Dans ce quatrième survol de rapports à propos de Parcoursup, on va s’intéresser à une mesure héritée d’APB, maintenue durant trois ans dans Parcoursup et qui vient d’être abandonnée, il s’agit des « meilleurs bacheliers ».
Aux origine de la mesure
En Juillet 2014, Benoît Floc’h, dans un article du Monde, rappelait l’origine de cette mesure introduite par la loi du 22 juillet 2013. Le décret du 11 juin 2014 précisait le pourcentage que l’ « autorité académique réserve dans les formations de l’enseignement supérieur public un contingent minimal de places au bénéfice de ces bacheliers ». Mais il faut rechercher l’origine de cette mesure dix avant, à la suite des émeutes de banlieue en 2005, « les députés socialistes Jean-Marc Ayrault, François Hollande et Manuel Valls, entre autres, avaient déposé une proposition de loi en ce sens ». L’exposé des motifs indiquait : « Un système différent d’accès aux grandes écoles devrait donc s’appliquer en France. Les meilleurs élèves de chaque lycée de France auraient un droit d’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l’entrée (Instituts d’études politiques ou Dauphine par exemple). Le ministère de l’Education nationale devrait ainsi fixer chaque année le pourcentage des meilleurs élèves bénéficiaires de ce droit. »[1]
Cette proposition avait semble-t-il peu de rapport avec les émeutes de banlieue de 2005[2]. Dans un livre rassemblant sur le moment, une série d’études sociologiques, Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli identifient une série de « causes » qui ont très peu de rapports avec le scolaire, si ce n’est l’humiliation scolaire ambiante ressentie par les jeunes dans nos banlieues[3]. Dix ans après, Sara Taleb fait un constat désabusée, les raisons de la colère sont toujours là, et ont même empirées[4]. Et la question scolaire ne tiens pas à la difficulté de l’accès aux classes préparatoires.
Une mesure contre la discrimination
Le dispositif « meilleurs bacheliers » est ainsi présenté aout 2015 sur le site du ministère de l’enseignement supérieur[5] : « La loi relative à l’Enseignement supérieur et à la Recherche de juillet 2013 a introduit une mesure nouvelle relative à l’entrée dans l’enseignement supérieur : « Art. L. 612-3-1. − Sur la base de leurs résultats au baccalauréat, les meilleurs élèves par filière de chaque lycée bénéficient d’un droit d’accès dans les formations de l’enseignement supérieur public où une sélection peut être opérée. Le pourcentage des élèves bénéficiant de ce droit d’accès est fixé chaque année par décret. Le recteur d’académie, chancelier des universités, réserve dans ces formations un contingent minimal de places au bénéfice de ces bacheliers. »
Il s’agit de donner une deuxième chance à des jeunes qui considèrent souvent que leur lycée est trop mal vu et que ça ne sert à rien de candidater dans les filières sélectives (auto-censure) ou ont été pénalisés parce que leur dossier n’était pas assez bon en regard des dossiers des autres lycées. La mesure permet au meilleur de sa filière d’avoir les mêmes droits quel que soit son lycée d’origine et introduit plus d’égalité dans le processus d’insertion dans l’enseignement supérieur. »
Cette mesure se présente comme cherchant à réduire les discriminations sociales liées non pas aux personnes, mais à leur lieux de formation. Cette mesure s’adresse uniformément à 10% des meilleurs élèves (définis par le résultats au baccalauréat) de chaque lycée.
Elle est donc intégrée à APB puis à Parcoursup.
Cette mesure s’inscrit dans un mouvement plus général, celui de l’élargissement du recrutement des Grandes écoles, par une série d’expérimentations que l’on désigne sous le terme générique « d’ouverture sociale »[6].
Retournement
Un blogueur du Monde signale dès 2018 des couacs dans le dispositif « meilleurs bacheliers ». A l’époque il s’agit d’une procédure manuelle activée après les résultats du bac. Depuis la procédure a été intégrée dans l’algorithme, mais dans le premier chapitre du troisième rapport[7] du Comité d’éthique février 2021, on trouve une discussion sur les difficultés pour traduire le droit en algorithme et une partie du chapitre est consacrée au dispositif « meilleurs bacheliers ». Le comité analyse la complexité de la mise en œuvre de cette mesure apparemment simple.
