je sens qu’il n’y a pas de souffle pour reprendre l image très pertinente de Jacques, parce qu’il n’y a pas de projet de société. La posture bienveillante même si elle a ses vertus ne porte en elle même aucune perspective, les jeunes attendent aujourd’hui autre chose des adultes que de la consolation, autre chose que de l’écoute. Ils attendent des idées, des alternatives à un modèle sociétal dont chacun, qui est éclairé, voit les limites. L’orientation est bien l’affaire de tous, elle est aussi l’affaire de chacun, chacun saisi dans sa responsabilité de faire de l’humain. Et c’est précisément à cet endroit que chacun doit être convoqué virtuellement ou physiquement. Peu importe. L’important est de résister à la dilution, à la perte du sens de l’avenir.
Merci Annick pour ce commentaire.
Reste pour moi une question : l’avenir d’une profession dépend elle de l’intention individuelle ?
Il s’agit même d’un sabordage par certains représentants de la profession car le SNES, syndicat majoritaire, a refusé le terme de Conseiller en Orientation dans l’appellation principale du nom du corps alors que le ministère l’avait proposé et ne l’admis que contrainte et forcé dans la spécialité que je préfère nommer EDCO pour mettre en avant le conseil et le « tenir conseil ». Même l’APSYEN, l’association des PsyEN EDCO, tenue en sous-main par le SNES, a refusé de mettre le terme de conseil en orientation dans son acronyme. Alors faut-il s’étonner qua les fonctions de conseil en orientation passe aux collectivités régionales qui ont elles aussi une mission de service public ou pire, à des officines privées. Les conséquences étaient plus que prévisibles, elles se réalisent. C’est le sens de l’histoire déclarait JP Bellier, IGEN qui a porté la création du nouveau corps, après avoir fêter au champagne avec le Snes la création du nouveau corps. Celui de faire sortir le conseil en orientation des compétences de spécialistes bien formés pour le diluer dans toutes les strates de la société. Pas sûr que cela favorise l’égalité républicaine…
Merci Christian également pour ton commentaire qui éclaire cette histoire.
Sentiment de tristesse !
Nous vivons aujourd’hui une transformation professionnelle du même type qui s’est produit dans les années 50-60, le passage de l’OP à l’OS. Sauf qu’aujourd’hui il n’est plus question du but professionnel : l’orientation.
Bonsoir,
Quand une majorité de professionnels, soutenus par des ministères successifs, ne veut plus entendre parler de « conseil en orientation » depuis presque 30 ans, il me semble que la page est définitivement tournée. Mais devons nous jeter le bébé ( le conseil ) avec l’eau du bain ( l’orientation )? . Il me semble qu’il a été largement démontré la nuisance du terme « orientation », trop polysémique et totalement pollué par des procédures « hors d’age », pour espérer reconstruire une professionnalité autour de lui.
Il doit ètre abandonné, en mème temps que les procédures, dans le cadre d’une réforme de fond du SE ( formation des profs, programmes, évaluation, place et pouvoir des parents etc…. ). Sur ces nouvelles bases, il serait possible de reconstruire un service public de » Conseil en formations et en accompagnement éducatif « , en associant mème les nouveaux PsyEN, s’ils ne sont pas trop borné(es)….Tant que l’on ne reconnaitra pas que ce sont aux intéressés de décider de leur avenir, et qu’on ne les mettra pas, en situation de responsabilité, en les accompagnant dans l’institution,rien ne pourra changer: Nous continuerons à admettre ( soutenir ? ) un SE inégalitaire et socialement inique et à renforcer le développement des officines privées de toutes obédiences, entérinant en cela la division sociale et le ressentiment qui détruit notre pays…
Merci pour ces réflexions partagées sur l’évolution inquiétante des services d’orientation et plus généralement des politiques publiques liées aux questions d’orientation.
En avant-propos, soulignons que l’APSYEN soutient l’appellation PsyEN EDCO (cf. site internet et banderole conçue pour les communications).
