Deux documents intéressants mais discutables, viennent d’être publiés pour alimenter les débats, un peu silencieux sur le thème éducatif, de la présidentielle. Le think-tank Terra Nova propose « Pour une réforme non-administrative de l’école »[1] signé par Mélanie Heard et Marc-Olivier Padis. Et la Fondation Jean-Jaurès, dans le cadre d’une campagne de mobilisation portée par le collectif, publie « Une voie pour tous : pour une réforme de l’enseignement professionnel »[2], signé par Dylan Ayissi, militant associatif, initiateur du collectif, Alexandre Munoz-Cazieux, enseignant, et Mélissandre Mallée, cadre territoriale. Ils « reviennent sur l’histoire du lycée professionnel, jalonnée de réformes successives, et sur le rôle social que portent ces filières ». Vous pouvez lire ou non ces documents avant de poursuivre la lecture de ce post, mais les lire, c’est mieux.
Terra Nova et l’offre d’outils
Dans le cadre de « La grande conversation 2022 »[3] lancée par Terra Nova, la note intitulée « Pour une réforme non-administrative de l’école » est la version synthétique d’un rapport plus développé consacré à « L’école de l’attention »[4]. Le Think-tank défend l’idée « qu’à côté des réformes portant sur le système scolaire, son organisation, ses personnels, ses programmes ou sa régulation, il est aujourd’hui possible de concevoir des leviers empiriques davantage centrés sur les pratiques du quotidien au service d’un objectif : accompagner les efforts, la persévérance et l’attention des élèves, car c’est là que notre école est le plus en difficulté, comme le révèlent les comparaisons internationales et comme la crise Covid est venue nous le rappeler. » Au lieu de porter l’attention sur l’organisation administrative de l’Education nationale, il propose de se concentrer sur le processus d’apprentissage des élèves, ce qui le freine et ce qui le stimule.
Il m’est impossible de rentrer dans le détail des argumentations présentées dans l’espace de cet article. Je me contenterais de quelques remarques. Grace aux enquêtes Pisa, ils proposent « d’ouvrir le capot de la classe » et de repérer les spécificités françaises : « les pratiques enseignantes, le climat de la classe, l’engagement des parents, ou les représentations des élèves quant à leurs propres efforts et à leurs espérances. Sur ces variables, des outils bien identifiés, dûment évalués, ont fait leurs preuves et mériteraient davantage d’attention. » Après avoir présenté l’analyse de ces variables et indiqué des pistes d’outils, les auteurs en appellent à une « réforme non administrative de l’école ».
Pour eux, « La volonté d’apprendre et le plaisir de la découverte ne sont pas des dispositions individuelles : elles sont produites collectivement par un contexte, un accompagnement, des attitudes positives de l’ensemble des acteurs éducatifs. Elles sont accessibles à l’action publique, par des outils qui ne relèvent pas de la réforme administrative, et dont la recherche a démontré l’efficacité. Les comparaisons internationales montrent que ces changements sont déjà à l’œuvre dans d’autres systèmes scolaires, dans des contextes culturels variés. L’exceptionnalisme hexagonal doit accepter les leçons de l’expérience. »
Ainsi le changement, l’amélioration du fonctionnement de notre système et surtout l’investissement des élèves dans leur apprentissage passerait par les comportements des « acteurs éducatifs ». On ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation généreuse. Les pistes indiquées sont en effet bien intéressantes et ne sont pas à négliger, mais comment alors comment s’assurer qu’elles soient bien empruntées ? Les « outils » signalés (mallette des parents, enquêtes sur le climat scolaire …) en effet existent déjà, ils sont proposés sur le site du ministère[5], mais sont-ils utilisés massivement ? En tout cas on n’en voit pas les effets. Comment renforcer leur utilisation ? En espérant la bonne volonté des acteurs ? Mais surtout, cette manière de présenter la solution met la responsabilité des difficultés sur les personnes et non sur le cadre. De mon point de vue, les deux se tiennent !