« Les difficultés ont surtout concerné des points qui ne sont pas traité par l’algorithme initial de Gale et Shapley, dit des «mariages stables», qui est à la base de tous les systèmes analogues dans le monde. Citons en particulier les ratios choisis pour les boursiers et les possibilités de changement d’académie, les plafonds des demandes d’internat et le traitement spécial des meilleurs bacheliers; ils interagissent de fait entre eux en pouvant induire certains effets pervers non analysés dans la loi, et donc laissent des choix qu’il faut analyser soigneusement. » p. 61
En mars 2021, Sud-Ouest titre : Parcoursup. Les meilleurs bacheliers ne seront plus favorisés sur la plateforme. « Un décret vient de mettre fin à la priorité d’accès aux formations supérieures accordée dans Parcoursup aux 10 % d’élèves de terminale ayant obtenu les meilleures notes dans leur établissement. » « Si le dispositif a été supprimé en décembre dernier, c’est qu’il ne bénéficiait finalement qu’à un nombre restreint de lycéens : seulement 2.000 élèves en profitaient chaque année, alors qu’à titre d’exemple, 658.000 lycéens étaient inscrits sur Parcoursup en 2020. Et très peu d’entre eux finissaient par accepter les propositions d’admission qui leur étaient faites. “Le dispositif n’était mis en place qu’au moment des résultats du bac, alors que les meilleurs bacheliers reçoivent et acceptent les propositions qui leur plaisent bien plus tôt dans la procédure, dès le mois de mai”, confirme le pôle communication du ministère de l’Enseignement supérieur. »
Echec de l’ouverture sociale
L’Institut des politiques publiques a produit un rapport[8] qui « documente, de manière aussi précise que possible, l’évolution du recrutement des classes préparatoires et des grandes écoles depuis le milieu des années 2000. » (p. 3). Le Café pédagogique[9] le résume ainsi : « Les grandes écoles sont-elles réservées aux riches ? La réponse est clairement oui si l’on en croit une nouvelle étude de l’Institut des politiques publiques. Les élèves de ces écoles viennent des milieux favorisés et aucun progrès n’a été réalisé en 20 ans. Les hommes y sont aussi toujours nettement surreprésentés. L’étude interroge l’utilité des dispositifs, comme les Cordées de la réussite, tant vantés par le ministère. Elle se demande aussi s’il faut maintenir le dualisme dans l’enseignement supérieur… »
Le constat sur Wikipédia[10] est plutôt désabusé : « Étant dans une phase d’expérimentation, ces dispositifs sont très variés. Ils ont en commun de s’appuyer sur des campagnes d’information pour faire connaître les écoles et combattre l’auto-censure. En général, l’application du dispositif en elle-même concerne un très faible nombre d’étudiants. Autre frein à l’efficacité de « l’ouverture sociale », les dispositifs d’ouverture sociale touchent souvent des jeunes qui auraient pu accéder aux établissements par les voies déjà existantes. Enfin, le transfert d’aides financières « sur critères sociaux » vers des aides « au mérite » risque finalement de fermer encore plus les écoles par la diminution du nombre de bourses allouées. »
Vousnousils en octobre 2019 rassemble les articles concernant cette question : « Frédérique Vidal présente un plan pour favoriser l’ouverture sociale des grandes écoles »[11].
L’ « ouverture sociale » est problématique pour ce qui concerne le recrutement des Grandes écoles, mais qu’en est-il de la promotion sociale dans les formations professionnelles courtes (BTS et DUT) ? Si la suppression du dispositif meilleurs bachelier ne changera pas grand-chose pour les CPGE qu’en sera-t-il pour les BTS et DUT ?
