Dans le cadre du programme pour investir l’avenir (PIA), un Programme Avenir(s) vient d’être annoncé sur le site du gouvernement[1]. Il s’agit d’« une des briques de la stratégie d’accélération « Enseignement et numérique ». Ce dispositif permettra d’améliorer l’orientation par l’identification par les élèves de leurs compétences, leur mise en œuvre dans la construction des projets de chacun, et rendra possible de garder la preuve de ses compétences tout au long de ses études. » L’ONISEP porte ce programme qui réunit un consortium d’acteurs (sur lequel il faudra s’interroger). Que se joue-t-il avec ce projet ?
De nouvelles ambitions
Ce programme s’inscrit dans un projet plus large. « La stratégie d’accélération « Enseignement et numérique » porte pour la première fois dans le cadre de France 2030 sur tout le continuum de l’enseignement scolaire à l’enseignement supérieur. » Le continuum bac -3/+3 est donc largement dépassé ! « Elle ambitionne également le développement de dispositifs permettant de suivre l’intégralité des parcours, de la maternelle à l’université pour permettre une meilleure réussite. » Une ambigüité et une question se pose immédiatement : à qui permet-on de « suivre l’intégralité des parcours » ? La lecture de cette annonce du programme ne permet pas de répondre clairement à cette question.
« l’Etat confirme, avec un investissement de 30 millions d’euros sur 10 ans, sa volonté de faire évoluer en profondeur l’accompagnement à l’orientation des jeunes. » Cette petite phrase est à prendre en considération dans le contexte de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 qui attribue aux régions la responsabilité d’organiser « des actions d’information sur les métiers et les formations aux niveaux régional, national et européen ainsi que sur la mixité des métiers et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en direction des élèves et de leurs familles, des apprentis ainsi que des étudiants, notamment dans les établissements scolaires et universitaires. Lorsque ces actions ont lieu dans un établissement scolaire, elles sont organisées en coordination avec les psychologues de l’éducation nationale et les enseignants volontaires formés à cet effet. Pour garantir l’unité du service public de l’orientation et favoriser l’égalité d’accès de l’ensemble des élèves, des apprentis et des étudiants à cette information sur les métiers et les formations, un cadre national de référence est établi conjointement entre l’Etat et les régions. Il précise les rôles respectifs de l’Etat et des régions et les principes guidant l’intervention des régions dans les établissements. » (Article 18 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel[2]). Si l’orientation scolaire, au sens des procédures d’orientation et d’affectation restent une affaire d’Etat, et l’information sur les métiers et les formations est attribuée aux régions, l’accompagnement à l’orientation reste du ressort de l’Etat. Mais faut-il encore savoir de quoi il retourne ?
Ce programme devrait offrir aux élèves, étudiants, apprentis, « les outils nécessaires pour construire progressivement et sereinement leurs projets d’orientation, leur parcours de formation, leur entrée dans la vie professionnelle et leur permettre de conduire leur parcours professionnel dans le monde du travail. » Dit ainsi, ce programme propose des outils à la disposition des personnes. On affirme : « Avenir(s) offrira à chaque jeune » une liste d’outils. Mais, est-on seulement dans une offre de service ?
Une nouvelle connexion
Un objectif technique est annoncé, celui de la portabilité. En gros, il s’agit que les différentes plateformes électroniques produites par des acteurs de plus en plus importants puissent communiquer entre-elles. Dit comme ça, on est dans un problème purement technique, mais la nature du problème change lorsque l’on voit la nature des différentes plateformes en question.
Le portfolio ou les portfolios doivent permettre de rapprocher « des compétences à s’orienter (capacité à recueillir, analyser, synthétiser et organiser les informations sur les formations, les métiers, mais aussi capacité à se connaître pour prendre les décisions pertinentes dans les transitions inhérentes à tout parcours personnel et professionnel), des compétences transversales ou des compétences inscrites dans les maquettes de formation de l’enseignement supérieur. »
Il s’agit également de « faire le lien avec celles attendues par les univers professionnels qu’il envisage. »
« Une portabilité des portfolios produits par les différents partenaires du programme, pour assurer la continuité du travail sur l’orientation de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur. Ces portfolios seront également portables vers le passeport de compétences du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion. »
« La plateforme sera reliée aux outils d’admission et d’affectation au lycée et dans l’enseignement supérieur (Affelnet et Parcoursup). »
On a donc là un projet d’amélioration des connexions entre les plateformes internes au monde éducatif, avec une confusion importante me semble-t-il. Et il ne me semble pas sain de connecter des « outils » dont les fonctions sociales sont fort différentes. Les unes ont une fonction éducative, alors que les autres ont une fonction administrative (Affelnet et Parcoursup). Mais la volonté ne s’arrête pas là, puisqu’il s’agit également de se rattacher au passeport de compétences du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Ainsi, le travail des pionniers français de l’orientation professionnelle (Julien Fontègne en particulier) qui avaient œuvré pour distinguer et séparer soigneusement l’orientation vers une formation d’un côté, et le placement dans un emploi de l’autre, se trouve balayé.
Remarque en passant : j’ai lancé une recherche sur le web concernant le « passeport de compétences du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion », et rien ne ressort. Curieux n’est-il pas ?
Cette connexion annoncée avec le monde du travail éclaire une expression relevée dès l’introduction de cet article : « rendra possible de garder la preuve de ses compétences tout au long de ses études ». On peut comprendre l’objectif éducatif de garder en mémoire des informations (les compétences), mais pourquoi et surtout pour qui faut-il en garder « la preuve » ?