La Fondation Jean-Jaurès et l’offre de formation
La Fondation Jean-Jaurès, comme le think-tank Terra Nova, s’appuie sur les mêmes sources. « Le fameux rapport PISA 2019 de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) nous indique qu’avec une différence de 107 points, la France reste le pays de l’OCDE où l’origine sociale a le plus fort impact sur les résultats scolaires (la moyenne est de 89 parmi les États membres de cette organisation). » (Rapport PISA, 2019. Mais elle n’en tire pas le même objectif. Elle va centrer son analyse et ses propositions sur l’enseignement professionnel. Le constat est rude : « Nous verrons comment, au gré ou malgré les réformes portées ces trente dernières années, les établissements professionnels se sont précarisés, aussi bien au niveau des moyens alloués à ces filières qu’au niveau des élèves, et comment finalement le lycée professionnel est devenu la poubelle de l’Éducation nationale au travers d’un statut social profondément dévalorisé. »
Si on ne peut nier, malheureusement, le constat exprimé ci-dessus, on peut s’interroger sur la causalité, qui a son importance pour élaborer des propositions pertinentes, et je m’interroge sur la compréhension des auteurs de certains aspects de notre système scolaire. Que dit-on lorsqu’on écrit que « l’orientation massive d’élèves en « échec scolaire » et éloignés de la forme scolaire a conduit les enseignants à concevoir le LEP avant tout comme un espace de remédiation. » ?
Curieusement l’objectif des propositions de la Fondation et du think-tank est le même : le bien être des personnes. « La principale proposition que nous portons au sein du collectif s’appuie sur l’idée que chaque élève, quel que soit son parcours scolaire ou de vie, doit, au lycée, s’épanouir dans sa filière. C’est pourquoi nous proposons la création de nouvelles filières. Nous souhaitons que puissent être créés des bac pro sur les métiers des médias, de la communication, du sport, des solidarités, du jeu vidéo, de la mercatique, de la musicologie, du juridique ou encore du web. Évidemment, un certain nombre de secteurs professionnels ne sont pas explorés, mais nous avons l’ambition, sinon la certitude, que cette réflexion sur les nouvelles filières est une clé d’amélioration de la situation de ces établissements qui, rappelons-le, concentrent un tiers des effectifs du second degré scolaire. »
Il suffirait ainsi de modifier l’offre de formation en lycée professionnel pour modifier la « volonté de l’élève » et ainsi purifier le fonctionnement de notre système scolaire.
Si l’on veut que notre système repose sur le principe de l’offre de formation, il faut alors tirer une conclusion simple : la suppression de la procédure d’orientation en fin de collège[6]. Cela aurait deux conséquences importantes, une modification profonde de la pédagogie réduisant les effets dévastateurs du poids des évaluations sommatives, et la nécessité du développement d’une éducation au devenir et non pas à l’orientation, terme sans doute trop chargé.
Bernard Desclaux
[1] https://tnova.fr/societe/education/pour-une-reforme-non-administrative-de-lecole/#une-r-eacute-forme-non-administrative-de-l-rsquo-eacute-cole
[2] https://www.jean-jaures.org/publication/pour-une-reforme-du-bac-professionnel/
[3] https://tnova.fr/la-grande-conversation-2022/
[4] « L’école de l’attention » https://tnova.fr/societe/education/lecole-de-lattention/
[5] La mallette des parents https://mallettedesparents.education.gouv.fr/ ; Les enquêtes nationales de climat scolaire et de victimation https://www.education.gouv.fr/les-enquetes-nationales-de-climat-scolaire-et-de-victimation-323459 et le site du Réseau CANOPE, en cours de maintenance, propose également des données.