Bernard Desclaux
[1] N° 2688, ASSEMBLÉE NATIONALE, CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958, DOUZIÈME LÉGISLATURE. Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 novembre 2005. PROPOSITION DE LOI visant à permettre la diversité sociale dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles et autres établissements sélectionnant leur entrée. https://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2688.asp
[2] Émeutes de 2005 dans les banlieues françaises https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89meutes_de_2005_dans_les_banlieues_fran%C3%A7aises#Initiatives_politiques
[3] Le Goaziou, Véronique, et Laurent Mucchielli. Quand les banlieues brûlent…Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée. La Découverte, 2007. Voir également la récension : Linda Saadaoui, « Laurent Mucchielli, Véronique Le Goaziou, dirs, Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005 », Questions de communication [En ligne], 13 | 2008, mis en ligne le 01 juillet 2010, consulté le 03 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/1920 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.1920
[4] Dix ans après les émeutes de 2005, où est passée la colère des banlieues? Par Sara Taleb, Rédactrice en chef adjointe – Cheffe du service Actus génés https://www.huffingtonpost.fr/2015/03/16/emeutes-2005-dix-ans-apres-ou-est-colere-banlieues_n_6854126.html
[5] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid91304/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid91304/le-dispositif-meilleurs-bacheliers.html
[6] Buisson-Fenet Hélène, Draelants Hugues, « Réputation, mimétisme et concurrence : Ce que « l’ouverture sociale » fait aux grandes écoles », Sociologies pratiques, 2010/2 (n° 21), p. 67-81. DOI : 10.3917/sopr.021.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-sociologies-pratiques-2010-2-page-67.htm ; Euriat Michel, Thélot Claude. Le recrutement social de l’élite scolaire en France. Evolution des inégalités de 1950 à 1990. In: Revue française de sociologie, 1995, 36-3. pp. 403-438. DOI : 10.2307/3322163, www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1995_num_36_3_5065
[7] Parcoursup à la croisée des chemins. 3e rapport annuel au Parlement du Comité éthique et scientifique de Parcoursup, février 2021 https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Parcoursup/21/0/Psup_comite_ethique_2021_1380210.pdf
[8] (Rapport & Note IPP) Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? https://www.ipp.eu/actualites/rapport-note-ipp-quelle-democratisation-des-grandes-ecoles-depuis-le-milieu-des-annees-2000/
[9] Grandes écoles : Aucun progrès dans l’ouverture sociale http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/01/20012021Article637467227569243715.aspx
[10] Ouverture sociale https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouverture_sociale
[11] Le 15 octobre 2019 https://www.ozp.fr/spip.php?article24318
Donner plus à ceux qui ont moins, c’est la philosophie qui anime les politiques d’ouverture sociale,selon une logique compensatoire. Il faut cibler les publics, toute chose égale par ailleurs ( ou devront-on plutôt écrire inégale par ailleurs). Dans la grande file d’attente, les boursiers peuvent trouver une place que les non boursiers n’auront pas. Des non-boursiers plus méritants sur le plan scolaire peuvent se voir déclassés au profits des boursiers, la PCS d’origine ou plutôt le montant du revenu étant devenu un critère prioritaire devant les notes. Le mérite, si cher à Napoléon car on lui attribue la paternité de cette notion, de quelle nature est-il, si l’on postule que tout le monde est par ailleurs égal ? S’agissant des 10% de bacheliers les meilleurs, la thèse de Leila Frouillou démontre les ségrégations universitaires liées à l’origine géographique, souvent liées elles-mêmes à l’origine sociale.Mais le bac a-t-il aujourd’hui encore une quelconque valeur quand les admissions se font en dehors de ce critère ? Si l’on rajoute à ces facteurs, la question du calcul de l’algorithme… on ne s’en sort plus. Pardonnez-moi mon humour , c’est peut-être que finalement en ces temps de pénurie et aussi de perte de sens, on n’a plus rien à donner de plus. Les marges sont mangées. La massification a fait son œuvre contre la démocratisation. Il faudrait bien-sûr approfondir cette hypothèse.
Merci beaucoup Annick de ton commentaire et du signalement de la thèse.
Je me permets d’indiquer un certain nombre de références concernant cette thèse.