Le basculement du diplôme au profit des compétences se poursuit[3].
Une survie
L’ONISEP qui avait risqué de disparaître au cours du débat lors de l’élaboration de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, se trouve restaurée par cette nouvelle fonction : porteuse de projets numériques. Le site de l’ONISEP[4] présente encore une large offre de documents informatifs. Les outils et supports pédagogiques sont également à l’honneur.
Mais on perçoit bien que l’objectif assigné à l’ONISEP devient de plus en plus difficile tant dans le nouveau contexte institutionnel que marchand et technologique. L’ONISEP se présente encore ainsi : « l’Onisep produit et diffuse toute l’information sur les formations et les métiers. Il propose aussi des services aux élèves, aux parents et aux équipes éducatives. »[5] Peut-on encore affirmer un monopôle dans ce domaine ?
On peut s’interroger sur la formulation du Code de l’Education[6] des missions de l’ONISEP : « D’élaborer et de mettre à la disposition des utilisateurs, selon toutes modalités et supports adaptés, la documentation nécessaire à la personnalisation de l’information et de l’orientation par une meilleure connaissance des moyens d’éducation et des activités professionnelles ;» est-elle encore pertinente et réalisable dans le contexte de la loi de 2018. Ce rôle a été donné aux régions.
Hypothèse toute personnelle. L’Etat réoriente cet office, à moins que ce ne soit l’ONISEP lui-même, sur des objectifs économiques très essentiels pour maintenir un rôle central de l’Etat dans le monde numérique qui s’élabore.
Un consortium constitué autour de l’ONISEP, avec seulement des Universités[7] sera-t-il efficace ?
Bernard Desclaux
[1] Programme Avenir(s) : un projet majeur pour faire évoluer l’accompagnement à l’orientation des jeunes et doter chacun de portfolios de compétences, du secondaire au supérieur https://www.gouvernement.fr/programme-avenirs-un-projet-majeur-pour-faire-evoluer-l-accompagnement-a-l-orientation-des-jeunes-et
[2] LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037367660/ le texte et https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036847202/ pour le dossier législatif.
[3] Un article parmi d’autres : Pourquoi ce sont les compétences – et non les diplômes – qui détermineront l’avenir du travail https://fr.weforum.org/agenda/2020/10/pourquoi-ce-sont-les-competences-et-non-les-diplomes-qui-determineront-lavenir-du-travail/ mais on peut voir également sur Eduscol la nouvelle architecture des diplômes de l’Education nationale qui tient compte de cette évolution https://eduscol.education.fr/774/les-diplomes-professionnels
[5] https://www.onisep.fr/Qui-sommes-nous
[6] Article D313-14 du code de l’éducation. Version en vigueur depuis le 01 janvier 2019. Modifié par Décret n°2018-1262 du 26 décembre 2018 – art. 1 (V) donc intégrant les effets de la loi de 2018. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038060369
[7] « L’opérateur, en lien avec ses tutelles, pilotera la plateforme et le portfolio de l’enseignement scolaire ; l’Université Savoie Mont-Blanc et son réseau de partenaires (l’Université Bretagne Occidentale, l’Université de Lille, la Fondation POLYTECH, ESUP-Portail) portera le volet universitaire ; l’Université de Paris et le CNAM apporteront la dimension recherche et le CRI et le CEREQ accompagneront les démarches d’évaluation de l’impact du programme. »
J’ai entendu parlé de ce programme il y a plusieurs années dans la bouche de Pascal CHARVET, ancien directeur de l’ONISEP. Il exprimait cette ambition d’interconnexion de toutes les plateformes en une plateforme, celle du conseil régional d’Ile de France, Oriane. La plateforme conçue par de jeunes start upers est née. On pourra aller la consulter pour se rendre compte du résultat. Une première difficulté technique consiste à interconnecter des plateformes qui n’ont pas la même logique. Il faudrait donc rassembler toutes les logiques en une seule logique qui se traduirait par une architecture de l’information intelligente et intelligible. Pas si facile. Folios est une plateforme peu conviviale à ma connaissance et peu utilisée, pourtant elle existe depuis longtemps. Les plus motivés après s’être formés abandonnent l’outil. Le PEC est une plateforme qui sert d’appui à un cours. Aucun étudiant n’ira faire les exercices sans y être invité. Voici pour les plateformes que je connais. Il est certain que le numérique fait émerger une vision totalisante et peut être aussi totalitaire de la manière dont un individu porté par les possibilités du big data pourrait gérer ses compétences et donc sa vie de manière rationnelle. Les entreprises pourraient récupérer les données et grâce à leurs abaques, les traiter pour obtenir le meilleur candidat. C’est une vision totalement adéquationniste, héritée du début du siècle passé. The right man at the right place. Ce modèle est dépassé, me semble-t-il à plusieurs égards. Les modèles dont on dispose aujourd’hui en matière d’orientation se nourrissent de questions existentielles, du sens du travail et du sens de la vie. Il procède d’une dynamique constructiviste, d’une conception de la compétence toujours émergente.Il faut trouver des modèles qui font naître la créativité. Le numérique est un moyen parmi tant d’autre.Il faut savoir ce que l’on en fait. Et surtout, il faudra vérifier que tout cet argent public mis au service de l’avenir ne construit pas des villages Potemkine. L’ONISEP a ,quant à lui, à trouver une nouvelle place. Il fait de très bonnes choses et de mieux en mieux. Il est certain qu’une course poursuite est engagée, espérons que ce soit pour le meilleur.