[6] Voir mon article sur ce blog « Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation » https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2012/08/24/pourquoi-faut-il-supprimer-les-procedures-dorientation/
Je suis évidemment d’accord avec la conclusion de Bernard : La suppression des procédures d’orientation en fin de Collège est un préalable indispensable. Ce que semblent proposer les auteurs » pour une réforme non administrative de l’école » ressemble à un toilettage ou « relooking » du LP, sans remise en question du fonctionnement de la formation initiale et de ce qui explique la multitude des « échecs scolaires » et des ruptures.. Des causes bien connues depuis des années, qui se cristallisent autour des conditions de la sélection des meilleurs ( une minorité socialement déterminée ) et de la mise à l’écart consécutive des autres ( la majorité de la base citoyenne )…Il est tout à fait significatif d’observer comment certain(e)s candidat(e)s à l’élection présidentielle veulent » réunir les français » en commençant par les séparer dés la fin du CM2 ! Une incohérence Française qui conduit notre Pays vers le populisme et le Fascisme .
Il est heureux que des collectifs se mettent à réfléchir sur les questions d’éducation. Plus il y aura d’idées mieux ce sera.Qu’on en parle. Côté élections présidentielles, la question éducative ne nous fait même pas retrouver la querelle entre les modernes et les anciens. Je n’ai rien lu, ni entendu en termes d’innovation. Valérie Pécresse, fidèle à ses précepts après avoir légiféré en faveur de l’autonomie des universités, souhaite donner l’autonomie aux EPLE, que certains chefs d’établissement revendiquent, du reste.Le retour à l’ordre scolaire ancien est préconisé par Eric Zemmour qui est soutenu en cela par plusieurs intellectuels. C’est la fin du collège unique. La gauche continue à espérer plus d’égalité et de pédagogie collaborative ( les Verts). Mais toutes les recettes ont été essayées et pendant que la gauche était aux affaires, y compris quand Jean-Luc Mélenchon était ministre délégué à l’enseignement professionnel sous le gouvernement de Lionel Jospin, rien ne s’est passé de meilleur, ni de pire, d’ailleurs. L’élève a été mis au centre du système, loi de 1989. Et depuis, oserai-je dire que l’on tourne autour? Une littérature abondante existe sur le thème du bien être à l’école. Un auto-diagnostic des EPLE a même été créé pour l’apprécier. Je doute qu’il soit beaucoup utilisé.De la méthodologie à sa mise en oeuvre, il y a un pas culturel à franchir. Il me semble difficile de faire des réformes sans un support administratif et son pilotage. C’est ,du reste, le grand problème de l’éducation aujourd’hui. L’école est administrée mais pas pilotée.Il faudrait pour cela une vision et les moyens pour la faire advenir. La relation pédagogique est une faillite en France, non pas qu’il faille jeter tout l’apport de la démarche jésuite, qui nous fait conserver un peu d’excellence. Mais à quel prix! La massification de l’éducation qui est une bonne chose s’est faite au détriment de la qualité. Les cogni-classes restent à l’échelle expérimentale, comme du reste pour l’orientation, les 54 heures ,qui, elles sont des villages Potemkine. Les éléments de langage recouvrent les réalités d’un halo d’efficacité. L’école est pourtant en crise de culture. Et les lycées professionnels ? Depuis qu’on les revalorise, ils devraient être revalorisés, non ? Il faut que ceux qui font des préconisations sachent que les formations professionnelles sont créées avec dans le cadre de commissions qui comprennent des professionnels des secteurs d’activité. On peut sûrement inventer de nouveaux bac professionnels, mais encore faut-il qu’ils correspondent à des besoins. Le numérique a pénétré depuis longtemps les lycées professionnels, qui ont su s’adapter aux évolutions.
Les personnes qui pensent devraient se rendre sur place, pour de vrai, aller voir ce qui se fait pour battre en brèche quelques idées reçues. Cependant, il ne faudrait pas que la réussite au lycée professionnel, ce soit toujours pour les enfants des familles des autres. L’école est à l’image de la société. Elle est à la peine.