Thèses de géographie soutenue le 20-11-2015
Les mécanismes d’une ségrégation universitaire francilienne : carte universitaire et sens du placement étudiant
par Leïla Frouillou
« Cette thèse s’attache à expliquer les différenciations de publics étudiants entre les universités publiques de la région Île-de-France. Issues de la division de l’Université de Paris après 1968, ou pour les quatre plus récentes du plan U2000 (1991), ces seize établissements constituent un paysage universitaire complexe et hiérarchisé. À partir d’un cadre théorique bourdieusien considérant la dimension spatiale des rapports sociaux, la problématique de recherche interroge les mécanismes matériels, institutionnels et représentationnels d’une ségrégation universitaire, définie par analogie avec les travaux sur les niveaux primaire et secondaire du système scolaire français. L’analyse de données caractérisant les étudiants des seize universités (MESR-SISE) est croisée avec une enquête par entretiens auprès d’acteurs universitaires et d’environ quatre-vingt étudiants, dont la moitié a été suivie sur trois ans (entretiens répétés), inscrits en Droit, Administration Économique et Sociale et Géographie, à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. Dans une métropole parisienne ségréguée, la carte universitaire contribue à différencier les recrutements étudiants, à travers la localisation des offres de formation, les stratégies d’établissement qui y sont associées mais également les discontinuités créées par les systèmes d’affectation à l’entrée en L1 non sélective (système RAVEL puis Admission Post-Bac à partir de 2009). L’intériorisation socialement située des contraintes institutionnelles et matérielles (accessibilité en transport) définit des espaces des possibles universitaires distincts selon les étudiants. Leur sens du placement dépend de leur capital scolaire antérieur comme de leur trajectoire sociale. Les mobilités étudiantes entre universités constituent une clé de lecture de ces ajustements, qui (re)produisent les différenciations de publics entre établissements. »
http://www.theses.fr/2015PA010640
Publication
Ségrégations universitaires en Île-de-France : inégalités d’accès et trajectoires étudiantes
Auteur(s) : FROUILLOU Leïla
Editeur(s) : La Documentation française
coll. Études et recherche, 198 pages, 18 €
Année d’édition : 2017 (paru en novembre 2017)
L’ouvrage est issu de la thèse de Leïla Frouillou, qui a obtenu le 1er prix du concours de l’Observatoire national de la vie édudiante en 2016.
Voici un extrait de la préface, par Agnès Van Zanten :
« En s’intéressant aux écarts d’ordre scolaire et social entre les publics universitaires et aux différents processus qui en sont à l’origine, Leïla Frouillou donne ici à voir de façon exemplaire un espace universitaire marqué par des dynamiques de segmentation, différenciation et concurrence entre établissements et de choix, calcul et expérimentation de la part des étudiants. […] La singularité de son apport réside […] dans la perspective adoptée qui […] s’intéresse à l’espace comme dimension essentielle des rapports de domination et, plus précisément, aux profits matériels et symboliques que les universités et les étudiants retirent ou non de leur localisation, de leur proximité ou de leur mobilité. »
http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/Ouvrages/DetailPublication.php?parent=accueil&id=1179
Récension de la publication :
Audren Gwenaëlle, « Leïla Frouillou, Ségrégations universitaires en Île-de-France. Inégalités d’accès et trajectoires étudiantes, Paris, La Documentation française (Études et recherche), 2017, 208 pages. », Espaces et sociétés, 2019/3 (n° 178), p. 193-196. DOI : 10.3917/esp.178.0193. URL : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2019-3-page-193.htm
Caroline Clair, « Leïla Frouillou, Ségrégation universitaires en Île-de-France. Inégalités d’accès et trajectoires étudiantes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 27 mars 2018, consulté le 22 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/lectures/24502 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.24502
Interview
Leïla Frouillou : « APB promeut un libre choix d’études tout en étant socialement inégalitaire »
Natacha Lefauconnier
Publié le 16.06.2016 à 10H54
https://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/leila-frouillou-apb-promeut-un-libre-choix-d-etudes-tout-en-etant-socialement-inegalitaire.html
J’ajoute deux infos transmises par Annick Soubaï
Publications de cet auteur diffusées sur Cairn.info
https://www.cairn.info/publications-de-Le%C3%AFla-Frouillou–126416.htm
Ainsi que la page du CRESPPA, Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris consacrée à Leïla Frouillou listant ses publications
https://www.cresppa.cnrs.fr/gtm/equipe/les-membres-du-gtm/frouillou-leila/