Le travail en orientation par les Psy EN est au service du développement de l’enfant et de la construction du Sujet Social (au sens de Jean Guichard). Cela forme un ensemble cohérent avec les problématiques que l’on observait avant le changement d’appellation (accrochage scolaire, inclusion, climat scolaire, etc…) pour lesquelles, nous pouvions souffrir d’en voir certains laisser à l’abandon, notre culture de psychologue étant mal reconnue. D’ailleurs, si les demandes de la communauté éducative ont rapidement évoluées vers une augmentation des problématiques d’apprentissage et de mal-être scolaire, c’est qu’il y avait des besoins qui ne trouvaient pas de réponses. La société change, l’école doit changer, tous les acteurs de l’éducation semblent déstabiliser.
Nous nous accordons à penser, comme évoque Jacques Vauloup, que l’orientation a besoin d’un nouveau souffle et à ce sujet nous accueillons avec joie la parution en janvier 2021 de l’ouvrage collectif dirigé par Valérie Cohen-Scali Psychologie de l’orientation tout au long de la vie. Défis contemporains et nouvelles perspectives. Néanmoins, il restera le problème de la mise en oeuvre. Avec la réforme du lycée, le Parcours Avenir se limite à de la gestion flux dans les établissements scolaires, le ministère et les régions ne parlent que d’information à l’orientation et de l’accompagnement au choix. L’éducation à l’orientation semble oublier. Il faut dire qu’avec la réforme du lycée, l’accompagnement personnalisé a été supprimé, les équipes pédagogiques ont été déstabilisées et réduisent au minimum ce qui n’appartient pas à leur champ premier de compétence. Il n’existe pas d’heures dédiées à l’orientation dans l’emploi du temps des élèves ni au collège, ni au lycée. Les heures stipulées par le gouvernement sont à « titre indicatif ». Dans un contexte de crise sanitaire, l’orientation est sacrifiée.
De plus, notons que les ressources développées par l’onisep sont en faveur des enseignants. Des séances en orientation spécifiques aux PsyEN ne sont pas crées, il n’existe pas de manuels tels que ceux que connaissent les enseignants qui font support à leur construction de séance/séquence.
Faire évoluer le métier vers une fonction de « back office » a été discuté au travers de la mission de Conseiller Technique. Celui-ci est rendu difficile dans une institution malade de la gestion, tournée vers une efficacité à court terme : elle a perdu le Savoir Collaborer et l’intérêt des collectifs de travail. A cela s’ajoute 25% de contractuels, psychologue certes, mais le plus souvent dans un autre champ que celui de l’orientation. De fait, nous perdons en crédibilité dans l’expertise et les personnels de direction se pensent alors suffisant pour mettre en oeuvre la politique en orientation de leur établissement.
Enfin, les PsyEN ne sont pas des personnes « borné(es) » pour reprendre le terme de Jean-Marie Quairel. Les PsyEN sont inquiets de la division sociale et observe le « ressentiment » montant dont parle d’ailleurs Cynthia Fleury (philosophe et psychanalyste) déjà mis en évidence par Bernadette Dumora dans son article de 2010, par exemple, portant sur l’entretien constructiviste et ses limites. La profession est en revanche épuisée, d’autant plus avec la crise sanitaire qui n’a fait qu’amplifier le mal-être scolaire et les phénomènes de décrochage. Elle est fatiguée en effet d’être traitée comme des pions alors que le métier de psychologue est un métier d’analyse et de réflexions. Essorés par l’activisme de l’efficacité, interpellés sans cesse dans l’urgence, les personnels sont de plus en plus nombreux à travailler à temps partiel, symptôme d’une souffrance au travail. Dans ces conditions, il n’y a plus l’espace ni de temps, ni psychique pour mettre en oeuvre de nouvelles perspectives pour répondre aux enjeux de l’orientation que suscite les problématiques contemporaines du XXIème siècle.
Le bateau coule dans l’indifférence des acteurs de l’éducation et des parents, chacun préoccupé par les réalités individuelles, n’ayant pas les outils théoriques pour penser véritablement l’orientation comme une problématique de société et dans l’incapacité de pouvoir proposer des réponses à ces enjeux.
J’ai rédigé une toute petite réponse sur un aspect très particulier de votre commentaire :
La dénomination professionnelle et ses effets
http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2021/01/12/la-denomination-professionnelle-et-ses-effets/